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Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre du Sénégal: “Mon père Wade, Macky et moi“
Publié le samedi 21 octobre 2017  |  Sud Quotidien
L`ancien
© Autre presse par DR
L`ancien Premier ministre Abdoul Mbaye a lancé son parti politique




La soixantaine révolue, loin d’incarner l’homme détaché de la réalité de son pays, Abdoul Mbaye, pour d’aucuns le banquier, pour d’autres le sportif et pour certains l’homme politique, est conscient des enjeux de l’heure et reste alerte sur ce qui se passe dans son propre environnement. Oui, il se réclame un authentique sénégalais car il appartient à ce pays de la Téranga, où il a d’ailleurs vu le jour. Contrairement aux jugements de certains à son égard (le fils de… ; l’homme riche), Abdoul Mbaye a préféré non pas, la cuillère en or mais plutôt de se battre pour réussir. C’est la raison pour laquelle, il entend «Servir» son peuple par «l’action politique» en vue de réaliser son fameux rêve de «politique autrement» : unique moyen de tenir les rênes pour une bonne gestion de la politique en luttant contre la mauvaise politique. Sur l’échiquier politique, il veut peser son poids pour maintenir une constance dans le landerneau politique sénégalais. C’est là toute l’essence de sa confidence dans ce deuxième numéro de «Sud Détente» où sans détours, point d’esquive, le Premier, premier ministre de Macky Sall jette un coup d’œil dans le rétroviseur pour apprécier le quinquennat du Chef de l’Etat, sa naissance, son enfance, ses origines multiculturelles, son amour pour la patrie et son admiration pour Nelson Mandela. Détendez-vous comme lui et bonne lecture.

Etre le fils de Keba Mbaye est-il un fardeau lourd à porter ?

Loin de là ! D’abord, vous êtes sans doute venus vers l’homme politique. Et le juge Kéba Mbaye adorait la politique mais il n’a jamais accepté d’en faire. Donc, cela prouve bien que je ne suis pas seulement dans ses pas. Au contraire, telle que votre question est posée, ce n’est pas un fardeau mais une grande fierté. Je suis très fier d’avoir un père comme le juge Kéba Mbaye. Et il faut d’ailleurs savoir aussi que tout ce que j’entreprends aujourd’hui c’est grâce à son éclairage même en son absence parce qu’il a été de son vivant très proche de ses enfants, par ses conseils, parfois même des directives. On se souvient de ses propos aujourd’hui encore et on agit en conséquence. Et même quand je fais de la politique, je considère que c’est un peu en continuité, au moins, de constat qu’il avait eu à faire. D’ailleurs, tout le monde se souvient également de sa fameuse phrase «les sénégalais sont fatigués» (Kéba Mbaye l’avait dit au président Diouf, Ndlr). Aujourd’hui ce qu’il faut, c’est essayer de sortir de cette situation, et cela c’est l’action politique qui le peut. Tout le monde se souvient également de son dernier discours, une dernière intervention publique à l’UCAD consacrée à l’éthique. Ah oui ! Il avait fait de tristes constats pour notre pays. Il nous charge à nous, la succession. Donc, de passer à l’action mais celle-ci, encore une fois est politique.

Que retenir alors d’Abdoul Mbaye en termes de parcours ?

Racontez mon parcours cela peut être long. Vu mon grand âge (rires). Disons que je suis né dans cette famille dont le chef était le juge Kéba Mbaye. D’abord, j’ai fait mes études primaires au point E, ensuite elles se sont poursuivies à Fann, puis je suis allé à l’époque au lycée Van Vollenhoven, actuel lycée Lamine Guèye que j’ai quitté après le Bac pour aller préparer les grandes écoles commerciales en France, précisément au lycée Louis Le Grand, un lycée prestigieux. Grâce à mes résultats mais aussi à l’entregent du papa qui était très attentif aux études de ses enfants. Donc, quand je suis sorti, j’ai intégré les Hautes Ecoles Commerciales (HEC). Diplômé des HEC, je l’ai aussi été à la Sorbonne, en économie. Puis, je suis revenu et j’ai intégré en premier emploi la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) dont le siège se trouvait à l’époque à Paris. Par la suite, on a déménagé pour venir à Dakar. Là, j’ai repris des études d’économie. J’ai commencé en Doctorat mais j’ai dû abandonner parce que je me suis vu confier des responsabilités de chefs de division à la banque centrale mais juste après je l’ai quitté pour diriger la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS). Et après ce fût la Banque Internationale pour l’Afrique Occidentale (BIAO) Sénégal parce que cela avait marché une première fois, on a considéré que cela pouvait également marcher une seconde fois pour en faire une banque commerciale. Ensuite, ce fût la Banque sénégalo-Tunisienne (BST) qui est devenu après Attijari Bank du Sénégal, suite à sa fusion avec la CBAO. Et voilà ! Ma carrière bancaire a pris fin à ce moment.

