Le président du parti Les démocrates réformateurs (LDR/Yessal) est resté sur sa faim, après la composition du nouveau gouvernement. Modou Diagne Fada est d’avis que le remplacement d’Abdoulaye Daouda Diallo à la tête du ministère de l’Intérieur ne met pas fin à la revendication de l’opposition sur la nécessité de créer un ministère uniquement dédié à l’organisation des élections. Il est aussi d’avis que ce remaniement n’est qu’un début. Que Macky Sall va aller piocher dans l’opposition, en perspective de 2019, puisqu’il n’est plus majoritaire.
Un nouveau gouvernement a été formé avec des entrants, des sortants et des permutations. Quelle analyse en faites-vous ?
Il faut d’abord dire que le nouveau gouvernement est assez pléthorique. On nous parle de 39 ministres. Bien entendu, on est très loin des 25 ministres qui avaient été promis par le candidat Macky Sall. On ne va, cependant, pas lui tenir rigueur pour cela. On comprenait que c’était une promesse électoraliste. Ensuite, il n’y a pas eu de consultations, en tout cas pas au vu et au su de tout le monde, ce qui constitue un fort moment de communication aussi bien pour le gouvernement que pour les nouveaux ministres. Sur le gouvernement, il y a eu des départs de technocrates comme Eva Marie Coll Seck, Viviane Bampassy qui ont été remplacées par des politiques. Mankeur Ndiaye a été déparqué au profit de Sidiki Kaba qui a un engagement politique certain à Tambacounda, contrairement à son prédécesseur. Les technocrates ont vu leur nombre réduit.
Est-ce une façon de préparer la prochaine présidentielle ?
Certainement ! Mais je crois qu’il aurait dû aller plus loin, parce que les Sénégalais s’attendaient à des changements profonds, à des chamboulements, à de nouveaux visages, à de nouvelles personnalités de l’APR et de la société civile. Il y a eu des personnalités de l’APR qui ont conduit victorieusement la coalition BBY à la victoire dans leur département. Je pense à Thiès, à Podor, à Dagana…
Et qui sont ces responsables ?
Mais ils sont nombreux ! Il y a Mouhamadou Makhtar Cissé, Cheikh Oumar Hann, Amadou Mame Diop de Dagana, Ciré Dia de Thiès et tant d’autres que j’attendais personnellement dans le gouvernement pour renforcer le camp de BBY en direction des élections. Moi, je fais partie des gens qui pensent que le remaniement n’est pas fini et qu’avant la présidentielle, on emmènera encore de politiques au sein du gouvernement, si véritablement le président Sall comprend le message que le peuple lui a envoyé.
Certes, il a 125 députés sur 165, mais le vote populaire a montré des limites. S’il a obtenu ce nombre d’élus, c’est à cause du mauvais système électoral, des listes majoritaires. Mais sur la nationale, il n’a obtenu que 30 députés et l’opposition a également obtenu le même nombre. Donc, entre les deux, c’est l’égalité parfaite, alors que nous savons que c’est lui qui gère, qui est critiqué et qui doit régler les problèmes. Donc, d’ici 2019, ses 50 % vont s’éroder. Nécessairement, il va se renforcer avec des politiques dans les rangs de son parti, de ses alliées, pour être sûr d’avoir 52 ou 53 %, d’ici 2019.
Que vous inspire la composition de ce nouveau gouvernement ?
Il n’y a pas eu beaucoup de nouveautés dans ce nouveau gouvernement : 33 ministres sont restés ; il n’y a que 8 nouvelles têtes. Ce qui est peu par rapport à l’attente des populations sénégalaises qui veulent peut-être une meilleure prise en charge de leurs préoccupations, une accélération des programmes en cours et la mise en œuvre de nouveaux programmes pour prendre en charge la demande sociale.
L’opposition a longtemps exigé le remplacement d’Abdoulaye Daouda Diallo à la tête du ministère de l’Intérieur pour l’organisation des élections. Etes-vous satisfait de sa migration vers le ministère des Infrastructures ?
