C’est acté. Khalifa Sall ne déférera pas devant la commission ad hoc chargé de l’auditionner. Selon le conseiller politique du maire de Dakar, Moussa Taye, ‘’accepter d’être auditionné par cette commission, c’est cautionner la forfaiture dont Khalifa Sall est aujourd’hui victime’’.
Les députés de la 13ème législature ont ratifié avant-hier la liste des membres de la commission ad hoc devant auditionner Khalifa Sall. On dirait que le compte à rebours a commencé pour Khalifa Sall ?
Disons que le complot contre Khalifa entre dans une nouvelle phase. Après la violation systématique de tous ses droits, voilà qu’une procédure inédite vient d’être déclenchée. Le ministère public, après avoir nié l’existence de l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall, demande à l’Assemblée nationale la levée de celle-ci. Ce que nous trouvons d’ailleurs contradictoire comme démarche. En levant l’immunité parlementaire de Khalifa Sall dans ces conditions, c’est-à-dire en violation des dispositions constitutionnelles et de son propre règlement intérieur, l’Assemblée nationale perd toute sa dignité en tant qu’institution et les députés leur honneur, en tant que représentants du peuple.
Comment appréciez-vous la composition de cette commission ad hoc qui comprend onze membres dont 9 du groupe parlementaire BBY, deux de l’opposition et un non-inscrit ?
Sur le principe, il faut dire que la représentation est proportionnelle par rapport aux forces présentes dans l’hémicycle. Bien entendu, la coalition Benno bokk yaakaar (BBY) étant majoritaire, il va de soi que la composition de la commission reflète cette majorité. Maintenant sur les membres pris individuellement, je n’ai aucun commentaire à faire sauf peut-être leur rappeler de se référer d’abord au tribunal de leur conscience.
Est-ce que la tournure des évènements n’est pas partie pour compliquer davantage la situation de Khalifa Sall ?
Depuis le 07 mars, Khalifa Sall subit beaucoup d’injustices. Mais il est admirable de courage et de dignité face à ces épreuves et réfute toute posture victimaire. Il s’inscrit plutôt dans une logique de combat et de refus de l’arbitraire. Voilà pourquoi nous portons le combat pour sa libération sur tous les plans et à tous les niveaux.
Est-ce qu’une levée de son immunité parlementaire ne va pas rendre Khalifa Sall plus que vulnérable dans cette affaire ?
La levée de l’immunité parlementaire va plutôt fragiliser l’institution législative et porter un sacré coup au principe de la séparation des pouvoirs. Jadis caractérisée de caisse de résonance, l’Assemblée nationale va définitivement consacrer sa servitude et sa subordination à l’Exécutif. Le problème dépasse la personne de Khalifa Sall. Il se pose un vrai problème de respect de l’Etat de Droit et d’autonomie institutionnelle.
Selon vous, comment devrait se dérouler l’audition de Khalifa Sall ?
Il n’y aura pas d’audition. Khalifa a clairement signifié au président de l’Assemblée ses conditions pour être auditionné. Il refuse d’être entendu par la commission tout en étant en état de détention. C’est clair et aucune loi ne peut l’y contraindre.
Comment va-t-il donc se défendre s’il refuse d’être auditionné ?
Il ne refuse pas d’être auditionné. Il exige de l’être dans les conditions normales, c’est-à-dire, de respect de son inviolabilité. Un député doit se présenter libre devant la commission ad hoc. Or, ce n’est pas le cas. Depuis le 14 août, date de la proclamation officielle des résultats, il devait recouvrer la liberté d’office. C’est cela la procédure. Le juge l’a refusée, l’Assemblée l’a ignorée et, un beau jour, on exige qu’il se présente devant une commission pour l’entendre. C’est inadmissible. Voilà pourquoi il ne se rendra pas à l’Assemblée et ne recevra pas non plus une quelconque commission à Rebeuss.
Nous continuerons le combat, parce que nous avons pris l’option de nous battre sur le plan judiciaire et politique. Dans le premier cas, nos avocats continuent la bataille de procédure et il reste en l’état actuel deux recours je crois, devant la Cour suprême. Dans le second cas, vous voyez toutes les initiatives de mobilisation, notamment celles des femmes et des jeunes de Dakar, mais aussi des autres régions, sans oublier l’international et la saisine des chancelleries. Une vraie dynamique est déclenchée pour porter le combat pour sa libération, loin du cirque organisé à l’Assemblée nationale.
Est-ce que ce n’est pas à ses risques et périls de ne pas se donner l’occasion de se défendre devant ses collègues députés ?
C’est une question de principe. Il ne peut pas lui-même violer la loi. Or, en déférant à une convocation de la commission, il accepte la forfaiture. Il se pose ici un problème de respect des procédures en matière de levée de l’immunité parlementaire. La demande de levée prouve qu’il bénéficie de l’immunité et par conséquent, ne pouvait plus être dans les liens de la détention. Et c’est ce qui lui a été refusé par le juge et par l’Assemblée. Accepter d’être auditionné dans ces conditions, c’est cautionner la forfaiture. Nous restons dans les principes quoi que cela nous coûte. Ces députés devaient avoir le courage de défendre un collègue arbitrairement détenu en prison et leur institution rudement éprouvée par l’ingérence excessive de l’Exécutif. C’est cela le vrai débat.