Nonobstant ce parcours, d’aucuns estiment que c’est en avril 2012 que les Sénégalais vous ont véritablement connu avec le poste de Premier ministre ?

Ecoutez ! Difficile à dire hein. Parce qu’il y a eu plusieurs M. Mbaye si je puis m’exprimer ainsi. Il y a le Abdoul Mbaye Banquier, et je crois que les sénégalais ont su que celui-ci existait bien quelque part. Et je crois même avoir été affublé du surnom de «Docteur des Banques». Il y a aussi l’Abdoul Mbaye qui a été Dirigeant sportif, Trésorier de la Fédération de football et Président de la Fédération Sénégalaise d’Athlétisme. Je crois que celui-là est également connu par endroit. Et aujourd’hui, il y a Abdoul Mbaye, l’homme politique. Après, il y a eu Abdoul Mbaye, le Premier Ministre, qui ne faisait pas de politique (rires). Lui aussi, je crois que les sénégalais l’ont découvert. Mais aujourd’hui Abdoul Mbaye est en apprentissage de politique.

Vous semblez accorder une importance particulière au port vestimentaire. Est-ce un simple goût à l’élégance ?

(Visiblement surpris) Il est difficile de répondre à une telle question. Par contre, je pense à une observation un jour venant de Feu mon père. Il avait eu à répondre à une personne qui l’interrogeait sur ce à quoi pouvait ressembler mon grand-père. Et ce jour-là, mon père lui avait répondu : «mais regarde Abdoul, c’est exactement la même chose, aussi bien sur la taille que sur l’élégance» (éclats de rires). C’est peut-être à cause de cela, un atavisme en quelque sorte. En tout cas, je vous remercie pour le compliment.

Vous avez été absent pendant un certain moment du Sénégal pour les raisons de vos études. Que retenez-vous de vos voyages ? Et quelles émotions cela vous a-t-il fait de revenir dans votre pays natal ?

D’abord, c’est un fort sentiment de dépaysement lorsqu’il a fallu commencer l’étude au lycée Louis Le Grand et puis dans un inconfort auquel je n’étais pas habitué. J’avais ma petite chambre ici à Dakar et puis je devais rejoindre un dortoir immense, avec des toilettes à faire 2 ou 3 fois par semaine. Et bon, cela n’a pas été facile. C’était une adaptation difficile, très difficile d’ailleurs au point que j’étais tombé gravement malade lorsque l’hiver est arrivé. Et il a fallu passer 5 mois à l’infirmerie du lycée. Mais on a fini par s’adapter. La preuve en est que nous avons pu donner de la satisfaction à nos parents, qui attendaient de bons résultats. Par contre, à un moment donné tout de même j’avais une très grosse envie de revenir au Sénégal. Heureusement, j’avais fait un choix professionnel qui me l’a permis très vite puisque la Banque Centrale a quitté son siège parisien pour s’installer à Dakar en 1978. De là, je me suis retrouvé dans mon pays et je n’en suis plus sorti.

Vous avez exercé la fonction de Banquier. Avez-vous définitivement tourné cette page au détriment de la politique ?

Ecoutez ! Je fais de la politique mais je ne fais pas de la politique par profession. Il n’y a pas de substitution également. Je continue à m’intéresser aux métiers de la Banque à travers une activité de consultance.

Vous avez créé un parti politique qui a à peine un an d’existence, ‘’l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail’’. Nous savons tous qu’à l’origine vous n’êtes pas un politicien. Qu’est-ce qui vous à pousser à entrer dans le jeu politique?