En ce qui me concerne, je n’ai jamais demandé le départ d’Abdoulaye Daouda Diallo. J’ai toujours dit que ce n’est pas une question de personne, mais plutôt une question de système, de management, de sérieux et de confiance. Ce n’est pas la personne d’Abdoulaye Daouda Diallo qui intéresse les Sénégalais. J’ai toujours dit à mes amis de l’opposition qu’il ne faut pas demander le départ d’un ministre, car cela n’a pas de sens. Mais il faut se battre pour que le système change. Et aujourd’hui, ADD est parti, mais celui qui est venu, c’est du pareil au même. Il est aussi un haut responsable de l’APR. Il est complétement trempé dans la sauce marron-beige, aussi trempé qu’Abdoulaye Daouda Diallo.
La revendication de l’opposition sur la nécessité de créer un ministère uniquement dédié à l’organisation des élections va demeurer. Je crois que si le président est sûr de sa force, de sa représentativité et du fait qu’on ne peut pas voler des élections au Sénégal, il n’a qu’à nommer un ministre chargé des élections plus neutre et plus consensuel. Cela va créer de bonnes conditions de dialogue et de discussion entre les différentes forces politiques. En ce qui nous concerne, nous pensons que le départ d’Abdoulaye Daouda Diallo de la tête du ministère de l’Intérieur et son remplacement par Aly Ngouille Ndiaye n’est que du surplace. Il n’y a pas eu d’évolution dans les revendications portées par l’opposition. Je fais partie de ceux qui pensent que le président Sall l’a fait changer de portefeuille, non pas pour satisfaire la demande de l’opposition, mais plutôt pour peut-être moralement lui faire porter la mauvaise organisation des dernières élections.
Même s’il a été félicité par le président de la République…
Ça, c’est de la politique. Souvent, de telles félicitations, c’est pour dire : on vous remercie.
Avec son remplacement, peut-on s’attendre à un dialogue entre le pouvoir et l’opposition ?
Je ne lie pas le dialogue à la personnalité du ministre de l’Intérieur. Pour moi, le dialogue doit être périodique ; le pouvoir et l’opposition doivent avoir des canaux de discussions, des occasions de se parler. Nous partageons le pays et les sujets de discussion doivent être acceptés par les deux parties. C’est la raison pour laquelle je suis ouvert au dialogue et à la concertation. On ne peut ne pas se parler, ne pas discuter ou échanger. Cela ne devrait même pas être une revendication de l’opposition ou alors un appel du président de la République. Cela devrait être naturel, parce que des sujets relatifs à l’éducation, à l’enseignement supérieur, à la santé, à la paix en Casamance, à l’organisation pratique des élections intéressent tout le monde. Nous devrons pouvoir dialoguer avec le pouvoir autour de telles questions.
Un dialogue politique ou national a, plusieurs fois, été agité dans le passé, sans suivi. Selon vous, où se situe le blocage ?
Est-ce que ceux qui lancent des appels au dialogue sont sincères ? C’est le président de la République qui est la clé de voûte des institutions. C’est lui le maitre du jeu politique. S’il souhaite mettre en œuvre une idée, il a les moyens de le faire. Il ne peut pas dire qu’il va dialoguer avec tout le monde, mais seulement avec ceux qui acceptent de le faire. Si le dialogue ne vise qu’un seul parti, qu’un seul leader, bien entendu, il peut être bloqué.
Maintenant, si le dialogue vise l’ensemble de la classe politique pour aboutir à des consensus forts, à partir de ce moment-là, il a l’obligation de poursuivre son idée jusqu’au bout. Parfois, j’ai l’impression que les appels ne sont pas des appels au dialogue, mais plutôt politiques, pour essayer de noyer quelques politiciens, afin d’avoir leur soutien, en vue des élections de 2019 et voir un peu comment se sortir de certaines situations. La suite de la première édition du dialogue national a été la libération en catimini de Karim Wade et, depuis lors, on n’en parle plus. Moi, je ne parle pas de ces dialogues-là, mais de dialogue constructif, sincère, avec des sujets déterminés ensemble autour desquels la classe politique doit se retrouver et discuter.
A moins de deux ans de la présidentielle, ne pensez-vous pas qu’un dialogue serait profitable aussi bien à l’opposition qu’au pouvoir ?
