A place des ‘’réformettes’’, le Sénégal doit faire un ‘’pas de géant’’ pour être dans les 100 premiers du rapport Doing Business de la Banque mondiale. L’avis est de l’économiste Meïssa Babou qui invite les autorités à mettre en œuvre les vraies réformes.
Dans le rapport Doing Business 2018 de la Banque mondiale, publié mardi dernier, le Sénégal est à la 140e place dans le classement relatif à la facilité de faire des affaires, soit 7 points gagnés par rapport à l’année dernière où il était à la 147e place. Une position que regrette l’économiste Meïssa Babou. ‘’La 140e place, ce n’est pas honorable. Le Sénégal gagnerait quand même à davantage réformer. Parce qu’en fait, l’essentiel de ce classement est dicté par le manque de réformes, surtout celles liées à la terre. On attend beaucoup de cette réforme-là, en plus de celle fiscale’’, souligne l’économiste contacté par ‘’EnQuête’’. Selon M. Babou, c’est ce que la Banque mondiale a toujours exigé. Dès lors, il estime qu’il faut que le gouvernement essaie de réformer davantage pour sécuriser l’investisseur étranger. ‘’Il ne sert à rien de créer une entreprise, si la terre et la fiscalité ne sont pas favorables. Malheureusement, la justice aussi pose problème. Sur ces trois domaines, le Sénégal doit essayer de se refaire pour gagner des points. A ce niveau, ce n’est franchement pas honorable’’, renchérit-il.
Il faut noter que le Sénégal a mis en œuvre cinq réformes, d’après les données du rapport Doing Business 2018. Celles-ci concernent la création d’entreprise, l’obtention de prêts, le transfert de propriété, le paiement des taxes et impôts et l’exécution des contrats. Grâce à ces réformes, le Sénégal se trouve parmi les cinq pays les plus réformateurs d’Afrique subsaharienne, aux côtés du Malawi, de Djibouti, de la Zambie et du Nigeria. Il figure aussi parmi les 13 pays au monde à avoir mis en œuvre au moins cinq réformes significatives, cette année. ‘’Tant qu’on n’est pas dans le top 100, on doit se cacher, quand on parle de Doing Business dans le monde. Depuis 4 ou 5 ans, on n’a pas gagné 20 places. Ce que nous faisons, ce sont de petits bonds. Ce sont des réformettes qui nous ont permis de le faire. Il faut faire un pas de géant et mettre les réformes qu’il faut’’, préconise l’économiste.
La paix sociale et la démocratie ‘’ne suffisent pas’’
Pour lui, le Sénégal peut être dans le top 100, car ‘’ce n’est pas difficile’’. Il suffit, selon M. Babou, ‘’d’abandonner les réformettes’’. ‘’Ce qu’ils sont en train de faire, ce ne sont pas des réformes majeures que la Banque mondiale attend pour les investisseurs étrangers. Il faut aller en profondeur sur le droit foncier, le mode de financement des entreprises, la fiscalité. Ne pas seulement nous dire qu’on peut créer au Sénégal une entreprise en 24 heures. C’est vrai. Mais après, ça ne bouge pas’’, regrette-t-il. La fiscalité, selon lui, est ‘’trop lourde’’. En réalité, l’impôt sur le revenu est de 30 %, et Meïssa Babou juge ce taux ‘’exécrable’’ pour les entreprises.
Ainsi, l’économiste estime que le Sénégal a ‘’beaucoup de problèmes’’ et il faut les régler, pour être dans un environnement de classe internationale. Vu que ces rapports sont des ‘’indicateurs majeurs’’ de classement, il faut essayer de se positionner et ne pas se contenter des acquis. ‘’Notre paix sociale et la démocratie ne suffisent pas pour attirer quelqu’un qui cherche à gagner de l’argent. Qu’on le veuille ou non, certains investisseurs qui ne connaissent pas notre pays sont obligés de se rabattre sur ces paramètres-là. Ça leur donne un peu une idée de la difficulté qui les attend dans le pays. Ils font le classement des risques par pays, et s’ils remarquent des problèmes majeurs, surtout pour le Doing Business, cela peut les freiner’’, souligne-t-il.
AMADOU LAMINE BA, DIRECTEUR DE L’ENVIRONNEMENT DES AFFAIRES DE L’APIX
‘’L’objectif du Sénégal, c’était d’être dans le top 100, mais en 2020’’
Le Sénégal est loin du top 100 du classement du Doing Business. La publication du dernier rapport montre que le pays a réalisé des progrès minimes, par rapport à l’ambition affichée par les autorités. Mais si on en croit le directeur de l’Environnement des affaires de l’APIX, Amadou Lamine Ba, joint par ‘’EnQuête’’, notre pays est dans les temps, puisque l’échéance qu’ils se sont fixée est plutôt ‘’2020’’ et non 2018. ‘’L’objectif du Sénégal, c’était d’être dans le top 100, mais en 2020. Ce n’était pas pour cette année. On a formulé la 2e phase du programme de réformes dans un objectif qui, dans les 3 ans à venir, devrait nous porter sur le top 100. Maintenant, pour pouvoir arriver dans le top 100, on a besoin de nous améliorer, au moins, de deux à trois points, pour cette année qui est celle de transition’’, explique-t-il.
Le directeur de l’Environnement des affaires de l’APIX souligne que le plan de réformes, dont la mise en œuvre est en cours, commence à ‘’se faire ressentir’’. ‘’De façon globale, dans le monde, les gens avancent de 0,75 %, en termes de distance frontière et la moyenne en Afrique c’est à peu près 1,2 %. Ces dernières années, le Sénégal a avancé autour de 3 %. Ce qui veut dire qu’on a une vitesse qui est assez bonne. Aujourd’hui, on est à peu près dans la même catégorie que les pays qui avancent comme l’Inde, le Rwanda, l’Île Maurice. Ce qui n’était pas le cas, il y a quelques années’’, défend-t-il.
Toutefois, le chargé de l’Environnement des affaires de l’APIX admet qu’il y a aussi une ‘’nécessité de redoubler d’efforts’’. Car, précise-t-il, l’idée n’est pas seulement d’avancer sur trois, quatre ou cinq ans, mais plutôt dans la durée, sur dix ans, par exemple. ‘’Aujourd’hui, si on regarde par rapport aux objectifs qu’on s’était fixés, on peut dire qu’on les a atteints en partie. Maintenant, il faut continuer l’année prochaine et en 2019, et dans le rapport Doing Business 2020 qui doit sortir en 2019, on constatera si on a atteint le top 100 ou pas’’.
MARIAMA DIEME