Dans la nuit du 4 au 5 septembre dernier, la statue de Faidherbe, érigée sur l’île de Saint-Louis, est tombée. Cet incident a suscité un débat passionné sur la toile. D’aucuns étaient d’avis qu’il fallait la remettre ; d’autres y ont vu un signe du destin et jugeaient qu’il n’était pas nécessaire de la replacer. Gestionnaire de patrimoine, Abdoulaye Gaye a son avis sur la question.
Qu’avez-vous pensé, quand on a annoncé que la statue de Faidherbe est tombée ?
J’ai ressenti de la tristesse et de la désolation. Ce sont les deux mots qui peuvent définir le mieux mes sentiments. Mais, au-delà de l’émotion que cela peut susciter chez les uns et chez les autres, je dirai qu’il faut faire une lecture profonde de ce qui s’est passé. C’est la gestion de nos sites même qui pose problème. En effet, au-delà de la statue de Faidherbe, il faut noter que d’autres sites ou monuments sont dans un état de délabrement total ou très avancé.
Je citerai en exemple l’école normale William Ponty qui est à Sébikotane, avec tout ce qu’elle représente en Afrique de l’Ouest. L’usine des eaux de Mbakhana aussi est devenue un enclos. Et pourtant, il existe une Direction du patrimoine. Cette dernière est dotée de moyens conséquents, parce qu’un budget a été voté pour la réhabilitation des sites. Il existe également un personnel qualifié, mais qui n’est pas valorisé. Et la question qu’on se pose, dès lors, est : si on ne valorise pas son propre personnel, comment peut-on valoriser son patrimoine ? Il faut revoir le système et les modes de fonctionnement. Il faut doter de moyens les services centraux comme régionaux et leur fixer des objectifs précis. Mais ce qu’il faut vraiment, avant tout, c’est de promouvoir les jeunes, les responsabiliser.
Certains sont contre le fait qu’on l’ait remise. Etes-vous du même avis ?
Je ne suis pas du même avis pour plusieurs raisons. D’abord, parce que je suis gestionnaire de patrimoine, par conséquent, il est de mon devoir et de mon rôle de protéger, sauvegarder et valoriser ce dernier. Ensuite, Louis Faidherbe fait partie de notre histoire. Quoi qu’il en soit, on ne peut et pourra jamais l’occulter de notre passé. Que l’on considère comme bon ou mauvais, cela ne change rien. Moi, je me dis qu’il n’y a pas de demi-mesure. Si on doit enlever la statue de Faidherbe, il faudra également changer les noms des rues, l’architecture coloniale, le franc CFA, qui est aussi un sujet d’actualité. Il faudra effacer tout ce qui est lié à la présence française au Sénégal, inclus le palais de la République. Une entreprise qui, à mon humble avis, me parait difficile à réaliser.
Ne pas avoir cette statue à cette place peut-il avoir une quelconque incidence sur le statut de patrimoine de l’UNESCO dont bénéficie Saint-Louis ?
Tout dépend des critères qui ont prévalu pour faire de Saint-Louis patrimoine mondial de l’UNESCO. Et si on regarde bien, ce sont les critères II et IV. Les premières citées sont celles qui témoignent d’un échange d’influence considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysage. Pour les IV, ce sont les critères qui offrent un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significatives de l’histoire humaine.
Ceci dit, la statue toute seule ne suffit pas pour classer Saint-Louis, mais elle peut faire partie des éléments qui ont permis de classer la ville, parce que témoin d’un échange d’influences considérables pendant une période donnée (critère II) à savoir la colonisation. Et étant donné que la ville de Saint-Louis est déjà sous la menace de l’UNESCO, cela peut être un prétexte pour la retirer ou la classer dans le patrimoine mondial en péril.
Que faut-il faire pour préserver le patrimoine matériel de Saint-Louis ?
Il faut un plan de sauvegarde pour cette ville. Mais il faut également suivre les recommandations de l’UNESCO. Ces dernières ne sont pas très compliquées à appliquer. Elles demandent juste une certaine volonté politique. Il faut, par ailleurs, former et sensibiliser les populations sur l’importance du patrimoine pour un pays, surtout si celui-ci est placé patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le ministère de la Culture a un nouveau patron. Qu’attendez-vous de lui ?
De lui, nous attendons une gestion efficace et objective, sans parti pris. Au ministère de la Culture, il y a trop de ‘’clanisme’’. Les mêmes personnes gravitent à la tête des mêmes structures, depuis plus de dix ans. L’égalité des chances, on ne la connaît pas dans ce département. Il y a un favoritisme qui ne dit pas son nom. A chaque ministre sa cour, ce qui est vraiment dommage. Et pourtant des cadres et des gens bien formés, le ministère n’en manque pas. Beaucoup de ‘’jeunes’’ sont partis se faire former dans de grandes écoles en Afrique et en Europe, mais au finish, rien. Ils ne sont pas promus.
Quelque chose vous a marqué dans la gestion du ministre sortant ?
Oui, son manque de punch, parce qu’il a juste reconduit la même équipe qui était là, en plus de satisfaire sa clientèle politique. Je lui souhaite bon vent !
BIGUE BOB