Des ONG sénégalaises, dont la section locale d’Amnesty international, ont annoncé jeudi renoncer à tenir une conférence de presse à Dakar sur les droits de l’Homme en Mauritanie voisine en présence de l’opposant mauritanien Biram Ould Dah Ould Abeid.
Les autorités sénégalaises avaient déjà obtenu le report d’une conférence de presse à laquelle il devait participer le 30 septembre, avec des avocats français et mauritanien, selon des ONG sénégalaises, portant notamment sur les procédures visant des opposants à la révision constitutionnelle en Mauritanie.
Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a accusé de "trahison" les sénateurs opposés à cette révision constitutionnelle, adoptée lors d’un référendum contesté le 5 août et qui a notamment abouti à la suppression du Sénat.
L’un des meneurs de la fronde au Sénat, Mohamed Ould Ghadda, a été arrêté et inculpé de "corruption" en août. Le régime l’accuse d’avoir reçu de l’argent de deux hommes d’affaires vivant au Maroc et opposés au chef de l’Etat et de l’avoir distribué à d’autres sénateurs pour bloquer la révision constitutionnelle.
Un groupe d’ex-sénateurs frondeurs a essayé jeudi de tenir un sit-in devant le siège du Sénat dissous à Nouakchott, mais en a été empêché par la police, a-t-on appris de source politique mauritanienne.
Plusieurs ont été "passés à tabac par les policiers", a affirmé à la presse l’ex-sénatrice Malouma Mint Elmeyddah.
Douze autres ex-sénateurs, quatre journalistes et deux syndicalistes ont été placés sous contrôle judiciaire dans ce dossier.
Le sit-in visait à protester contre la suppression du Sénat et le pourvoi en cassation interjeté par le Parquet contre le refus du juge d’instruction de placer en détention ces douze ex-sénateurs.
Human Rights Watch (HRW) a dénoncé jeudi dans un communiqué l’arrestation de l’ex-sénateur Ould Ghadda "sur la base de vagues accusations de corruption", estimant que faute de clarification sur les charges à son encontre, "il semble que cette affaire consiste davantage à museler l’opposition au président qu’à rendre justice".
Auparavant, à Dakar, M. Ould Abeid, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), qui dénonce la persistance de pratiques esclavagistes en Mauritanie, avait renoncé à s’exprimer lors d’un nouveau point de presse organisé par Amnesty International Sénégal, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) et la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH).
"Biram n’est pas dans une logique d’embarrasser l’Etat du Sénégal, et c’est pour cela qu’il a choisi de reporter cette conférence", a déclaré le directeur d’Amnesty International Sénégal, Seydi Gassama.
"L’Etat du Sénégal nous a exprimé ses préoccupations par rapport à ses activités", a précisé le responsable d’Amnesty.
"Nous ne sommes pas restés insensibles à ces appels", a indiqué M. Gassama.
"Nous connaissons l’histoire très heurtée entre le Sénégal et la Mauritanie. Nous avons tous été traumatisés par les événements de 1989", a-t-il souligné, relevant que "les brouilles entre les deux pays ont toujours des répercussions sur les populations".
Des violences communautaires entre les deux pays en 1989 avaient fait des centaines de morts en Mauritanie et abouti à des départs forcés de populations de part et d’autre.
Le responsable d’Amnesty a néanmoins insisté sur l’indépendance des ONG et appelé le président Macky Sall à maintenir la "tradition d’hospitalité du Sénégal d’accueillir des personnes persécutées".
"Il faut que ça soit très clair, pour l’Etat de Mauritanie, pour tous les autres Etats de la sous-région: ce que nous, ONG des droits humains, nous disons au Sénégal, n’engage pas l’Etat du Sénégal, nous ne sommes pas sous la tutelle de l’Etat du Sénégal", a-t-il dit.
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