L’opération de déguerpissement des grandes artères de Touba tarde à faire des résultats. Ordonnée par le khalife général des Mourides, Serigne Sidi Mokhtar Mbacké, et exécutée par les forces de sécurité, elle s’est heurtée à la résistance des tabliers et marchands ambulants. Ces derniers rejettent les solutions à long terme et accusent la mairie.
Mamadou Diop, tablier installé sur le trottoir de la rue du marché Ocasse de Touba, ramasse sa marchandise (écouteurs, chargeurs et batteries de téléphones portables…) dispersée par un agent de sécurité de proximité (ASP). Le jeune marchand, visage renfrogné, défie son vis-à-vis qui tient à emporter son petit business dans la fourgonnette de la police de Touba stationnée au milieu de la rue. Le petit commerçant, vêtu d’un ensemble traditionnel bleu, ne cache pas son amertume. Insultes à la bouche, il jure par le fondateur du Mouridisme (Cheikh Ahmadou Bamba) que le premier (ASP) qui toucherait à son business serait massacré.
Ce débrouillard, originaire de Darou Mousty, refuse de quitter cette rue, malgré l’interdiction des occupations anarchiques des grandes artères de la ville de Touba venu du Khalife général des Mourides, Serigne Sidy Moctar Mbacké. ‘’Je ne bougerai pas d’un iota. Je gagne ma vie ici. Si je quitte cet endroit, je vais rester à la maison. Ce ne sont pas ces policiers ou les agents de la commune de Touba qui vont prendre en charge ma famille’’, peste-t-il, sous le regard curieux des autres vendeurs. Cette attitude de Mamadou Diop est la même chez les autres tabliers. Ils sont déterminés à continuer leurs activités dans cette partie du grand marché de Touba.
Les opérations de déguerpissement, initiées dans la ville sainte de Touba à la veille des Magal, ont toujours échoué à cause d’une résistance farouche des commerçants et autres marchands ambulants. Le ‘’ndigël’’ donné cette année par Serigne Sidi Mokhtar Mbacké, piloté depuis le 12 octobre dernier par son porte-parole Cheikh Bassirou Mbacké Abdou Khadre, n’échappe pas à la règle. Certes des tracteurs et bulldozers ont démoli, le 19 octobre dernier, les cantines irrégulièrement construites et emporté des tables installées sur les trottoirs ; mais leurs propriétaires sont revenus une semaine après. La présence des forces de l’ordre ne les intimide guère.
Les policiers du commissariat spécial de Touba, accompagnés des membres du dahira ‘’Safinatoul Hamaan’’ et d’une vingtaine d’agents de sécurité de proximité, sont venus tôt le matin du jeudi 26 octobre 2017 exécuter la consigne du Khalife général des Mourides, Serigne Sidy Moctar Mbacké (déguerpir les tabliers qui encombrent les grandes artères de la ville de Touba). Ils sont parvenus à embarquer une dizaine de récalcitrants et leurs marchandises dans une fourgonnette avant de les acheminer au poste de contrôle de la commune de Touba. Mais au même moment, d’autres contrevenants leur donnaient du fil à retordre.
Ils ont du mal à faire face à ces centaines de jeunes et de femmes déterminés à occuper les trottoirs et la chaussée du boulevard du marché Ocasse, à tout prix. Tabliers, vendeurs à la sauvette et cireurs de chaussures ont pris d’assaut les lieux vers 11 heures 30 minutes, malgré la présence des forces de sécurité. Ils ont attendu le départ de la voiture de police pour occuper cette rue s’étendant sur 500 mètres. Le marché Ocasse revit ainsi quelques minutes après avoir été vidé de son monde. L’ambiance atteint son paroxysme en l’espace de quelques minutes. Les commerçants usent de tous les moyens pour héler les clients qui traversent la ruelle. Les plus pragmatiques utilisent des speakers, alors que les autres se contentent de leurs voix. Les cris fusent de partout.
