Au Sénégal, la micro-finance est connue sous deux modèles différents : celui de la caution solidaire venu du Bengladesh et mis en place par Mouhamed Yunus, et celui né de la coopération canadienne.
Fondateur du microcrédit et prix Nobel de la paix en 2006, Muhammad Yunus, est aujourd’hui celui que l’on surnomme « le banquier des pauvres ». Ayant constaté les difficultés que les paysans pauvres de son village rencontraient pour accéder aux financements des banques classiques, M. Yunus a proposé un premier « micro-prêt » entre 30 et 50 dollars (soit entre 18.000 et 30.000 F Cfa) à quelques dizaines d’habitants du village, en utilisant son propre argent.
L’effet de ces prêts s’avère rapidement très positif sur la situation matérielle des bénéficiaires et ces derniers remboursent sans difficulté leur bailleur de fonds. Muhammad Yunus décide alors de créer son propre programme. Celui-ci est officiellement mis en place en 1977, sous le nom de « Grameen » (« grameen » signifie village).
C’est un succès immédiat, au Bangladesh tout d’abord, où la « Grameen » obtient le statut d’établissement bancaire en 1983, puis dans d’autres pays où le « modèle » s’exporte à partir de 1989.
Consolidée vers les années 2004 au Sénégal, la micro-finance sera réglementée en 2008, avec l’avènement de la loi 2008-47, permettant ainsi de passer du micro-crédit à la micro- finance.
Aujourd’hui, cette loi est en train de jeter les bases d’un assainissement du secteur de la micro-finance qui occupe une place de plus en plus importante dans le système bancaire sénégalais.
Cependant, la plupart des offres restent concentrées sur la capitale, Dakar, et la ville de Thiès, située à 65 kilomètres de Dakar.
Avec deux millions de comptes et près de 852 institutions établies en juin 2014, « le Sénégal reste leader dans le secteur de la micro-finance parmi les pays de l’Union économique et monétaire des Etats de l’Afrique de l’ouest (UEMOA) », affirme Mansour Ndiaye, expert en micro-finance et du Groupe
Selon lui, la micro-finance aurait permis de créer au Sénégal « 5.000 emplois directs et plus de 20. 000 emplois indirects », tandis que des institutions de micro-finance « viables et pérennes desservent les populations dans les coins les plus reculés du pays ».
Le secteur de la micro-finance est régi, dans la zone UEMOA, par une loi sur les structures mutualistes d’épargne et de crédit, adoptée au niveau de chaque pays dans le cadre général de la législation dite « Loi PARMEC ».
Ainsi, les structures mutualistes peuvent être agréées et leurs institutions de base reconnues par les ministères des finances, à la suite de l’examen des demandes par les cellules de suivi des Systèmes financiers décentralisés (SFD) desdits ministères, avec la collaboration de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
L’ensemble des lois nationales et décrets d’application élaborés par chaque pays repose sur le document adopté sur la législation des mutuelles d’épargne et de crédit dans le cadre de l’exécution du Programme d’Appui à la Réglementation sur les Mutuelles d’Epargne et de Crédit (PARMEC).
Le cadre réglementaire a été complété par les instructions de la BCEAO relatives au contenu et aux modalités de collecte et d’organisation de l’information financière concernant les SFD.
Pour sa part, Boubacar Edouard Traoré, responsable de l’institution de micro- finance « Manko », sise à Pikine, dans la banlieue dakaroise, fait observer que la micro-finance a un bel avenir devant elle, parce que « les gens investissent de plus en plus dans des activités qui nécessitent un financement de niveau moyen dont le montant montant est compris entre 100.000 FCFA et 4 millions de FCFA.
M. Traoré explique que les crédits varient d’une institution à une autre. Pour le COFINA, qui finance notamment les petites et moyennes entreprises, les prêts varient entre 200.000 FCFA et 100 millions de FCFA, tandis qu’à MICROCRED, ils sont de 100.000 FCFA à 30 millions, et à Manko ils oscillent entre 100.000 FCFA et 25 millions.
En outre, les crédits eux-mêmes se déclinent en plusieurs options : crédits courants, crédits express, crédits saisonniers pour l’agriculture et crédits scolaires... etc.
“ Tandis que le crédit courant est accordé à une personne à la suite de l’évaluation du revenu issu de son activité, le crédit express est consenti à une personne qui dispose d’un compte auprès de l’institution pour lui permettre de mener une activité à court terme ”, précise M. Traoré.
Les financements des institutions de micro-finance sont accordés aux Sénégalais âgés de plus de 18 ans et destinés à toutes sortes d’activités (sauf celles liées à la vente de la drogue, d’animaux sauvages comme les lions) pour un délai de remboursement de 8 à 24 mois.