Ben, justement être un homme politique différent des politiciens (rires). J’ai considéré à un moment donné au regard de mon expérience professionnelle et de mon expérience gouvernementale également et même post-gouvernementale, que les vrais problèmes du Sénégal viennent des dirigeants politiques. Donc, ce sont des problèmes de gouvernance. Et par conséquent du choix de ces derniers par les électeurs. Globalement, c’est un problème totalement politique. On n’a pris l’habitude au Sénégal de choisir, pour diriger notre pays à tous les échelons possibles, intermédiaires comme supérieurs, des politiciens professionnels. Pour l’essentiel 95% sont des personnes, qui ne savent pas faire autre chose que de la politique et qui attendent également de la politique, l’ascension sociale, le train de vie, l’enrichissement. Evidemment, je considère que tant que nous serons dans une telle logique, le développement économique du Sénégal n’aura pas lieu. En tout cas, il ne se mesurera pas en terme de véritable amélioration du niveau de vie des populations. Il est donc essentiel de faire de la politique autrement et de revenir à ce que doit être la politique, à ce que la politique n’aurait jamais dû cesser d’être, c’est-à-dire un sacerdoce au service des populations et au service de sa patrie.

Quelle est l’idéologie qui sous-tend votre parti ?

Nous, nous mettons devant d’abord le concept de «politique autrement» en ce sens qu’il nous sommes pour une rupture dans la manière de conduire la politique. Cessons de conduire la politique dans le sens d’intérêt particulier, dans le sens de nos propres intérêts, que ce soient de l’argent ou de souci de promotion sociale et mettons devant ce que n’aurait jamais dû cesser d’être la politique, l’intérêt général, l’intérêt de la patrie. Mais au-delà de ça, comme nous faisons beaucoup de places à la citoyenneté, à la solidarité, nous avons rejoint le courant social-démocrate en matière d’idéologie.

Pourquoi Social-Démocrate ? La différence n’en est pas moins grande entre socialisme et démocratie.

Bon, ce sont des courants qui se sont définis au fil du temps. Comme vous le savez le socialisme par exemple est très centralisateur car, il a eu cette réputation alors que la sociale démocratie fait beaucoup de places en Occident à l’autogestion, à l’initiative personnelle et nous, on considère qu’en Afrique, la solidarité doit avoir un sens très fort. C’est vrai qu’à ce moment-là, on l’emprunte un peu au socialisme mais on préfère nous trouver un rattachement avec la sociale démocratie.

Mais nous savons tous qu’un banquier croit au profit, à l’économie du marché. Et qui dit profit dit Libéralisme. Pouvez-vous être plus explicite ?

Mais attention ! Je ne refuse pas le rôle de l’entreprise comme lieu essentiel de création de valeur. Il faut que ce soit très clair. Mais ceux qui me connaissent et ceux qui ont vécu en proximité de ma manière de gérer les établissements qui m’ont été confiés, savent que j’ai toujours accordé beaucoup d’importance au partage du revenu. Parce que finalement, c’est cela. C’est vrai il y a l’entreprise, il y a les propriétaires de l’entreprise qui créent l’entreprise, qui la font fonctionner pour leurs propres résultats mais également pour leur propre besoin. Mais, il est aussi important d’associer ceux qui participent, et en ce sens, on devient presque socialiste quoi (rires).

Quels sont vos modèles d’hommes politiques ? Vos références dans ce domaine.

Ma référence dans ce domaine, c’est Nelson Mandela. En tant qu’africain, c’est quelqu’un qui s’est complètement oublié au profit de la paix dans son pays, la paix dans la condition de l’amener sur la voie du progrès économique dont bénéficierait l’ensemble de la population de l’Afrique du Sud.

Est-ce votre seul modèle ?

De modèles, je n’en ai pas beaucoup peut-être parce que je ne me suis pas longtemps intéressé à la chose politique mais c’est un Monsieur de très grande envergure, qui malheureusement, ne constitue pas suffisamment un modèle pour les chefs d’Etat africains. Et c’est pourquoi, je me contenterai de ne citer que lui. Aujourd’hui évidemment je suis attentif également à ce que Paul Kagamé a fait pour son pays. C’est quelque chose de très impressionnant, de voir que pour véritablement mettre son pays sur la voie du progrès, il faut d’abord l’aimer. Malheureusement, nous avons des hommes politiques et des femmes politiques qui souvent n’aiment pas leur pays mais qui, comme je le disais tout à l’heure, accèdent à des fonctions politiques pour leur propre besoin, des besoins de leur famille.

