La Fédération des boulangers du Sénégal ne participera pas à la grève du 1er et 2 novembre initiée par le regroupement des boulangers. Non pas parce que les camarades d’Amadou Gaye ne vivent pas les mêmes difficultés - au contraire, ils veulent eux aussi l’augmentation du prix de la baguette -, mais parce que la fédération, actuellement en négociation avec l’Etat, veut avoir une approche globale des problèmes et surtout éliminer les intermédiaires dans la commercialisation du pain.
Le regroupement des boulangers a annoncé une grève les 1er et 2 novembre. Est-ce que la fédération est partante ?
Non ! Ils ont un syndicat, ils jugent que la voie à suivre, c’est ça. Nous, en tant que fédération nationale où on a tous les boulangers du Sénégal, nous sommes en négociation avec l’autorité, le ministère du commerce. Donc, on ne peut pas les poignarder sans avoir épuisé toutes les voies de recours. Nous savons que le problème de la boulangerie ne se situe pas uniquement sur le prix de la farine. Même si la farine était à 10 000 FCFA et si l’organisation anarchique des boulangeries continue, nous allons avoir les mêmes problèmes. Etant entendu que nous sommes un syndicat responsable, nous ne pouvons pas prendre des décisions à la légère, nous avons notre plan d’actions à suivre et c’est la concertation. D’ailleurs, nous avons abouti, avec le ministère du Commerce, à retenir les 27 et 28 novembre comme la date des assises de la boulangerie.
‘’Le poids de la baguette de 190 grammes à 150 francs n’est pas la bonne référence’’
Avant cela, la fédération nationale des boulangers du Sénégal a convoqué l’ensemble des boulangers du Sénégal, le 26 octobre, pour leur faire part des négociations en cours sur le prix de la farine et sur d’autres problèmes que nous sommes en train de vivre. Nous sommes conscients des problèmes de la boulangerie sénégalaise et que nous traitons de manière globale avec tous les acteurs. C’est pour cela que nous avons convoqué tous les boulangers du Sénégal pour voir quelle doit être la décision des boulangers par rapport à la situation que nous vivons. Pour eux, c’est normal, c’est un syndicat, ils ont une vision. Mais nous, nous savons pertinemment que nous avons la majorité des boulangers du Sénégal avec une fédération. Nous sommes en train de négocier avec l’Etat et nous n’allons pas facilement en grève sans nous concerter.
Est-ce que vous vivez les mêmes problèmes que les autres ?
Nous vivions les mêmes problèmes que les boulangers, mais il faut savoir qu’il y a des problèmes qui incombent au boulanger. Par exemple, le prix du pain est à 150 F CFA. Il y a certains boulangers qui donnent au vendeur 25 F CFA et 15 F CFA au livreur. Or le prix de revient du pain c’est 100 F CFA. Donc, ils ne gagnent que 10 F CFA sur la baguette. C’est ce dérèglement que nous voulons régler définitivement. La livraison anarchique et surtout la vente du pain dans les boutiques, ça doit cesser. Nous sommes en train de négocier, nous avons des arguments techniques à donner à l’Etat ; nous lui avons expliqué et nous allons négocier. Nous avons exclu cette grève, ça ne nous concerne pas. Les autres ont le droit de dérouler un plan.
Vous avez parlé de 25 F CFA pour le vendeur et 15 F CFA pour le livreur. Combien le boulanger doit-il gagner sur une miche de pain pour faire bénéfice ?
Le minimum, c’est 25 F CFA. Vous savez, dans la structure du pain, c’est 10% de commission que l’on doit donner au boulanger, c’est-à-dire 15 F CFA. Le boulanger devait encaisser 125 F CFA plus les 10 F CFA, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Moi dans ma boulangerie, j’encaisse les 150 F CFA. C’est pourquoi nous avons lancé un concept pour dire : achetons mon pain à la boulangerie pour sauver ma boulangerie. Nous avons demandé aux consommateurs d’acheter le pain dans la boulangerie pour sauver le boulanger. Il faut savoir que le chiffre d’affaire des boulangers tourne autour de 500 milliards F CFA, c’est plus de 3% du PIB et que les 80 milliards F CFA sur les 500 milliards, c’est pour la livraison. Et cet argent, on ne peut pas le contrôler. Il faut que l’on revienne à la raison. Ce sont des chiffres alarmants et que tout cela pouvait permettre un recrutement du personnel de la boulangerie. Si vous vendez votre pain à la boulangerie, vous allez recruter d’autres personnes pour la vente. Ça peut permettre aussi d’augmenter des salaires. Mais actuellement, c’est destiné à des personnes qui n’ont ni registre de commerce ni rien. C’est de l’argent qui n’est pas contrôlable.
Vous avez dit tantôt que vous, vous encaissez les 150 F. Cela veut dire que vous vendez directement votre pain ?
