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Amadou Tidiane Wane, ancien responsable socialiste, ancien coordonnateur des maires du Sénégal: ‘’D’exclusion en exclusion, le PS est mort de sa belle mort’’
Publié le mercredi 18 octobre 2017  |  Enquête Plus




t 12 ans, revient dans cette interview exclusive sur les péripéties qui ont précipité la formation de Senghor vers la décrépitude. Une histoire d’exclusions, de combines et de lutte de places. L’ancien coordonnateur des maires du Sénégal passe aussi en revue l’actualité politico judiciaire.



L’actualité est dominée par les procédures d’exclusion du PS lancées contre Khalifa Sall et Cie. Qu’est ce que cela vous inspire en tant qu’ancien responsable de ce parti ?

Cela me fait mal. Je constate qu’à force d’exclure, le Parti socialiste finira par se faire exclure de la vie politique de ce pays. En pulaar, on dit qu’il ne faut pas regarder là où on a chuté, mais la pierre sur laquelle on a trébuché. Malheureusement, le PS n’a pas appris de ses erreurs du passé. Les potentats actuels du parti se sont ligués pour exclure d’abord Jean Colin, ensuite ils ont provoqué un congrès sans débat, ont fait exclure Moustapha Niasse, Djibo Ka et tant d’autres responsables. Même Abdou Diouf a été exclu. En effet, son échec en 2000 est une exclusion. On ne peut pas comprendre qu’un chef d’Etat sortant, avec 18 millions de dollars pour faire la campagne, 120 véhicules L200 pour toutes les coordinations, avec toute l’administration : la gendarmerie, la Police, les gouverneurs, préfets, sous-préfets... puisse perdre le pouvoir. Il y a quelque chose qui s’est passé. Et l’histoire le dira un jour.

Qu’est-ce qui s’est passé, selon vous ?

En 2000, j’ai estimé avec feu Mbaye Jacques Diop que nous avons été incapables de mener une campagne victorieuse. Il fallait faire revenir ceux qui étaient partis. Pour ce faire, il fallait exclure Tanor de son poste de directeur de campagne mais Diouf n’a pas voulu le faire. Finalement, seul Djibo est revenu et son parti avait explosé. Certains l’ont accompagné, d’autre ont suivi Wade. On est allé aux élections dans ces conditions et on a été battu avec toute cette armada. Je dois dire que Tanor n’était pas seul. Il a pu faire tout cela avec Khalifa et toute sa bande. Par la suite, aux Législatives de 2001, ils ont continué sur le même chemin.

Moi, je leur avais dit que s’ils voulaient que je reste, il fallait me mettre parmi les dix premiers sur la liste nationale. Ils me l’ont refusé sous le prétexte que nous sommes un parti démocratique. Je leur ai dit : ‘’Ce n’est pas à moi que vous parlerez de démocratie au PS. Jusque-là vous vous êtes rempli les poches. Nous, nous avons rempli les urnes. Ça ne peut plus continuer.’’ C’est comme ça que moi aussi, j’ai quitté le PS. Depuis lors, ça ne va plus. Le parti va d’exclusion en exclusion, d’échec en échec. Ainsi, l’arbre socialiste qui a régné 20 ans avec Senghor, autant avec Diouf, est mort de sa belle mort. Qu’on le veuille ou pas. C’est l’hiver du PS qui est devenu un arbre schématique. Tous ceux qui étaient porteurs de voix, depuis Colin jusqu’à Khalifa Sall et ma nièce Aissata Tall Sall, ont été exclus. Le grand arbre a secrété tellement de subérine, c’est-à-dire cet isolant que les arbres secrètent autour des feuilles, qui fait que la sève n’arrive plus aux feuilles. Ces dernières tombent. Maintenant, je crains que Tanor lui-même, qui a été à l’origine de beaucoup d’exclusions, se fasse exclure à son tour.

Comment et au profit de qui ?

Je ne saurais le dire. Ça aurait pu être au profit de Macky Sall. Si le chef de l’Etat était assez intelligent, il allait absorber ce Parti socialiste, ou au moins les dissidents. C’était plus intelligent que de les traquer et de les mettre en prison.

Etes-vous alors de ceux qui pensent que Khalifa a été injustement mis en prison ?

Non, je ne suis pas d’accord avec ce qu’a fait Khalifa Sall. J’ai été maire pendant 12 ans. Il n’y a nulle part, dans la nomenclature budgétaire, une ligne où on parle de caisse d’avance ou de fonds politiques. Ce que font les maires, aller dans une quincaillerie ou n’importe quel privé, faire semblant de commander du fer, du ciment… et lui dire : ‘’ne me donnez pas du matériel donnez moi l’argent’’ -beaucoup de maires le font- mais c’est en violation de la loi. Quand j’étais coordonnateur des maires, je leur disais que ce n’est pas bon, que s’ils sont arrêtés pour ça, je ne bougerai pas.