Quelles relations entretenez-vous avec les hommes politiques sénégalais ? Parmi eux, qui sont vos amis ?

Alors des amis, c’est beaucoup dire ! Mais très certainement de très bonnes relations, des relations de respect mutuel. D’ailleurs, parfois, ils auraient pu être de l’autre côté. Bien, je ne vais pas les citer pour ne pas leur créer des problèmes (rires). Mais Thierno Alassane Sall est l’un d’entre eux, c’est plus facile de le citer puisqu’il a quitté. Evidemment, on a des échanges réguliers avec des personnes comme Malick Gackou, comme Ousmane Sonko. Il y a aussi Aïssata Tall Sall que je considère comme une véritable sœur. Je ne peux pas tous les citer, mais on a de très bons rapports avec Mamadou Lamine Diallo et d’autres hommes politiques.

Quelle analyse pouvez-vous faire de la politique sénégalaise de 2012 à 2017 ?

Je ne sais pas si tout le monde va raisonner comme moi mais d’abord, je vois une grosse déception parce qu’un enthousiasme formidable au départ, une certitude que nous allions vers une nouvelle manière justement de conduire la politique de notre pays avec des promesses très fortes, qui avaient même créées l’admiration à travers le monde : un mandat de 7 ans amené à 5 ans, un gouvernement limité à 25 membres, la patrie avant le parti. Et puis, finalement on est retombé dans ce qui crée les catastrophes dans notre pays avec des scandales financiers. C’est vraiment lamentable. Alors pour aller au-delà de cette analyse, la politique telle qu’elle est conduite par le régime en place et pour en venir à la vie politique de manière générale, j’avoue que je suis en apprentissage, je découvre parfois des choses terribles : l’importante place prise par la trahison, par la transhumance, par l’argent achetant des consciences. Mais, je crois qu’il ne faut pas se laisser décourager. Il faut être persuadé, convaincu, en tout cas c’est notre cas, que l’éthique finalement pourra trouver sa place en politique et que la vie politique sénégalaise d’une manière générale pourra s’améliorer et gagner en qualité.

Y-a-t-il des auteurs que vous prenez plaisir à lire ? Quels sont les ouvrages que vous préférez ?

Ces temps-ci, je lis beaucoup les ouvrages sur les modes de gouvernance post-prophétiques d’ailleurs. Je suis intéressé par la manière dont les khalifes ayant succédé au Prophète Mohamed (PSL) ont conduit, ont dirigé l’Etat musulman. Et je suis émerveillé justement par la place donnée à l’éthique, à la morale, à l’intérêt général mais également à l’intérêt particulier en ce sens où, non seulement c’est l’intérêt général qui était toujours mis en place, on avait une constante référence à la pratique du prophète (PSL), leur référentiel évidemment c’était le Coran et la Sunna. Mais au-delà de cela, il s’agissait de dirigeants qui étaient soucieux de faire le bien dans le geste individuel tout en étant parfois très dur pour appliquer des sanctions. Donc, ce sont des lectures qui me captivent, qui m’intéressent au plus haut point. Et peut-être que les dernières pages que j’ai tenté de lire par contre étaient assez loin de cela. Il s’agit d’un livre qui explique comment les pays riches sont devenus riches et comment les pays pauvres restent pauvres (rires).

Nous savons que vous êtes l’un des rares hommes politiques à écrire. En effet, vous avez écrit « Servir », œuvre traduite aussi en arabe. Pouvez-vous expliquer la substance de ce livre à nos lecteurs ?