Bien sûr ! Il y a des enseignes comme la brioche dorée qui ne livrent plus leur pain. Ils ont compris. Beaucoup de boulangers sont en train de faire la même chose. C’est le concept que nous voulons vulgariser. La livraison doit se faire par le kiosque à pain. Il est inacceptable qu’on vende le pain dans les boutiques. C’est vous dire que le problème de la boulangerie ne se situe pas uniquement dans la farine. Nous, en tant que fédération, nous nous sommes dits que, parmi les problèmes dont on va discuter, le 26 octobre, en premier lieu, c’est le prix de la farine. C’est normal. C’est pourquoi nous avons convoqué tous les boulangers du Sénégal pour leur parler, partager avec eux les résultats de la négociation avec l’Etat du Sénégal. Mais on est en négociation jusqu’à présent.
La vente de pain dans les boutiques est décriée, depuis très longtemps, mais, il n’y a toujours pas de solution. Qu’est-ce qui se passe ?
C’est le décret 102-2004 qui n’est pas appliqué. Et du moment que les boulangers sont en train de souffrir, la Fédération va solliciter, pendant les négociations, l’application de ce décret. Et rassurer aussi l’Etat sur le fait qu’il n’y a pas à s’inquiéter, puisque vous ne pouvez pas faire 200 mètres à Dakar sans trouver une boulangerie. Donc le consommateur ne sera pas lésé. Mieux, il aura un pain de qualité, dans ce cas. Si nous vendons nos pains dans nos boulangeries et nos kiosques, l’intérêt national sera préservé. La livraison se fait par beaucoup d’étrangers. La vente du pain dans les boutiques idem. Le patriotisme économique doit prévaloir dans tout ce que nous faisons pour résoudre définitivement le problème de la boulangerie.
Vous avez tantôt parlé de pain de qualité, mais la critique qui est souvent faite aux boulangers, c’est que le pain est d’une propreté douteuse…
C’est un faux débat ! Déjà la fédération est en train de faire de la formation pour les boulangers, des conseils pour l’hygiène. C’est justement l’intérêt de faire des assises pour contrôler l’ouverture des boulangeries. Il ne faut pas que les boulangeries ouvrent n’importe comment, sans aucun respect de l’hygiène, aucune formation. Elles donnent aux Sénégalais un pain de mauvaise qualité. C’est inacceptable ! Nous en sommes conscients et nous allons le résoudre. Il faut savoir aussi que le poids de la baguette de 190 grammes à 150 fancs n’est pas la bonne référence. Nous voulons une baguette de 250g vendu à 200 F ou une baguette de 210g à 175 francs. Tout ça, c’est pour permettre au consommateur d’avoir un pain de qualité. Les poids faibles ne favorisent pas les pains de qualité.
A propos du prix de la farine, il y a moins d’un an, le sac était vendu à 14 000 voire 13 000. Comment se fait-il qu’il soit aujourd’hui à presque 18 000 F ?
Le 22 mai 2013, le prix a été homologué à 18 000 francs. Entre-temps, des meuniers sont arrivés sur le marché. Avec la guerre des minoteries, il y avait une fixation des prix. Les boulangers pouvaient acheter le sac de farine à 14 000, d’autres à 13 000 francs et même 15 000 francs. Il y avait même une concurrence déloyale entre nous les boulangers. Au mois de ramadan dernier, les meuniers se sont retrouvés pour dire qu’ils vont respecter l’homologation. C’est pourquoi ils sont allés à 17 300 F. Et c’est ce prix-là qui est actuellement appliqué. C’est pourquoi beaucoup de boulangers estiment que le prix a augmenté.
Quelqu’un qui achetait à 13 000 F, subitement, il se retrouve à près de 18 000 F, il va dire que le prix a augmenté. Une personne qui a ouvert sa boulangerie après 2013 et qui achetait le sac à 13 000 F, il va dire qu’il y a augmentation. Il a augmenté pour lui, parce que c’est sur la base des 13 000 F qu’il avait fait son business plan. Nous allons mettre sur la table des arguments techniques pour dire qu’il est temps que le prix de la farine baisse pour que les boulangers puissent souffler. Mais nous voulons résoudre le problème de manière globale. Si nous résolvons le prix de la farine sans les autres questions, les choses resteront en l’état.
Quel est le prix que vous allez proposer à l’Etat pour le sac de farine ?
Il faut venir le 26 octobre pour voir le message des boulangers par rapport cette question.
Mais en attendant, peut-on avoir une idée du prix que vous souhaitez ?
En tant que boulanger, je veux le prix le plus bas. Pourquoi pas 13 000 F. mais ce prix que je vous donne n’est pas ‘’scientifique’’. On a une équipe qui est en train de voir techniquement ce qui peut se faire. On est en train de faire des recherches par rapport à la fluctuation des cours mondiaux et l’équation blé et énergie pour avoir une meilleure idée.
PAR BABACAR WILLANE