Le problème du zircon de Niafourang, un village situé dans la commune de Kabata, en Casamance, prend une nouvelle tournure. Ainsi, dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, l’ancien député Abdou Sané, membre du Comité de lutte pacifique contre l’exploitation du zircon en Casamance, revient en profondeur sur cette affaire. Selon M. Sané, qui est par ailleurs environnementaliste, le député Ousmane Sonko va porter le débat à l’Assemblée nationale.
Depuis quelque temps, des manifestations sont organisées en Casamance et à l’étranger contre l’exploitation du zircon à Niafourang. Pouvez-vous revenir concrètement sur ce projet ?
Ce projet date à peu près de 2004. Une date qui correspond à l’année où il a été délivré le permis d’exploration du zircon sur tout le littoral casamançais, jusqu’au Cap Skirring. Ensuite, le projet a marqué des pas, avec brusquement dans les années 2010-2011 des audiences publiques. C’est un aspect de l’étude d’impacts environnemental et social. Et c’est une occasion que l’on donne aux populations d’accepter ou non un projet conformément à la loi. Alors, ce qui s’est passé, c’est qu’à deux reprises, les audiences n’ont pas été concluantes. Parce que les populations ont été catégoriques, et en majorité l’ont rejeté. Puis, s’ensuit une période de confusion totale, puisque le promoteur du projet dit, à travers une enquête publique, qu’il a pu avoir l’adhésion d’un certain nombre de leaders qui, entre-temps, ont contesté la véracité de ses propos. Ne serait-ce que ce point de vue seulement, le projet ne doit pas avoir l’autorisation d’exploitation. Parce que l’adhésion des populations n’a pas été obtenue.
Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ?
Malheureusement, par des formes totalement obscures et peu orthodoxes, l’Etat s’est débrouillé pour donner à Astron un permis d’exploitation, contre toute attente. Pour ceux qui ont suivi le dossier, c’était la grande surprise, le grand scandale. Car on pouvait s’attendre à tout sauf à l’octroi d’un permis d’exploitation. Qui a donné ce permis ? Dans quelles conditions ? En ce fondant sur quel élément ? C’est pour toutes ces raisons que nous avons organisé à l’international, le 10 septembre passé, au Canada, en Espagne et à Paris, des manifestations de même qu’à Ziguinchor. A notre connaissance, l’étude d’impacts qui a été présentée souffre de ces lacunes, de ces consistances et ne réunit aucun élément pour mériter l’octroi d’un permis d’exploitation.
Existe-t-il, aujourd’hui, des menaces pour la Casamance, avec l’exploitation du zircon ?
D’un point de vue physique, il y a d’abord la menace qui va porter sur un écosystème très sensible, très fragile, mais très utile qu’est la dune. Parce qu’une partie de celle-ci va être attaquée, même si on parle de reprofilage. Or, on sait que l’écosystème, dans son fonctionnement naturel, lorsqu’il est perturbé, ne peut pas restaurer sa vie initiale. Ce n’est pas possible. Et le meilleur exemple aujourd’hui, c’est qu’on s’est amusé, à Saint-Louis, à dire que nous allons faire une fracture pour permettre aux eaux de passer pour éviter les inondations.
Mais personne n’a aujourd’hui les moyens techniques pour arrêter le phénomène. C’est devenu une embouchure avec des lots de morts. Ici, c’est la même chose, quand on attaque un écosystème aussi fragile qu’une dune, ce n’est pas parce qu’on va retourner le sable qu’on va lui redonner vie. Elle sera perturbée. Il y a aussi la menace qui pèse sur la nappe phréatique, les rizières par le phénomène d’ensablement et même de la mangrove qui constitue un autre écosystème. En termes clairs, on veut régler un problème de ressource en menaçant une ressource aussi vitale que l’eau, source de vie de l’homme sur terre. Parce que ce sont des populations qui vont être déguerpies, qui vont quitter avec leurs champs, leurs vergers, leurs campements touristiques, pour des indemnisations qui sont très souvent en deçà par rapport au coût réel de la vie utile.
Donc, ce sont ces éléments réunis qui constituent une catastrophe que nous voulons éviter à ces populations, parce qu’elles ne méritent pas cela.
Et par rapport à ces indemnisations, quel est le montant qui a été proposé par Astron ?