Doit-il aujourd’hui, en vertu de l’article 52 du règlement intérieur, exiger sa libération pour venir se défendre à l’hémicycle ?
Il faut plutôt lever la détention arbitraire dont il est victime. L’Assemblée nationale avait l’impérieux devoir de saisir le juge pour exiger l’arrêt des poursuites, d’autant plus qu’un député comme Issa Sall du PUR a eu l’ingénieuse idée d’écrire au président de l’Assemblée nationale pour demander la cessation des poursuites après les positions du député Cheikh Bamba Dièye, lors de la session d’installation. Khalifa lui-même, par le biais de ses conseils, avait déjà saisi l’Assemblée pour exiger son installation en tant que député. Simplement pour dire que sa place est actuellement à l’hémicycle et non à Rebeuss.
Quelle appréciation faites-vous de la gestion de ce dossier par le parquet ?
La méthode cavalière et l’empressement par lequel le parquet a porté cette affaire prouve à suffisance qu’il est aux ordres de l’Exécutif. Le procureur lui-même a déjà fait son réquisitoire dès l’enquête préliminaire. Maintenant, il fait dans la menace. Mais cela ne saurait nous ébranler et à chaque fois que nous constaterons objectivement des manquements dans l’administration de la justice, nous le dénoncerons.
Comment voyez-vous la démarche du ministère public qui, après avoir dénié à Khalifa Sall son immunité parlementaire, demande la levée de celle-ci ?
Le ministère public a étalé au grand jour ses propres contradictions. C’est à la limite inquiétant dans un Etat de droit. Cela interpelle tous les démocrates et tous les républicains. Et je constate avec regret que le nouveau ministre de la Justice a bien assimilé les leçons de son prédécesseur. Il est dans la même logique de destruction d’un adversaire. Je l’ai entendu minimiser la question de l’immunité pour légitimer cette violation flagrante de la Constitution. C’est très grave pour un juriste de son rang, mais quand on entre en politique à cet âge pour conserver des privilèges, on est assujetti à cette fâcheuse contrainte qu’est l’obligation de plaire.
Est-ce qu’un procès ne serait pas trop risqué pour le maire de Dakar, dès lors que beaucoup pensent qu’il a prêté le flanc dans cette affaire ?
Je voudrais bien savoir en quoi il a prêté le flanc. Que peut-on lui reprocher dans cette affaire ? Rien, sinon d’avoir de l’ambition pour sa ville et pour son pays. Je rappelle que sur le plan de la gestion municipale, Dakar est un bel exemple au Sénégal et en Afrique.
Un million de F CFA par jour dans une caisse qui ne doit pas normalement excéder 6 millions, est-ce que cela ne pose pas un problème de gestion ?
Cela n’est pas exact. C’est de la manipulation savamment orchestrée par nos adversaires pour nous mettre en mal avec l’opinion. Nous avons suffisamment communiqué sur la caisse d’avance, et les prédécesseurs du maire ont confirmé son existence et son utilisation. Ces fonds sont logés dans la rubrique Dépenses diverses votées par le Conseil municipal et mis à la disposition du maire en vertu du principe sacro-saint de la libre administration des collectivités locales. Et d’ailleurs, la première recommandation de l’IGE porte sur les conditions de création de la caisse. Mais le procureur ne s’est jamais intéressé à cette recommandation. Parce que l’étude d’une telle question disculperait carrément le maire de Dakar.
Parallèlement à ses déboires juridiques, Khalifa Sall est aujourd’hui sous la menace d’une expulsion du Parti socialiste. Il lui est reproché, avec ses camarades dont vous, des activités fractionnistes. Comment voyez-vous tout cela ?
Notre attitude est une réponse au suivisme angoissant de la direction du parti arrimé au pouvoir uniquement pour des strapontins. Ceux qui parlent d’exclusion devraient d’abord respecter les textes du parti. Ils violent allègrement les textes et piétinent nos principes et méthodes de fonctionnement. Je les invite à plus de lucidité et de responsabilité. Aucun parti ambitieux ne prendrait le risque d’exclure un nombre assez important de responsables et de militants qui, de surcroît, ont pour la plupart fait leurs preuves.
On a comme l’impression que vos camarades vous lâchent au moment où vous avez le plus besoin de leurs soutiens.
Heureusement que nous ne manquons pas de soutiens aussi bien dans le pays qu’à l’extérieur. Et cela est réconfortant. Les Sénégalais épris de justice nous manifestent chaque jour leur soutien et leur solidarité.
Est-ce qu’une conjonction de ces situations (emprisonnement et condamnation) ne mettrait pas fin à la carrière politique de Khalifa Sall ?
Les épreuves sont certes dures mais elles ne sauraient altérer notre détermination et notre engagement. Le président Senghor disait « qu’en politique, pour durer, il faut endurer ». Khalifa Sall l’a compris et reste plus que jamais attaché à l’idéal qui l’a fait entrer en politique à l’âge de 11 ans. Nous continuerons le combat à ses côtés quelles que soient les situations.
PAR ASSANE MBAYE