Le dossier Habré ne semble pas intéresser les opposants au Tchad. Il n’y a pas de mobilisation autour de la procédure ni autour des victimes. L’opposant Saleh Kebzabo, qui dirige le parti de l’Union nationale démocratique pour le renouveau (Undr), explique que ce sujet n’est pas une priorité politique.
Le dossier Hissein Habré ne mobilise pas la classe politique tchadienne. Surtout l’opposition dont les leaders restent loin de la procédure en cours au Tchad et au Sénégal. C’est une indifférence dont on peut s’étonner mais qui, à écouter le secrétaire général de l’Union nationale démocratique pour le renouveau (Undr), s’explique aisément. Pour lui, il n’y a «aucun intérêt politique local dans cette affaire. En tant qu’opposants, nous cherchons à prendre en charge les préoccupations des populations tchadiennes et elles sont ailleurs. Notamment dans les difficultés socioéconomiques et autres».
Cette indifférence va jusqu’à l’ignorance de faits importants relatifs au dossier Habré qui se déroulent à Ndjamena. Dans la classe politique locale, d’aucuns ne sont pas encore au courant que des personnes inculpées, dans le cadre de l’instruction interne ouverte par l’Etat tchadien, se sont retrouvées en liberté provisoire. Devant cette réalité, M. Kebzabo rétorque qu’il ne s’agit pas d’un manque d’intérêt total, «mais juste que les gens pensent qu’on est en face d’une mascarade». Et d’ajouter : «Je ne dénonce pas ce qui se passe. Je trouve même que c’est important, mais ce n’est pas un sujet prioritaire au sein de l’opposition.»
Pour autant, les opposants tchadiens n’ignorent point les évènements qui se sont passés dans leur pays entre 1982-1990. D’aucuns les ont vécus personnellement, avec des proches qui ont été victimes. Mais pour M. Kebzabo, il faut faire avec les réalités locales. «Le Peuple tchadien est habité par un type de fatalisme fortement inspiré par la religion islamique. Les musulmans, face à une épreuve, observent la patience. Quand elle est dépassée, on adopte facilement la posture du pardon ou de l’oubli. C’est tellement fort ici que les gens restent passifs par rapport à ce qui se passe. L’opposition ne peut pas mobiliser le Peuple pour revendiquer un jugement de Habré. Si je me mettais à organiser des meetings pour dire aux gens : «Venez, il faut qu’on se batte pour faire juger Hissein Habré», personne ne serait venu avec moi», indique le leader de l’Undr.
«C’est un régime répressif»
Mais la résignation et le fatalisme des Tchadiens ne sont pas les seules raisons de cette indifférence. La peur plane aussi. Dans le milieu de l’opposition, on soutient avoir affaire à un «régime répressif. Il ne faut pas se voiler la face. Ceux qui prennent la parole pour dire le fond de leur pensée, on n’en trouve pas beaucoup. Sur certains sujets, c’est la langue de bois», confie un opposant. Pour M. Kebzabo, «si ce n’était pas l’Ong Human rights watch et les associations des victimes, il y a longtemps que les gens auraient oublié cette période noire de l’histoire du Tchad, imputée à Hissein Habré».
Et pourtant ces victimes sont mobilisées en nombre. Là où des opposants tchadiens parlent d’un sujet qui n’intéresse pas les Tchadiens, plus de mille cinq cents victimes se sont déjà signalées pour témoigner à charge contre le régime de Habré. Au siège de l’Association des victimes du régime de Habré (Avcrh), comme au niveau de l’Association tchadienne des droits de l’Homme, des dizaines de personnes se pressent chaque jour pour se faire enregistrer et témoigner. Une visite au commissariat central où se font les auditions laissent voir les foules qui défilent quotidiennement.
Malgré tout, il y a cette indifférence des politiques que les associations de victimes confirment. Président de l’Association de l’Avcrh, Clément Abaifouta, confie qu’«aucun homme politique, aucun opposant n’a posé un acte en faveur des victimes dans leur combat contre l’impunité. Les opposants sont beaucoup plus préoccupés et intéressés par le partage de la gestion du pays. A part l’opposant Jean Alingué, actuellement en France pour des soins, qui s’est illustré à travers des déclarations demandant aux autorités actuelles de procéder au jugement de Habré, personne d’autre n’a soutenu publiquement les victimes dans leur quête de justice», déclare-t-il.