Tout à fait. Je fais partie des gens qui n’ont jamais été d’accord sur le boycott de la commission ad hoc qui a été créée au niveau du ministère de l’Intérieur pour discuter du processus électoral. La politique de la chaise vide n’a jamais été payante. Il faut être là, défendre son point de vue. Je crois qu’aujourd’hui, le moment est venu de reprendre ces initiatives. Il faut qu’on discute du processus électoral, du fichier, des cartes d’électeur, du mode de scrutin, du financement des partis politiques. Il y a des questions qui sont en suspens et il faudra qu’on en discute et nous attendons du ministre de l’Intérieur l’ouverture d’un dialogue avec la classe politique pour échanger sur ces questions.
L’installation de la 13e législature est prévue pour jeudi prochain. Que peut-on attendre de cette nouvelle Assemblée nationale ?
Pour l’installation, c’est la routine. Le doyen d’âge va présider la séance, faire l’appel et si le quorum est atteint, les groupes parlementaires déjà constitués vont présenter leurs candidatures et les députés vont voter. Ensuite, on va annoncer le nom du nouveau président de l’Assemblée nationale. La 12e législature a été une catastrophe, tout le monde est d’accord. La réussite de cette 13e dépendra du président qui va être choisi, du bureau qui va l’accompagner et de la qualité des députés de la majorité.
Et pourquoi pas de l’opposition ?
Les députés de l’opposition sont connus. Dans l’ensemble, ils sont bons, compétents et pertinents. Malheureusement, ils sont en sous nombre. J’ai été le premier député de l’ancienne législature à dire qu’elle est la plus nulle, parce que j’avais fait le constat. Cette fois aussi, on va attendre 6 mois pour voir est-ce qu’on va changer de cap, de méthode, de façon de faire, pour donner notre jugement. Si on doit reprendre les mêmes pour recommencer, on risque d’aboutir au même résultat.
Vous avez tantôt parlé de la présidence. Que reprochez-vous à Niasse ?
Moustapha Niasse a le profil de l’emploi, mais n’a pas été, dans l’ensemble, un bon président de la 12e législature. Il n’a pas pris beaucoup d’initiatives, il a souvent violé le règlement intérieur. Quand je le dis, je suis objectif. Pour le vote du budget, chaque député a au minimum droit à 5 minutes et peut faire une autre intervention, s’il fait partie de la première liste. On n’a jamais appliqué cela, durant ces cinq ans. A chaque fois, au début d’une séance plénière pour le vote d’un budget, on dit : le temps de parole qui est pour trois ou pour cinq minutes - alors que le temps de parole est réglé par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale - on ne peut pas y revenir. En plus, de là où il se trouve, le président Niasse participe au débat.
Il n’a pas le droit de le faire, il lit des discours. C’est violer le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Durant la 12e législature, il n’y a pas eu d’enquête parlementaire, ni de commission d’information. On n’a pas posé beaucoup de questions orales et d’actualité. Le Premier ministre, qui devait venir tous les mois, est venu 4 à 5 fois. Et quand un député veut faire une proposition de loi, on lui dit il faut trouver le financement. Et comment un élu de l’opposition peut-il trouver ces moyens ? Le seul fait notable, positif, c’est la traduction simultanée et malheureusement, c’est un projet de la 11e Législature que la 12e a concrétisée.
Le maire de Dakar fait partie des élus de cette législature, mais Khalifa Sall est toujours maintenu dans les liens de la détention. Que vous inspire sa situation ?
Je profite de l’occasion pour renouveler mon amitié au maire de Dakar Khalifa Sall et pour appeler encore une fois à sa libération. Je crois qu’il est temps qu’il soit libéré, d’autant plus qu’il est entre-temps devenu député. Il dispose d’une immunité parlementaire, mais je crois qu’il risque de ne pas être présent à l’ouverture de la session. Nous espérons qu’il retrouvera sa place dans les prochains jours.
Qu’est-ce que les textes de l’Assemblée prévoient pour son cas ?
Pour moi, l’immunité parlementaire couvre la période antérieure comme postérieure à l’élection d’une personne à l’Assemblée nationale. Donc, dès la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel, Khalifa Sall dispose de son immunité parlementaire. Et comme il n’est pas encore jugé, ça veut dire qu’il n’est pas encore condamné et qu’il est supposé innocent. Je ne suis pas juriste, mais c’est comme ça que je vois les choses. S’il était condamné, à partir de ce moment-là, on serait dans un autre cas de figure.