Ce livre je l’ai écrit d’abord pour l’histoire. Quand je dis l’histoire d’ailleurs, c’est pour le futur en ce sens que je vous décrivais tout à l’heure ma carrière professionnelle. J’ai toujours été mis en mission. Et, à chaque fin de mission, je me suis contraint par procédure d’abord mais également par des goûts personnels à rendre compte de la mission qui m’avait été confiée. Là, on m’avait confié quand même une mission importante. Le Président de la République m’avait confié les fonctions de Premier Ministre du Sénégal. Donc, il était important pour l’histoire que j’explique comment j’allais assumer cette fonction, dans quel état d’esprit. Je crois que j’ai surtout à travers ce livre voulu démontrer qu’on pouvait être loyal vis-à-vis d’une personne et exécuter la mise en œuvre d’un programme en fidélité à cette loyauté mais allant dans le sens de l’intérêt général. Et ça, je l’ai été de bout en bout, vous l’avez vu ! Je crois qu’il était également important que je démontre dans cette œuvre à quel moment j’avais pu être bloqué. Car même si j’ai travaillé sous ordres, il fallait que j’apporte moi-même ma part de touche personnelle et jamais en direction d’intérêt propre ou d’intérêt proche, mais toujours en direction du peuple et de mon pays. Et je crois que c’était important de faire ce témoignage. Donc, d’abord nous l’avons traduit en français mais puisque nous avons dans notre pays des nombreux arabisants, une culture arabe réelle, j’ai considéré également qu’il était important de ne pas exclure ces lecteurs ne pouvant lire le français.

Récemment, vous vous êtes rendu à Fann Résidence chez le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais (PDS) Me Abdoulaye Wade. Vous avez eu un long entretien. Est-ce pour une nouvelle alliance contre le régime de l’actuel Président M. Macky Sall?

Oui, c’est vrai que je suis allé voir le Secrétaire général du PDS. Mais, pour ma part, je suis allé voir un oncle, un ami de mon père de très longue date. Et je suis allé le voir parce que depuis que j’ai créé ce parti il n’y a pas longtemps, disons que je ne suis pas le seul à l’avoir créé, mais depuis que j’ai pris la direction de ce parti, je n’avais pas eu l’occasion d’aller échanger avec quelqu’un, bon gré mal gré qu’on ne peut que considérer comme un monument politique au Sénégal. D’abord, par sa longévité politique, ensuite par sa maîtrise de l’art de la politique. Et j’étais sûr également de n’avoir que de bons conseils en raison des relations personnelles et presque familiales qui nous lient. Donc, on n’a jamais parlé d’alliance avec le PDS. Ce n’était vraiment pas l’objectif. J’avais besoin de conseils, je suis allé les chercher en même temps que cela me faisait plaisir de revoir un ami cher à Feu mon père.

Quel commentaire pouvez-vous faire du budget de l’Etat du Sénégal. Quel impact aura-t-il sur le vécu des sénégalais sachant que la grande part servira à couvrir les salaires des fonctionnaires ?

Ecoutez ! Ça c’est un gros problème, disons de l’utilisation des ressources de notre pays. Non seulement on privilégie le fonctionnement mais également il faut le reconnaître, c’est un petit monde de privilégiés, parmi les 14 millions de sénégalais, qui en profite. Remettre en cause cette structure de notre budget prendra du temps et ne sera pas chose facile. Mais, il faudra bien que la distribution de la ressource sénégalaise de manière globale soit plus inclusive, plus large et plus étendue. Je pense que le tournant à ne pas rater sera celui qui viendra avec l’exploitation du gaz et du pétrole. Mais à la condition, que ceux qui nous dirigent ne mettent pas la main dessus, comme ils ont pris l’habitude de le faire. Et malheureusement, les premiers pas constatés vont dans cette direction.

Que vous inspire le village d’origine de votre grand-père paternel Sinthiou Bamambé ? A quand remonte votre dernière visite dans ce lieu ?

Vous savez je m’y suis rendu une seule fois et c’était au début de cette année. C’était pour moi jusqu’à ce moment-là un nom un peu magique. Sinthiou Bamambé ce n’est pas un nom courant (rires). Mais je dois dire que j’ai connu mon grand-père, il m’adorait d’ailleurs, je lui étais très attaché mais je l’ai connu alors qu’il était déjà devenu résident à Kaolack. Et c’est donc, dans cette ville que j’allais lui rendre visite. Ce qui fait qu’on n’a jamais eu besoin de nous rendre à notre village. Mais en m’y rendant cette année, j’ai constaté qu’une partie de la famille y était encore. C’est un petit village. Cela me plairait d’y retourner mais c’est quand même un village très éloigné. Et le hasard a fait que ma petite sœur se soit mariée avec un ressortissant de Sinthiou Bamambé (éclats de rires). Donc, nous avons une double raison de nous intéresser à ce village. J’espère que le futur nous donnera l’occasion de le manifester.

Peut-on dire qu’Abdoul Mbaye est un homme attaché à sa culture, à ses origines ?

