En campagne pour sa réélection, Karamba Diaby, premier député noir d’Allemagne élu dans une circonscription d’ex-RDA, aspire à la normalité malgré les injures racistes qui pleuvent sur lui dans cette région où prospère la xénophobie.
"A tous les racistes: I’m not your negro!" ("Je ne suis pas votre nègre!"): sur Facebook, Karamba Diaby, né au Sénégal il y a 55 ans, a tapé du poing sur la table pour répondre aux néo-nazis qui l’agonissent d’injures alors qu’il bat le pavé pour se faire réélire lors des législatives du 24 septembre.
Car derrière l’apparente quiétude de la campagne et d’une élection qui paraît promise à Angela Merkel, la colère aux marges de l’échiquier politique gronde. Et avec lui le ressentiment à l’égard des étrangers.
Le candidat social-démocrate de la ville de Halle dénonce ceux qui déversent leur fiel sur lui à coup de "singe noir" et de "ce mot en n" qu’il refuse désormais de prononcer. Il a porté plainte contre le parti néo-nazi NPD à l’origine de cette campagne.
"Les commentaires sont devenus très, très agressifs" sur les réseaux sociaux, affirme à l’AFP ce docteur en chimie élu député pour la première fois il y a quatre ans.
Avec un autre Allemand d’origine sénégalaise, ils sont les deux premiers noirs de l’Histoire à siéger au Bundestag.
Karamba Diaby, qui a reçu des centaines d’emails injurieux et des menaces de mort dans le passé, considère que "c’est un devoir de toute la société" de faire front. Car "il n’y a pas de liberté d’opinion quand on insulte quelqu’un".
- Dignité d’une personne -
"La dignité d’une personne est inscrite dans notre Constitution", martèle cet homme qui parle parfaitement l’allemand, le français et le mandinka. Et "je ne me laisse pas intimider par qui que ce soit".
Le député né en Casamance aimerait qu’on ne le renvoie plus sans cesse à sa couleur de peau. "Si le fait que quelqu’un qui vit ici depuis plus de 31 ans, qui a étudié ici, qui a sa famille ici (...) pose sa candidature au parlement est un événement extraordinaire et une sensation, c’est très dommage",
juge-t-il.
Mais sur les terres désindustralisées de l’ancienne RDA communiste, le racisme fait florès. Halle, ville de 230.000 habitants qui ne compte que quelque 7% d’étrangers et accueille 4.000 réfugiés, est considérée comme un fief néo-nazi.
En outre, le jeune parti nationaliste et anti-migrants Alternative pour l’Allemagne (AfD) a enregistré dans sa région un score record de plus de 24%
l’an dernier.
Sur la place principale de Halle, Karamba Diaby enchaîne ce matin-là les échanges chaleureux. Très loin de la haine sur internet. "Karamba!", lance un jeune poing levé en signe de victoire. "Tu viens au match samedi?", lui demande un autre alors que grimpé sur un escabeau, le député se débat avec une affiche de campagne qu’il faut accrocher au lampadaire.
- Naturalisé en 2001 -
"Je dis toujours aux étrangers que quand tu es en Allemagne, tu dois la considérer comme ton pays", reprend M. Diaby naturalisé allemand en 2001.
Malgré tout, pour lui "l’Allemagne est un pays ouvert" qui a beaucoup changé depuis qu’il a débarqué, un jour d’octobre 1985, dans la RDA communiste. Pour seul bagage, le jeune Sénégalais disposait d’une bourse d’études décrochée grâce à ses activités dans une organisation estudiantine de
gauche dans son pays natal.
"Je savais seulement deux mots, ’Bundesliga’ et ’BMW’" en arrivant, sourit M. Diaby qui a fréquenté au lycée l’actuel président sénégalais, Macky Sall. Et "les conditions n’étaient pas faciles" dans ce régime dictatorial.
Les Allemands de l’Est vivaient en vase clos, les Africains, essentiellement des étudiants venus de pays socialistes, n’étaient guère intégrés.
Quand le Mur de Berlin s’effondre en 1989, le racisme à l’Est se déchaîne. Un soir de 1991, descendant d’un bus, le jeune doctorant est agressé physiquement. M. Diaby n’aime guère évoquer ce souvenir.
Marié à une Allemande, il reste dans le pays, s’engage au SPD où il veut aujourd’hui se battre pour l’éducation, "l’un des grands défis" du pays.
Sa thèse de doctorat, il l’a consacrée à la pollution de sols dans les jardins ouvriers. Ces lopins de terre typiques de son pays d’adoption.
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