Il est annoncé la mise sur pied d’un troisième groupe parlementaire. Etes-vous prêt à l’intégrer ?
Tout à fait. Je suis prêt à intégrer un troisième groupe parlementaire, sans condition. Je ne demande aucun poste. S’il y a des députés qui veulent mettre en place un troisième groupe, je suis prêt à les aider. On en a discuté entre nous, mais ça n’a pas avancé, parce qu’il y a une grande dispersion. Les 7 de Manko n’appartiennent pas au même parti politique. Il nous faudra 17 députés qui appartiennent presque à 15 partis. Et malheureusement, beaucoup n’ont pas la même expérience parlementaire que nous. Donc, ils ne connaissent pas la différence entre faire partie d’un groupe parlementaire et le contraire. Si le député veut s’exprimer et avoir un temps de parole, participer dans les groupes parlementaires, les grandes assemblées, il a intérêt à faire partie d’un groupe.
Les dernières élections législatives ont prouvé que l’éclatement de l’opposition ne lui est pas favorable. Après cette expérience, peut-on s’attendre à une réunification de la coalition Manko ?
L’éclatement de la grande coalition Manko a été une catastrophe pour l’opposition et je crois que nous tous en avons tiré des leçons. Et, peut-être, aujourd’hui, les gens sont déçus des résultats des élections législatives et je crois qu’il faudrait qu’on se reprenne rapidement et qu’on aille vers la création d’une nouvelle plateforme politique de l’opposition. En ce qui nous concerne, nous allons travailler à la construction d’une nouvelle plateforme politique de l’opposition. On ne peut pas, en politique, être isolé. Il faut chercher et travailler avec les grands ensembles. Il y a énormément de partis, surtout ceux qui sont représentés à l’Assemblée nationale. Ceux qui ne sont pas de Wattu Senegaal ou de Manko Taxawu devraient pouvoir se retrouver dans le cadre d’une nouvelle entité, pour travailler en direction des prochaines échéances électorales.
Peut-on s’attendre à ce que vous retrouviez la coalition des Khalifa Sall, Idrissa Seck et autres… ?
Bon, je ne sais pas. Khalifa Sall est un grand frère et un ami, Idrissa Seck aussi, c’est connu, ainsi que Abdoulaye Baldé. Aïda Mbodj est une sœur… Il y a beaucoup de personnalités politiques qui sont là avec lesquelles nous devrons pouvoir composer une entité politique pour aller vers les prochaines échéances électorales.
Et comment la LDR/Yessal compte aller à la présidentielle ?
Nous n’en sommes pas encore là. Nous attendons le moment opportun pour nous prononcer par rapport à la prochaine présidentielle.
L’actualité, c’est également l’expulsion de l’activiste Kémi Séba du Sénégal. Comment jugez-vous cette situation ?
Moi, je suis contre l’expulsion de Kémi Séba. Je ne partage pas toutes ses méthodes de lutte, c’est clair. Mais le Sénégal est un pays de ‘’Téranga’’, de Droits de l’Homme, un pays où il doit exister la libre expression des opinions. Et le fait qu’il ait choisi le Sénégal pour y mener ses activités, c’était une confiance qu’il avait par rapport à notre pays. Aujourd’hui qu’il est expulsé, tout le monde regarde le Sénégal. Ça ternit l’image de marque de notre pays. C’est la raison pour laquelle je fais partie des gens qui appellent à son retour. Il doit revenir au Sénégal et continuer à y mener son combat contre le franc CFA, si c’est son avis. Il y a des gens qui sont pour et d’autres contre. Donc, c’est un débat d’idées et il a le droit d’exprimer son opinion. Le fait de l’expulser ne grandit pas notre pays et notre démocratie.
Des cas d’insultes sur le net sont de plus en plus récurrents dans notre pays. Selon vous, qu’est-ce qui motive ces actes ?
Il faut condamner tous ceux qui se mettent à travers les réseaux sociaux et qui insultent de mère ou de père les personnalités publiques. Ce n’est pas une bonne forme de lutte, il faut se battre avec des arguments. Je crois que nous n’avons pas besoin d’insanités.