Mes origines, elles sont multiples. Vous avez cité Sinthiou Bamambé, je peux y ajouter les origines : malienne, gambienne. Je suis donc le produit d’un métissage africain. Et je ne privilégie pas une origine en particulier. Je les accepte toutes. Ceci dit, Mbaye c’est bien Sinthiou Bamambé a priori, je me considère comme un toucouleur ne parlant pas toucouleur malheureusement (rires).


Pour beaucoup de sénégalais, vous êtes né avec une cuillère en or dans la bouche, et que vous n’avez jamais connu la souffrance. Quel est votre avis à ce sujet?

D’abord, j’ai entendu parfois ma mère parler des premiers moments difficiles de son ménage. Mon père était instituteur, il n’a pas toujours été le Président de la Cour suprême. Et c’est parce que c’était difficile qu’il a décidé de reprendre ses études, d’aller passer le Baccalauréat, d’entamer des études de droit etc. Donc, on n’a pas toujours été dans l’opulence et la cuillère n’a pas toujours été en or (rires), si un jour elle l’est devenue. Donc, je crois que c’est d’abord important. Ceci dit, je considère que nous avons, quand même sur une partie de notre enfance et de notre existence, été des privilégiés par rapport à d’autres concitoyens. Mais nous n’avons pas été les seuls non plus. Par contre, je ne les remercierai jamais assez mes parents de nous avoir fait comprendre que nous ne deviendrons que ce que nous voudrons devenir. Et puis, ils ont exigé de nous beaucoup de travail et des résultats. Cela a pu produire ses effets. On aurait pu se contenter de la cuillère en or pour reprendre votre expression (rires). Et finalement, elle aurait fini par s’user dans notre bouche. Mais non ! Le papa avait l’habitude de dire que «quel que soit le métier que vous aurez choisi, tâchez d’être parmi les meilleurs». Je me souviens également l’année où je passais mon BAC, un jour il me surprend en train de jouer au football dans la rue à côté de la maison. Il m’appelle et me dit «c’est l’année du baccalauréat, tu ne peux pas avoir un petit Bac». Il faut aller travailler, alors c’est comme ça qu’on a été élevé mais pas dans la paresse et dans le confort d’une cuillère en or dans la bouche (rires).

Sur ce, pensez-vous suffisamment comprendre la réalité quotidienne des sénégalais pour vous engagez à défendre leurs intérêts ?

Mais bien évidemment que je suis conscient des difficultés que vivent les sénégalais. J’en fréquente, j’en reçois tous les jours, je le constate et si on devait demander à tous les hommes politiques d’être dans la pauvreté pour pouvoir s’intéresser à la pauvreté mais on ne s’en sortirait pas (rires). Ou en tout cas, vous allez en éliminer beaucoup parce que vous avez autour de moi, des hommes politiques qui sont dix fois, cent fois plus riches que moi, et qui pourtant, font de la politique. Donc, je crois que le problème n’est pas là, il est dans le don de soi. Moi j’y crois, je reviens à cette politique sacerdoce, à la volonté de pouvoir donner de soi-même pour aider son prochain, pour aider autour de soi. Et à ce moment-là d’ailleurs, c’est vrai, il y a des sénégalais qui souffrent mais il y a aussi des sénégalais en parfait état de vie qui ont besoin de dirigeants politiques de qualité. Donc, je ne vois pas pourquoi, on devrait faire un rapport étroit entre le niveau d’aisance de sa propre vie et l’engagement politique. Dans ce cas, vous allez demander au Président Macky Sall de démissionner immédiatement, il est plus riche que moi (avec humour).

Vous vous êtes présenté lors des élections législatives du 30 juillet 2017 avec la coalition « Joyyanti ». Mais, beaucoup ne comprennent pas le sens de ce mot. Pouvez-vous nous expliquer ?

Tenez ! Vous me reprochiez tout à l’heure d’être loin de ma culture, de ne pas bien comprendre les sénégalais (rires). Ben, c’est un mot Wolof très connu dans le milieu rural mais peut-être pas assez dans le milieu urbain. Et vous êtes une journaliste urbaine, et c’est pourquoi vous êtes loin de cette réalité. «Joyyanti», c’est très proche de «Joubanti» mais on a considéré que cela allait encore au-delà d’un aspect simplement matériel, qu’on pouvait également englober dans ce concept, le redressement moral.