La plupart des crédits des institutions de micro- finance sont injectés dans l’agriculture, l’élevage et la pêche... des secteurs qui favorisent la création de la valeur ajoutée et qui occupent presque 63 % de la population du pays.
Cependant, les risques ne sont pas absents des opérations quelque peu fragiles des institutions de micro-finance, à en croire Boubacar Edouard Traoré, qui estime qu’elles ne prennent pas suffisamment de garanties, arguant du fait qu’il arrive souvent que les clients, pour contourner la limitation du niveau des prêts, se déplacent d’une institution à une autre en glanant ici et là plusieurs crédits de 100.000 Fcfa chacun, pour arriver à un niveau de montant que ses revenus sont loin de rembourser».
Pour Mansour Ndiaye, « chaque fois qu’une institution enfreint les règles liées à la législation des mutuelles d’épargne et de crédit, elle écope de sanctions.
Au Sénégal il y a eu beaucoup de crises, mais grâce à la clairvoyance de l’autorité de réglementation, ces crises ont été surmontées », avance M. Ndiaye, qui précise que malgré tout cela, certaines contraintes persistent, surtout celles liées à l’accès à ces institutions, telle la concentration à 80 % des offres de services entre Dakar et Thiès.
Se fondant sur le fait que le secteur de la micro- finance est un excellent levier pour promouvoir le développement d’un pays, Mansour Ndiaye en appelle à l’Etat pour mettre en place une politique destinée à appuyer les institutions qui veulent s’installer dans les zones très reculées du pays, où les populations ont non seulement besoin d’éducation mais aussi d’assistance financière.
« Aujourd’hui, des institutions de micro-finance parviennent à mobiliser au profit de leurs clients des crédits à hauteur de 10, voire 14 milliards de FCFA ; ce qu’aucune banque n’a réalisé », fait remarquer M. Ndiaye.
Le président du Conseil des entreprises du Sénégal, quatrième organisation patronale ayant pour cibles les micros et petites entreprises, en appelle également à l’Etat, mais pour lui demander de prendre ses responsabilités en surveillant les taux d’intérêt appliqués par les institutions de micro-finance et en vérifiant si le système de financement est adapté aux besoins des entreprises.
« Il ne faut pas que les institutions de micro-finance essaient de singer les banques. Elles doivent rester fidèles à leurs missions. Le taux de bancarisation en Afrique de l’ouest était de 7 % avec le système bancaire classique, mais grâce à la micro-finance, on est arrivé à 14 % », indique-t-il, non sans attirer l’attention sur des institutions de micro-finance qui « pratiquent un taux usurier qui varie entre 17 et 18 %, ce qui tend à croître le niveau de pauvreté des ménages ».
Aussi suggère-t-il que les institutions de micro-finance soient accompagnées et mettent en place des stratégies pour leur formalisation, mais disposent des financements adaptés au concept des micros et petites entreprises et à leur environnement, avec des taux d’intérêt situés entre 7 et 9 % au maximum ».
La « discrimination positive », c’est la seule voie d’offrir aux femmes « plus de possibilité d’investir et de participer de manière efficiente à la création d’une croissance inclusive », préconise Babacar Diagne, au regard des constats établis par Mansour Ndiaye et selon lesquels les femmes sont plus dynamiques que les hommes en matière de taux de remboursement.
La femme est généralement plus préoccupée par la scolarité de ses enfants et elle fait beaucoup d’activités pour satisfaire son entourage. C’est ce qui fait qu’au niveau de la micro-finance, le taux de féminisation est plus élevé. Il se situe entre 50 et 58 %, contre 42 % pour les hommes ».
Mais malgré ces efforts, les banques accordent plus de crédits aux hommes qu’aux femmes », sans doute parce qu’elles participent à la création d’entreprises à hauteur de 17 % et qu’elles évoluent le plus souvent dans les secteurs informels, non structurés.
L’accès au foncier, généralement produit comme une garantie-hypothèque exigée en faveur d’un prêt, constitue aussi un blocage pour les femmes dont la part en matière d’accès au foncier est souvent égale à 0,2 %, une part insuffisante pour accéder à un financement d’un montant de 10 milliards de FCFA.
A cet effet, les experts s’accordent à reconnaître que les institutions de micro-finance doivent comprendre les besoins de leurs clients, les appréhender, afin de développer des produits adaptés à leurs situations. Ils fondent cette évidence sur les sept principes de protection des clients, dont le premier point stipule d’offrir « des produits adaptés ».
MD/of/APA