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Ibrahima Sène, membre du Parti de l’indépendance et du travail: ‘’Macky Sall n’a alloué au PIT ni cagnotte ni sacs de riz’’
Publié le mardi 3 octobre 2017  |  Enquête Plus
Ibrahima
© Autre presse par DR
Ibrahima Sène, membre du Parti de l’indépendance et du travail (PIT)




La sortie récente de l’ancien secrétaire général de la Ligue démocratique, Mamadou Ndoye, aura eu le mérite d’amener les partis politiques membres de Benno Bokk Yaakaar (BBY) à clarifier leur rapport avec le président de la République. Après les révélations de ‘’Mendoza’’, tous les ténors de la mouvance présidentielle, que ce soit le Parti socialiste de Tanor Dieng ou l’Alliance des forces de progrès de Moustapha Niasse, sont montés au créneau pour nier toute redevance perçue du président de la République, comme cela a été le cas avec le leader ‘’jallarbiste’’. Le dernier parti à nier avoir bénéficié d’un quelconque financement venant de la présidence de la République, c’est le Parti de l’indépendance et du travail (PIT).

Par la voix d’Ibrahima Sène, membre du Bureau politique dudit parti, l’on crie haut et fort que ‘’le PIT n’a reçu ni cagnotte ni sacs de riz de Macky Sall’’. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, Ibrahima Sène aborde d’autres questions liées au financement des partis politiques, à l’utilisation des fonds spéciaux alloués au président de la République et à l’avenir de la gauche victime aujourd’hui, selon lui, d’un procès d’intention.



Récemment, Mamadou Ndoye a déclaré que, lorsqu’il a été élu secrétaire général de la LD, le président Macky Sall lui a proposé de le nommer ministre conseiller ou de lui verser mensuellement 4 millions, comme il a l’habitude de le faire avec les autres alliés. Quelle appréciation faites-vous de cette déclaration ?

D’abord, je n’ai pas écouté l’émission en question. Mais pour ce que j’en ai lu de son discours, je n’ai remarqué nulle part où il a dit textuellement que le président Macky Sall lui a fait ces propositions comme il a l’habitude de le faire avec ses alliés. Ce serait étonnant qu’il l’ait dit ainsi. Puisque notre parti est un allié et n’a jamais été l’objet d’une telle proposition.

En effet, quand Macky Sall nommait Amath Dansokho ministre d’Etat, il n’était plus secrétaire général du PIT et il l’avait fait sans prendre notre attache. En outre, notre participation au gouvernement, en 2012, s’était faite dans le cadre de Benno Siggil Senegaal (BSS), sans que l’on ait eu une audience avec le président Macky Sall à cet effet. Enfin, c’est la direction du PIT qui a proposé, en toute souveraineté, le nom de Mansour Sy pour occuper la fonction de ministre que BSS lui avait réservée, sans qu’il ait besoin de rencontrer le président de la République pour ce faire. Notre secrétaire général de l’époque, Magatte Thiam, n’a eu, en aucun moment, une audience avec le président de la République pour la nomination de Dansokho ou de Mansour Sy. C’est dans ce même esprit que la direction du parti a proposé le remplacement de Mansour Sy par le nouveau secrétaire général Samba Sy, pour corriger le déficit de visibilité du parti durant les cinq ans que son prédécesseur l’a dirigé.

Cette manière de faire prêtée au président Sall, rappelle les vieilles pratiques de Wade avec certains de ses alliés d’alors. Certains parlent même des sacs de riz de la CAP 21, d’autres des 30 millions d’AJ/PADS. Est-ce que Macky Sall n’est pas en train de marcher sur les traces de Wade ?

Je ne saurais l’affirmer, en toute honnêteté. Le président Macky Sall n’a alloué au PIT ni cagnotte ni sacs de riz. Au nom de quoi l’aurait-il fait pour d’autres ?

Beaucoup voient derrière cette révélation une forme de corruption politique qu’exerce le président sur ses alliés pour acheter leur silence. Est-ce que cela n’est pas le cas ?

Depuis quand est-il nécessaire de ‘’corrompre’’ un allié ? C’est un adversaire qu’il faudrait peut-être corrompre pour le neutraliser.

Selon les déclarations de Ndoye, le président de la République traite de la même manière ses autres alliés. Que perçoit le PIT alors ?