Quelle lecture pouvez-vous faire de la défection dans vos rangs des candidats à la députation de l’ACT en faveur de l’APR ? Etait-ce un coup dur pour vous ?

J’avoue que je suis en apprentissage de vie politique et comme je le disais tout à l’heure, on en découvre des choses. Bon, c’est triste d’abord parce que vous avez des personnes avec lesquelles vous êtes en confiance, vous vous voyez presque tous les jours, puis tout d’un coup, vous vous rendez compte qu’il s’agissait d’une personne infiltrée et qui peut être, depuis bien longtemps, était en train d’informer la partie adverse. Mais comme j’ai eu à le dire une fois, c’est vrai, il faut débarrasser notre vie politique de ce genre de pratiques. Mais la meilleure manière de se battre contre la prostitution, c’est de lutter contre le proxénétisme. Et je crois qu’il faut qu’on constate que de telles dérives dans notre vie politique, de telles dérives dans notre démocratie, les vrais responsables ce sont ceux qui achètent, qui savent qu’ils ont en face d’eux des personnes sensibles, à la recherche parfois de moyens pour vivre. Ils les achètent et je trouve cela immonde de rabaisser la dignité de quelqu’un face à ses enfants, à ses amis, à ses parents. Et ensuite exiger du spectacle, c’est-à-dire je t’ai acheté mais je te demande d’aller à la télé pour bien montrer que tu es un vendu, un corrompu. C’est d’une tristesse affligeante. Là encore, je crois qu’il faut absolument que le changement de ces mœurs passe par un changement de dirigeants. Des gens comme cela, il n’en faut plus au Sénégal.

M. Mbaye, aujourd’hui il y a un véritable problème de sous-emploi. Sur ce, avez-vous des projets pour la jeunesse sénégalaise ?

Nous sommes en train aujourd’hui de rédiger notre programme. C’est une œuvre qui avait plus tôt été interrompue ou mise en veilleuse en raison de notre participation aux dernières élections législatives. Mais, nous allons accorder une importance toute particulière à cette question. Car l’emploi est indispensable à la dignité, au progrès économique. Sans emploi, il ne peut pas y avoir de développement économique. C’est pourquoi d’ailleurs, quand je vois ces taux de croissance impressionnants qui sont annoncés, alors qu’en face il n’y a que du chômage, on se demande ce qui peut l’expliquer et où vont les conséquences de cette croissance. Mais, nous avons un très gros problème au Sénégal, c’est peut-être même dans plusieurs pays d’Afrique, qui est l’absence d’adéquation entre la formation et l’emploi possible. Seulement, cela est une œuvre qui demande des solutions à moyen terme. Dans l’immédiat par contre, ce qu’il faut bien faire accepter aux jeunes sénégalais et sénégalaises, c’est que l’emploi rémunéré, l’emploi de bureau n’est plus possible pour tout le monde. A la limite, il ne peut être qu’exceptionnel. C’est donc l’auto-emploi qu’il va falloir développé et accepté d’abord parce que ce n’est pas suffisant. Mais développer l’auto-emploi cela suppose également la mise en place d’infrastructures spécifiques pour son financement, pour son accompagnement. On le néglige souvent et c’est tout un ensemble de mesures. D’une manière générale, les solutions sont connues mais il n’y a pas suffisamment de volonté et la mise en œuvre pose de sérieux problèmes. Donc, réformer la formation en privilégiant la formation technico- professionnelle parce que c’est elle qui permet l’emploi le plus facile, le plus rapide. Et également l’acceptation d’un nouveau type d’emploi aux dépens d’un emploi qui a déjà cessé d’être prédominant. Et pour l’auto-emploi, mise en place de tout un dispositif pour qu’il puisse donner des résultats satisfaisants en termes de financement et d’accompagnement.

A Monsieur le Président de la République, vous aviez écrit une lettre pour lui poser un certain nombre de questions concernant l’affaire pétrotim. Depuis lors, on en entend plus parler. Où en êtes-vous ?