Boulevard du marché Ocasse, terre bénite
Pourtant le porte-parole du Khalife général des Mourides, Serigne Bassirou Mbacké Abdou Khadre, a récemment donné des garanties sur la préservation de leurs intérêts après les opérations de déguerpissement. ''Nul ne peut prétendre avoir plus de compassion à l'endroit des commerçants déguerpis que le khalife Serigne Sidy Mokhtar Mbacké. Il m'a demandé de trouver des solutions alternatives. J'en ai discuté avec l'État et trois marchés seront construits. Des instructions ont été aussi données au sous-préfet par ses supérieurs de répertorier ceux qui ont été lésés par cette opération de déguerpissement. Ils seront relogés dès que les marchés seront opérationnels », tempérait le guide religieux, mardi dernier lors d’une conférence de presse.
Mais les tabliers ne veulent pas entendre un tel discours. Pour le président de l’Association des marchands ambulants du marché Ocasse de Touba, El Hadji Fall, la construction des nouveaux marchés pour les recaser est une solution à long terme et ils ne peuvent pas attendre l’achèvement de ces projets. ‘’Nous ne pouvons pas rester une ou deux années sans travailler. L’Etat doit essayer de nous encadrer en formalisant l’occupation. Nous sommes prêts à payer des taxes journalières ou mensuelles en attendant la finition des nouveaux marchés’’, indique-t-il.
Une commerçante justifie même cette occasion par un facteur spirituel. Selon Astou Seck, vendeuse de tissus, ce boulevard est une terre bénite par Serigne Fallou Mbacké (deuxième khalife général des mourides 1945-1968). Selon la dame, le marabout avait prié pour les commerçants qui y étaient établis dans les années 1960. ‘’Les vendeurs de l’époque ont pendant longtemps fait de gros bénéfices. C’est pourquoi après la construction de la route, ils ont refusé de quitter le lieu. D’autres sont venus les rejoindre, renseigne-t-elle. ‘’Les occupants laissent plusieurs marchés à Mbacké, Ndam, Kael, Darou Mousty pour s’activer ici. Donc ce n’est pas un hasard, renchérit El Hadji Fall, le président de l’Association qui dit avoir enregistré plus de 1 600 membres. Un autre commerçant, réagissant sous couvert de l’anonymat, lui, accuse la mairie de Touba. ‘’Le khalife ne veut pas nous déguerpir. Ce sont les agents de la commune qui veulent nous mettre en mal avec lui. Ce sont eux qui sont derrière cette affaire. Nous travaillons, nous contribuons au développement de la ville et de notre pays », se défend-il.
La rue menant à la résidence respire
A la rue menant à la porte centrale de la grande mosquée, l’ambiance est tout autre. Les activités reprennent timidement, après que le ménage a été fait. Les quelques marchands sur place n’osent pas étaler la totalité leurs marchandises. Ils ont juste exposé quelques échantillons (chaussures, parfums) tout en guettant un contrôle inopiné de la police.
Finalement, seule la route principale qui mène à la résidence Khadimou Rassoul est épargnée des occupations anarchiques. Elle respire pour le moment. La quiétude de la maison des hôtes du Khalife général des Mourides n’est perturbée que par le bruit des voitures assurant le trajet Mbacké-Touba et les cris des apprentis en quête de clients.
Deuxième ville du Sénégal sur le plan démographique, Touba connaît les mêmes problèmes d’occupation que la capitale sénégalaise, Dakar. Le déguerpissement des marchands ambulants se pose avec acuité. Doté d’un statut spécial et d’une autorité reconnue, l’on croyait que la consigne du Khalife ne serait pas outrepassée. A dix jours de la commémoration du départ en exil de Cheikh Amadou Bamba, les tabliers refusent de lâcher du lest. Ils continuent leurs activités tout en accusant la municipalité de Touba d’être à l’origine de cette opération de déguerpissement. Les grandes artères de la ville continuent donc d’être encombrées malgré la consigne du guide et l’intervention de la police.