Comme je l’ai dit plus haut, le secrétaire général du PIT n’a jamais reçu de proposition de ministre conseiller ou d’une cagnotte quelconque. La participation du PIT dans l’exercice du pouvoir que le peuple a confié au président Macky Sall se fait à travers ses deux ministres, son député qui est vice-président de l’Assemblée nationale et un poste de PCA d’une entreprise publique. Ce sont donc des postes de travail rémunérés et non pas des allocations de rente politique. Encore une fois, en aucun moment, le SG n’a eu à négocier ces postes de travail pour le parti. Notre participation à l’exercice du pouvoir relève de la volonté exclusive du président de la République qui, de cette manière, a exprimé son appréciation de la qualité de notre apport à la conquête du pouvoir.

Est-ce que cette pratique est en phase avec la gouvernance sobre et vertueuse prônée par le président de la République, dès son installation au pouvoir ?

Ce que vous appelez ‘’pratique’’ que Mamadou Ndoye a révélée, n’est, pour moi, qu’un cas d’espèce non généralisable, à moins de croire que le président Macky Sall ait exclu le PIT de ses alliés. En fait, c’est Ndoye lui-même qui a sollicité une audience, après avoir succédé à Bathily à la tête de la Ligue démocratique (LD), pour demander, comme nouveau SG du parti, d’occuper la fonction de ministre d’Etat qu’exerçait son prédécesseur. C’est ce que le président de la République lui a refusé. En contrepartie, il lui a fait les propositions dont Ndoye a parlé et que vous appelez, abusivement, une ‘’pratique envers les alliés’’. D’ailleurs, le porte-parole du gouvernement et celui de la LD ont été formels sur cette question. Il s’agissait d’une proposition à Ndoye, à titre personnel, en tant que SG de la LD et non à la LD elle-même. Et même si c’était un ‘’financement’’ destiné à la LD, en plus du poste de ministre qu’elle occupe au gouvernement et de ses deux députés à l’Assemblée nationale, comment pourrait-on y voir une entorse à la ‘’gouvernance sobre et vertueuse’’ prônée par le président de la République ? J’ai l’impression que les gens parlent de ‘’gouvernance sobre et vertueuse’’ sans réellement savoir ce que ce concept contient.

Pouvez-vous nous dire donc ce que ce concept contient ?

Une ‘’gouvernance sobre’’ n’est que la traduction de la politique de réduction du train de vie de l’Etat qui est mesurée, au plan budgétaire, par les dépenses de fonctionnement en matériel et en réparation. La question est donc de savoir si ces types de dépenses ont diminué ou ont augmenté sous le magistère de Macky Sall. La loi des finances en donne une réponse sans équivoque. En effet, ces dépenses sont passées de 379,7 milliards en 2014, à 359,5 milliards en 2015, puis à 353,7 milliards en 2016 et sont projetées pour 2017 à 349,9 milliards de francs CFA. Quant à la ‘’gestion vertueuse’’, elle se réfère à la qualité des dépenses, à savoir qu’a-t-on fait de l’augmentation des recettes fiscales ? La loi des finances montre aussi que les dépenses ont privilégié les investissements, la masse salariale et les dépenses de redistribution des fruits de la croissance, sans entraver la réduction progressive du déficit budgétaire.

C’est cela qui a permis, depuis 2014, l’avènement d’une croissance économique de plus en plus forte et la mise en œuvre des politiques de réduction des inégalités sociales comme les bourses de sécurité familiale, la Couverture maladie universelle (CMU) et territoriales comme le Programme d’urgence de développement communautaire (PDUC) et le Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (PUMA). Donc, comment peut-on, raisonnablement, partir des déclarations de Ndoye pour mettre en doute l’effectivité de la ‘’gouvernance sobre et vertueuse’’ ? Qu’il faille continuer à faire plus d’efforts dans cette perspective est une chose, mais autre chose, c’est de nier l’effectivité de cette évolution des dépenses publiques.

Cette révélation pose un débat de fond relatif au financement des partis politiques au Sénégal. Ne devrait-on pas légiférer à ce sujet ?

Au Parti de l’indépendance et du travail, nous avons toujours été contre l’idée de légiférer pour financer les partis politiques sur des fonds publics. Le peu de ressources fiscales que nous avons ne devraient pas servir à créer des situations de rente politique qui vont accentuer la tendance, déjà jugée négative, à la prolifération des partis politiques.

Contrairement à l’opinion ambiante, les partis politiques ayant un groupe parlementaire sont déjà financés sur des fonds publics. Au nom de quoi faudrait-il le faire pour tous les autres qui n’ont pas la représentativité requise ? Dans leurs statuts, les partis politiques ont défini souverainement leur mode de financement licite en tant qu’organisation privée. Ils ont prévu les cotisations de leurs membres, la vente de leurs cartes de membre, les dons et autres donations.