Donc Khalifa Sall est fautif ?

En tout cas, son prétexte n’est pas bon. C’est vrai que d’autres maires l’ont fait avant lui. Tous les anciens maires de Dakar le faisaient. Mais c’était au profit du régime qui régnait. Lui est contre le régime et il veut utiliser cet argent, fidéliser ses militants, et ensuite faire tomber le régime. Ce n’est pas possible. Le régime ne peut l’accepter. Même si je pense que le président, politiquement, a mal géré cette affaire. Il aurait dû être plus politique en laissant une épée de Damoclès sur la tête du maire de Dakar. En creusant au devant de lui ; qu’il sache que s’il quitte le PS pour être président ou autre chose, il va tomber dans un gouffre profond. Mais s’il quitte pour déstabiliser le parti socialiste au profit de l’APR, il sera accueilli à bras ouverts. Quitte à le présenter comme candidat de l’APR en 2024. C’est ça la politique. Khalifa est assez jeune ; il est maire et il commence à avoir de l’argent. En plus, en 2024, Tanor ne pourra pas se présenter. Donc Khalifa aurait eu les coudées franches. Mais je crois qu’il a grandi trop vite. Il s’est vu trop grand. D’autant plus qu’il n’est connu qu’à Dakar.

Et maintenant, pensez vous qu’il garde ses chances intactes ?

Je ne le crois pas. Le seul avenir politique qu’il avait, c’était d’accepter de jouer le jeu avec le Président. Ce n’est pas sain, mais c’est politique. Macky lui aurait dit : ‘’voilà ce que dit l’IGE. Tu marches avec moi, tu as la paix. Tu ne le fais pas, c’est la guerre’’. Khalifa aurait pu, lui aussi, poser sa condition, à savoir être le candidat de Macky en 2024. Si le chef de l’Etat avait fait cette proposition, Khalifa l’aurait certainement accepté, comme il a accepté des combines avec Tanor pour déstabiliser tous les responsables du PS qui n’étaient pas avec eux.

Justement, dans vos mémoires, vous dites qu’entre les deux, c’était le parfait amour. Qu’est-ce qui s’est passé, selon vous, pour que les deux en viennent à ce stade de contradictions ?

Khalifa Sall a été de tous les coups montés par Tanor contre des responsables, y compris les difficultés d’Aïssata Tall Sall. Ils ont tout fait ensemble. Maintenant, ils sont juste perdus par leurs ambitions personnelles. Je ne vois pas autre chose. Aucun des deux n’a mis en avant les intérêts du parti qui leur a tout donné. En 2012, pour sortir de Benno Siggil Senegaal, c’est le même prétexte que Tanor avait inventé. C’est-à-dire que le PS ne pouvait pas ne pas se présenter. Aujourd’hui, Khalifa était dans la même logique, mais Tanor s’y oppose, car Macky Sall lui a donné une sucette. C’est aussi simple que ça.

Pour vous, le Haut conseil des collectivités territoriales est juste une sucette pour contrôler Tanor ?

Quand on a été Elu local, on voit parfaitement que ce truc n’a pas sa raison d’être. Nous avons déjà l’Union des associations d’élus locaux (UAEL), et puis dans le code des collectivités locales, il est prévu le Conseil national des collectivités locales qui doit se réunir au moins une fois par an sous la présidence du chef de l’Etat. En outre, il y a le Comité de développement des collectivités locales qui se tient deux fois l’an sous la présidence du Premier ministre. C’est assez suffisant. Ces institutions peuvent jouer exactement le même rôle. Tanor aurait eu suffisamment de caractère en refusant ce poste tout en continuant à travailler avec le président de la République. Il aurait eu le respect de tout le monde. Malheureusement, il a préféré la sucette.

Parlons de Benno Bokk Yaakaar. Contre tous pronostics, cette coalition présidentielle tient toujours. A quoi doit-elle sa longévité ?

C’est le Sénégalais qui est ainsi fait. Il veut toujours être aux côtés du pouvoir. Ils sont encore là, parce que Macky est encore chef de l’Etat. Le jour où il ne pourra plus l’être, ils vont tous le lâcher. Les gens ne restent que pour leurs intérêts personnels.

La Coalition survivra tant que Macky aura des sucettes à distribuer. Le jour où on sentira que le pouvoir tangue vers d’autres mains, ils le lâcheront. Il est temps de revenir sur tout cela. Je pense que c’est aussi une des conséquences du multipartisme intégral. Si Macky veut laisser son nom à la postérité, il doit prendre son courage à deux mains, refondre toute la Constitution et revenir sur tout ça. Cette refonte de la Constitution doit aussi permettre de trancher définitivement la question soulevée par le constitutionnaliste Babacar Guèye, à savoir le nombre de mandats du Chef de l’Etat.