Dans son document, Astron dit que ces indemnisations seront conformes au barème actuel. Et pour celui-ci, quand on va demander aux gens de Rufisque, qui ont été touchés par le projet du Train express régional (TER), ils diront que ce qu’on leur a dédommagé ne leur permet même pas d’acheter un terrain. Le problème n’est pas lié à l’indemnisation. Mais il faut qu’on apprenne à respecter les populations. En termes de transparence, je ne peux même pas voir ce permis d’exploitation.
Avez-vous une idée de la quantité de zircon découverte dans cette zone ?
Nous ne sommes pas des spécialistes du zircon. Mais, dans la littérature, on nous parle, et je ne sais pas si c’est juste, de 4 millions de tonnes de sable à enlever pour extraire le zircon.
Est-il avéré qu’il y a un risque de reprise du conflit avec le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), si on commence l’exploitation de ce projet ?
Salif Sadio s’est prononcé sur la question et il a dit qu’exploiter le zircon est une déclaration de guerre, de même que César Atoute Badiate. Ce qui veut dire que même le MFDC, qui est divisé, est uni sur cette question. Toutes les tendances sont contre ce projet. Et je ne souhaite même pas qu’on en arrive-là.
L’Etat n’a pas encore reculé et le promoteur est déjà sur place…
L’exploitation doit commencer au mois d’octobre prochain, selon les rumeurs qu’on a entendues. Puisqu’on n’a aucune information officielle à ce propos. C’est le promoteur qui détient et contrôle tout. C’est totalement obscur. Notre problème, c’est que nous sommes intrigués du fait qu’Astron puisse obtenir le permis d’exploitation. Nous sommes aussi doublement intrigués du fait que c’est avec un forcing que l’Etat veut aller à la face d’exploitation en pensant que ce sera sous surveillance militaire. Sur ce plan, nous sommes fortement déçus et nous pensons que l’Etat va être très raisonnable en tenant compte d’un certain nombre d’éléments pour revoir sa position.
Mais, en 2004, Abdoulaye Wade, Président de la République à l’époque, avait signé un décret pour déclarer cette zone ‘’aire marine protégée’’. Qu’en est-il aujourd’hui de ce décret ?
Le décret est toujours en vigueur. C’est toujours une aire marine protégée. Le document même fait allusion à certaines menaces sur l’aire marine protégée d’Abéné. Cela fait partie des raisons évoquées, même si les conséquences ne sont pas si évidentes par rapport à l’élément nouveau, mais il y a toujours des possibilités.
Vous avez également lancé une pétition contre l’exploitation du zircon. Où en êtes-vous dans la collecte des signatures ?
Effectivement, nous l’avons lancée, aussi bien au plan national qu’international. Mais le facteur limitant de cette pétition, est que le problème du zircon n’est pas connu. Beaucoup de gens ne sont pas au courant de son existence. La pétition avance lentement, mais surement. Et le jour où la conscience va s’élargir, où les gens mesureront les risques qu’il y a avec ce projet, je pense que la donne va changer. La plupart des personnes ne sont pas convaincues qu’une pétition puisse régler un problème au Sénégal.
Avez-vous saisi les autorités publiques sur cette affaire ?
Nous avons eu à adresser des lettres ouvertes depuis les années 2008-2009 et 2010, et c’étaient des lettres adressées au président de la République. Nous avons fait des rapports que nous avons remis aux autorités pour leur montrer pourquoi nous sommes contre ce projet. Mais nous n’avons reçu aucun feed-back. Nous avons fait des marches et la première fois que nous avons été reçus, c’est lors de la marche de Ziguinchor où le gouverneur a accepté d’écouter les gens. C’était une première depuis 2004. Cependant, je pense qu’avec la présence de notre député Ousmane Sonko, les données vont s’accélérer, puisqu’il va introduire une question écrite à l’Assemblée nationale autour du zircon. Du coup, cela va devenir une affaire nationale, car ce sont les représentants des populations qui vont s’y pencher.
Aujourd’hui, votre comité s’oppose à l’exploitation de cette ressource. Mais qu’est-ce qu’elle propose à la place ?
C’est simple ! Premièrement, il faut éviter de faire quelque chose contre la volonté des populations. Quand celles-ci identifieront les vrais avantages du projet, elles diront oui et à ce moment, ni moi ni quelqu’un d’autre ne peut les en empêcher. Deuxièmement, il y a une initiative qui est prise pour la dune. Ils sont en train de mettre en place un projet de plantation de l’anacarde qui jouera un rôle important d’un point de vue environnemental, et aussi économique. Car les populations peuvent en tirer des revenus.
PAR MARIAMA DIEME