Ceux qui les ont créés l’ont fait dans l’optique de conquérir le pouvoir avec tous les privilèges que cela induit. Donc, comment peut-on, décemment alors, prétendre vouloir conquérir le pouvoir en sollicitant le suffrage du peuple, en prétendant le servir, tout en demandant à ce même peuple de financer cette conquête ? C’est absurde ! Le vrai problème, c’est le caractère censitaire du processus électoral, qui donne la prééminence au pouvoir d’argent qu’il faut changer en le démocratisant, plutôt que de prendre l’argent du peuple pour financer les partis afin de préserver ce caractère censitaire. C’est le pouvoir de l’argent qu’il faudrait bannir plutôt que de créer des rentes politiques pour tous ceux que le système censitaire empêche d’accéder au pouvoir. Légiférer pour financer les partis politiques n’est ni républicain ni démocratique et ne sert qu’à entretenir le rôle primordial qu’occupe l’argent dans la vie politique. La véritable moralisation de la vie politique passe par la suppression de ce rôle de l’argent.

La sortie de Mamadou Ndoye pose également le débat sur la crédibilité de la gauche sénégalaise, d’une manière globale. On a comme l’impression que celle-ci a abandonné la révolution et s’est mise à la recherche du profit. Que devient, selon vous, la gauche sénégalaise ?

Je crois que là, on profite des dires de Ndoye pour faire un procès d’intention à la gauche. Depuis qu’elle est devenue gênante, l’on a eu de cesse de chercher à la discréditer, à défaut de la faire disparaître du paysage politique de notre pays, comme Senghor l’avait tenté, en vain, dès 1960, en interdisant le PAI (NDLR : Parti africain de l’indépendance). Que n’a-t-on pas entendu depuis cet échec ? Nous avons été traités de ‘’gauche caviar’’, sous-entendant être à la solde de Moscou. Nous avons été accusés de ‘’capitulard’’ face à la bourgeoisie, et puis de ‘’gauche qui a troqué la lutte des classes à la lutte des places’’ ! Mais toutes ces campagnes de discrédit n’ont pas empêché la gauche de passer de mouvement marginal à la périphérie de l’arène politique, pour y occuper, aujourd’hui, une place centrale au point d’être taxée de ‘’faiseur de rois’’ ! Et même, on reproche à la gauche de ne pas se faire roi.

Comment peut-on donner autant d’ambitions à cette ‘’gauche cabine téléphonique’’ ? Le ridicule ne tue pas ! Ces gens qui parlent de lutte des classes supplantée par des luttes des places, en parlant des partis de la gauche, montrent qu’ils ignorent que les partis politiques ne sont pas des classes sociales qui luttent entre elles, mais des organisations privées qui luttent entre elles pour conquérir le pouvoir et des places dans le pouvoir, pour servir les classes sociales qui s’affrontent autour de la plus-value créée dans le processus de production et d’échange des marchandises et des services. C’est cet ‘’affrontement’’ qui est appelé ‘’lutte des classes’’. La gauche a choisi de lutter pour la conquête du pouvoir et des places au sein du pouvoir, afin de servir les classes et les couches sociales opprimées dans leur lutte des classes pour leur émancipation politique, économique, sociale et culturelle. Donc, dire que la gauche troque la lutte des classes à la lutte pour des postes est une belle absurdité, juste pour discréditer son combat.

Selon vous, que reste-t-il de cette gauche sénégalaise ?

La gauche sénégalaise se fortifie en s’épurant à travers des crises internes dans sa lutte pour la conquête du pouvoir au service des classes sociales exploitées, opprimées et exclues.

Reste-t-il, aujourd’hui, une seule force politique sénégalaise qui croit toujours aux idéaux de la gauche marxiste-léniniste ? Est-ce que celle-ci n’est pas aujourd’hui en perte de repères ?

Pour vous en convaincre, je vous convie, et à travers vous tous vos confères, à couvrir les activités prévues par le PIT pour commémorer le centenaire de la révolution d’octobre en Russie et les 60 ans de la création du PAI, du 23 au 30 octobre à Dakar, notamment avec l’exposition organisée au siège du parti à Khar Yalla durant toute la semaine, le forum qu’il organise à Dakar le 28 octobre, suivi d’une conférence publique qui se tiendra le 29 octobre à Thiès, lieu de la création du PAI. Si, à l’issue de ces manifestations, vous avez encore des doutes, nous pourrions nous retrouver pour en parler.