Un débat qui n’a pas sa raison d’être, selon le Président qui estime que les choses sont claires ?

En 2012 également, on nous disait que la Constitution était claire. Nul ne peut avoir plus de deux mandats successifs. C’était la même chose dans l’ancienne constitution. Et Abdoulaye Wade, comme Macky, disait la même chose. Finalement, les gens ont tellement insisté, en lui disant que la loi ne rétroagit pas qu’il a fini par céder en faisant son wax waxeet. Macky Sall n’avait-il pas juré de faire respecter la Constitution ? Ensuite, il annonce qu’il va réduire son mandat, avant de revenir lui aussi sur sa parole. Aujourd’hui, il revient nous dire qu’il ne va pas se présenter en 2024. Cela n’a aucune valeur juridique. On l’a déjà connu avec Wade et avec Macky lui-même. Le moment venu, les gens vont lui dire : tu es le plus beau, le meilleur, il faut achever tes chantiers… Pour éviter tout ça, il faut régler la situation, dès à présent.

Vous avez été maire de Kanel pendant 12 ans. Depuis 2012, Macky Sall, dans ce département comme partout dans le nord, règne en maître. Pourquoi est-il si fort dans cette région ?

Non, Macky Sall ne règne pas en maître. C’est juste qu’il n’a pas d’opposition au nord. Il n’a pas de personnalité de premier plan en face de lui. En 2O12, quand les Pape Diop et Ousmane Tanor Dieng m’ont proposé d’être leur candidat dans le département de Kanel, j’ai dit non. A ce moment, personne ne pouvait battre Macky. Mais trois ans après, je peux le battre moi. Je le dis haut et fort. Si j’en ai les moyens financiers, je le bats sans problème. Car les gens se sont battus pour lui. Ils ont tout fait pour lui et ils ne voient rien en retour, à part quelques sucettes qu’il distribue à gauche et à droite. Quand tu vois la bataille féroce entre les Dia de Bosséabé et les Ngom des Agnam, tu vois nettement qu’il y a quelque chose qui s’est fissuré. Il y a beaucoup de frustrations, de la déception, en plus de phénomènes sociologiques qu’il faut être foutanké pour comprendre.

Qu’est-ce qui est à l’origine de cette bagarre comme vous dites entre les Dia et les Ngom ?

Chacun veut être bien positionné. Faire croire que c’est lui qui nomme les ministres, ce qui est une idiotie. Pour le moment, Macky apparaît comme imprenable, mais c’est un géant aux pieds d’argile. Le jour où il aura une forte personnalité, il va tomber de lui-même. On ne peut pas me citer dans le Fouta une réalisation importante qui date de trois ans. C’est pourquoi les gens sont mécontents. Si j’ai les moyens, à partir de chez moi à Kanel, je peux polariser un certain nombre de responsables que je mobilisais pendant 20 ans. Je leur dis ce qu’on va faire et je suis sûr qu’ils le feront. Beaucoup d’entre eux sont à l’APR, en attendant. Ils sont esclaves d’émigrés et de riches qui, autrefois, s’intéressaient plus à l’économie qu’à la politique. Maintenant, c’est l’inverse. Ils ont soif non pas d’argent, mais du pouvoir politique.

N’est-ce pas au bénéfice du Fouta ?

Je ne le crois pas. Comment peut-on comprendre que quelqu’un vienne exploiter le phosphate de Ndindory à Matam sans que personne ne bouge, alors qu’il n’y a aucune retombée ? Ce qu’on veut, ce n’est pas qu’on nous dise qu’on a construit une école par-ci par-là. Nous voulons une usine d’acide phosphorique in situ. Assurer que la navigabilité du fleuve s’accélère ; il faut créer des richesses sur place pour y maintenir les jeunes. Ces derniers se déplacent massivement vers Dakar pour trouver de l’emploi, de la nourriture, et pour se soigner...

Qui voyez-vous en 2019 comme principal challenger de Macky Sall ?

Hésitations… Je dirais Gadio. C’est le choix du cœur. Je pense qu’il n’existe pas de candidat idéal. Macky Sall n’était pas le candidat idéal en 2012. En politique, c’est le concret. Les Sénégalais vont voter pour ou contre Macky. Et s’il continue les mêmes pratiques : mettre des opposants en prison, prendre des décisions aussi impopulaires comme nommer son frère, défendre des proches, distribuer le pétrole et le gaz à des proches, il n’aura pas de second mandat. Les Sénégalais ne sont pas fous. Même s’il est vrai qu’il n a pas en face de lui un opposant de taille, si le peuple en a marre de lui, il va quitter quel que soit son adversaire. Je prie que ce soit Cheikh Tidiane Gadio qui a beaucoup fait pour ce pays et pour l’Afrique, qui ne traîne aucune casserole. Mais il devra d’abord faire face à beaucoup de difficultés.
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