Bah écoutez ! D’abord ne plus en entendre parler, c’est une réponse. Une réponse dramatique et grave. Parce qu’il faut se souvenir du contenu de cette lettre. J’ai écrit au Président de la République pour attirer son attention sur le fait qu’un décret avait été signé par lui-même, contresigné par moi mais qu’il l’avait été sur la base d’un faux rapport de présentation. Et j’avais démontré que ce rapport de présentation avait été tronqué de manière intentionnelle pour violer la loi. Et je lui demandais dans ce courrier d’engager des enquêtes à la fois administratives et judiciaires. Il ne l’a pas fait depuis bientôt un an maintenant. Ça veut dire ce que ça veut dire. Je crois qu’aucun sénégalais n’est aujourd’hui dupe. Le Président de la République était informé de ce qui était en train de se passer. Çà n’était malheureusement pas mon cas et je suis contre signataire de ce décret. Cette procédure frauduleuse n’est pas tombée dans les oubliettes, bien au contraire. Je crois que vous avez été informé de cette initiative prise essentiellement par les sénégalais de la diaspora aux Etats-Unis et par laquelle, on cherche à amener les autorités américaines, en conformité avec leurs propres lois, à poursuivre des personnes qui se seraient livrées à des actes délictueux en matière notamment d’attributions de permis miniers etc. Mais la conclusion est nette, on n’utilisera çà politiquement le moment venu, et peut être même après cela, sur le plan judiciaire. Le Président ne veut pas savoir pourquoi on lui a fait signer un décret sur la base d’un faux rapport.

Si vous êtes élu un jour Président de la République du Sénégal, quel sera votre principal chantier?

Ecoutez ! Je ne suis pas encore président de la République et je ne suis même pas encore candidat retenu par le congrès de mon parti. Donc, nous préparons ce congrès, nous y allons et si les membres de mon parti portent leur choix sur ma personne, soyez assuré que je saurai vous répondre. Mais je puis au moins dire que si je me trouvais un jour dans de telles fonctions, mon premier souci serait de respecter la parole donnée.

Quelle suite donnez-vous à votre carrière politique dans les jours à venir ?

C’est une carrière politique qui a commencé il y a à peine un an, vous le rappeliez tout à l’heure et elle se poursuit (rires). Par contre, elle se poursuit à la lumière de leçons que nous avons retenues de notre participation aux législatives (il n’a pas pu avoir de député, Ndlr).

PORTRAIT

Dans une salle assez large servant de Bureau au siège de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail, l’invité du week-end reçoit dans une ambiance cordiale ses hôtes. Un espace aménagé
donnant droit à un décor sobre, des lanternes accrochées au plafond émettant de faibles jets de lumières, un tapis sur lequel repose une natte de prières et invitations y comprises à prendre place dans le bureau, permettent de trouver les qualificatifs de l’homme en seulement
trois mots: simple, ouvert et pieux. Dans son boubou traditionnel bleu foncé et chapeau assorti qui se marie bien à son teint clair, se reflète le style envié de l’ex-Premier Ministre. Bras croisés, mains enchâssées, voix tantôt grave tantôt légère au gré de ses aveux et selon la puissance de son verbe, mais aussi tout en s’armant de sérénité et d’assurance, nous découvrons toutes les expressions de l’âme du «Docteur des Banques». A sa taille svelte qui justifie surement sa délicatesse, vient s’ajouter l’élégance de son style rimant avec l’éloquence de son verbe, signe de sa forte personnalité. Sous des traits fins que révèlent aussi les marques de son visage et d’une lucidité sans équivoque dans ses propos, Abdoul Mbaye est assez détendu pour répondre aux questions de « Sud Détente ». Tout attentif, l’homme de l’ACT est disposé à se faire entendre en retour, en témoigne la reprise anaphorique du verbe « Ecoutez ! ». Mais pour l’heure, ce qu’il faut vraiment écouter c’est ce que représente Abdoul Mbaye, qui est bien au-delà du fait d’être le fils de… mais plutôt l’enfant qui, en suivant l’exemple de « papa », s’est forgé sa propre destinée.


CONSEILS DE L’INVITE
A qui : au Président de la République

Sur quoi : C’est de faire en sorte que les prochaines élections au Sénégal soient des élections claires et transparentes. Des élections auxquelles pourront participer tous les citoyens, en particulier les jeunes qu’on a délibérément exclu en ne leur remettant pas leurs cartes d’électeurs. C’est un conseil que je donne pour la paix de notre Sénégal.

M. ABDOUL MBAYE
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