Après la dislocation de AJ/PADS, la LD traverse une crise sans précédent, le PS est secoué par une dissidence interne, le PIT est aphone sur certaines questions majeures. Est-ce qu’on n’est pas en train d’assister aux derniers instants de la gauche sénégalaise ?

D’abord, qu’est-ce vous entendez par ‘’certaines questions majeures’’ ?

Les questions d’intérêt national.

Ecoutez, notre parti a tenu régulièrement, tous les 6 mois, son Comité central, pour faire l’analyse de la conjoncture politique, économique et sociale du pays, sans oublier la sous-région et la situation internationale. Les sessions du Comité central ont toujours été sanctionnées par un communiqué qui reflète ses points de vue sur les questions soulevées et qui est distribué à la presse. La dernière session du Comité central a été consacrée à la définition de la position du parti sur les élections législatives, après analyse du contexte et la prise en compte de l’expérience du parti. Les conclusions du Comité central ont été, par la suite, objet d’une conférence publique organisée à Dakar. C’est pour tout cela que je me trouve perplexe face à votre question. Je ne crois pas qu’il ait eu des ‘’questions majeures’’ sur lesquelles nous ne nous sommes pas prononcés. Maintenant, quant à savoir si on n’est pas en train d’assister aux derniers instants de la gauche sénégalaise, je peux répondre que depuis l’interdiction du PAI, en 1960, c’est toujours cette même rengaine que l’on nous sert à chaque tournant historique de notre vie politique. Il y a beaucoup de gens qui ont prédit l’enterrement de la gauche sénégalaise. Mais aujourd’hui ils sont morts pour la plupart, tandis que la gauche sénégalaise est toujours là. C’est cette permanence de la gauche dans la vie politique au Sénégal et son rôle indéniable dans les conquêtes républicaines, démocratiques, sociales et culturelles de notre peuple qui empêchent de dormir nos adversaires les plus déterminés.

La sortie de Ndoye pose aussi le débat sur l’utilisation des fonds spéciaux alloués annuellement au président de la République. Est-ce que leur destination est de gérer une clientèle politique ?

Dans les fonds spéciaux, il y a une rubrique concernant spécialement les fonds politiques. Ils sont attribués au président de la République à des fins politiques à sa discrétion. Ces fonds politiques existent dans tous les pays démocratiques et ne sont soumis à aucune autorisation préalable pour en user, ni à des contraintes ou à des contrôles administratifs ou parlementaires. Il est donc incongru de qualifier leur destination et surtout de leur attribuer un caractère de clientèle politique. Ce qu’il faut éviter, c’est d’avoir, en plus des fonds politiques du président de la République, une législation qui octroie aux partis politiques des fonds publics.

Ce serait infliger une double peine financière à notre peuple. En effet, si cette loi n’est pas accompagnée de la suppression des fonds politiques, il ne sera pas possible d’empêcher le président de la République d’en user à sa discrétion. Le Mali illustre bien cette double peine. Dans ce pays voisin, les partis sont financés sur les recettes fiscales de l’Etat. Ils peuvent aussi bénéficier discrètement des fonds politiques à la discrétion du président de la République du Mali. Il est donc affligeant de voir des gens qui prétendent vouloir ‘’assainir la vie politique’’ du pays nous proposer le Mali en exemple. Il est impossible d’assainir la vie politique en prenant des lois qui renforcent le pouvoir de l’argent dans la conquête du suffrage du peuple.

Ne sommes-nous pas en train d’assister à un partage du gâteau avec le régime de Macky Sall ?

C’est dommage que des Sénégalais aient encore une conception alimentaire du pouvoir d’Etat ! On exerce le pouvoir pour manger ! C’est un ‘’gâteau à partager’’ entre les membres de la famille du président, ses partisans et alliés ! Mais ces gens-là oublient que dans la Constitution en vigueur dans notre pays, c’est le président de la République, chef de l’Etat, qui nomme à tous les emplois civils et militaires. Comment peut-on donc assimiler l’exercice de ce pouvoir constitutionnel à un ‘’partage de gâteau’’ ? Si tel devrait être le cas, dans tous les pays du monde qui ont ce type de Constitution, c’est le ‘’régime de partage de gâteau’’ qui est mis en place. Un tel manque de culture politique m’étonne, malgré les acquis démocratiques de notre pays qui font référence en Afrique. C’est une telle conception qui retarde encore la prise de conscience politique des couches populaires et des enjeux de classe que représente l’Etat.
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