Si les jeunes filles ne s’investissent pas en politique, c’est qu’il y a beaucoup de facteurs sociaux qui constituent un frein à leur engagement. Cette conviction est de Fadel Barro, coordonnateur du mouvement Y’en à marre. De son point de vue, les demoiselles sont moins des coupables que des victimes.
Les jeunes filles, bien que participant aux campagnes électorales, ne s’intéressent pas à la politique. Pourquoi cette absence d’engagement ?
Pourquoi extraire les jeunes filles d’une sociologie générale sénégalaise. Je pense que c’est une forme de stigmatisation des jeunes filles que de vouloir se focaliser sur leur engagement, alors que le problème est global. Je dirais plutôt comment les jeunes s’engagent. Comment on s’engage dans ce pays, et à partir de ce moment, voir comment les jeunes filles s’engagent. Je sais que l’engagement politique des jeunes filles est un peu faible dans ce pays, compte tenu de beaucoup de croyances. C’est la problématique générale dans notre pays. Les femmes s’engagent moins que les hommes, parce qu’on leur laisse les tâches ménagères. Elles n’ont pas le temps de faire autre chose. Posons d’abord ce postulat. Ensuite, pour les jeunes, nous sommes dans cette société foncièrement patriarcale et gérontocrate. C’est toujours les anciens qui dirigent.
Le plus âgé a toujours un rôle dominant sur l’autre. L’autre aspect de notre société, c’est que c’est une société foncièrement patriarcale. Dans certaines ethnies comme chez les Pulaars, le matriarcat était de mise. Mais la sommité wolof dominante et le colonialisme dominant font que c’est une société fondamentalement patriarcale. Et qui dit patriarcale dit dominance des hommes sur les femmes. Si tu analyse ces deux éléments dans une nouvelle sociologie contemporaine où on est dans une urbanité que je qualifie d’hybride, parce que nous avons des villageois dans les villes, on peut interroger l’engagement des femmes et des filles. Là, on verra que les jeunes filles sont plus victimes qu’elles ne sont coupables de non engagement en politique.
Au Sénégal, la plupart de ceux qui s’engagent dans les partis politiques, c’est moins l’idéologie que l’intérêt personnel ou les liens de parenté. Et les filles n’échappent pas à cette logique.
Et pourtant les jeunes filles sont bien mobilisées en période de campagne…
Mais si vous voyez dans la mobilisation des partis politiques, il y a beaucoup plus de femmes âgées que de jeunes filles. Vous savez pourquoi ? Parce que ce sont elles qui tiennent des maisons. Elles sont dans un système où, avec la pauvreté et leur rôle de faire vivre la famille, elles ont trouvé une ingéniosité sociale d’organisation de tontine et autres, bref, tout un système pour s’en sortir, parce que ce sont elles qui assurent la survie dans la maison. Comme elles sont organisées, elles offrent un réceptacle aux leaders politiques qui veulent s’adresser aux populations et qui ne peuvent pas aller directement les voir. À partir de ce moment, elles captent l’offre politique en termes de sinécure et de prébendes. Il y a un système de corruption des hommes politiques et les femmes ont eu l’intelligence de s’organiser pour capter les dividendes.
Il y a ce que j’appelle le plan ‘’yeuré’’ (habits) avec les tissus. Il y a aussi la dépense quotidienne assurée pour quelques jours. Après, elles viennent assurer la ‘’mboumbaye’’ et la ‘’roumbaye’’ (mobilisation folklorique). Maintenant, dans ce folklore-là, elles emmènent avec elles leurs filles, leurs sœurs, leurs cousines… Celles qui se mobilisent et qui mobilisent, ce sont ces femmes-là. Les filles ne sont qu’emportées. Et elles s’en foutent de qui vient. Parfois elles ne connaissent même pas le leader qui organise. Elles viennent parce qu’elles suivent une tante, une dame du quartier qui vient dire ‘’Venez, il y a 2 000 F’’.
Voulez-vous dire que la mobilisation n’est pas spontanée ?
Non ! Non ! Non ! Ici au Sénégal, la mobilisation politique n’est pas spontanée. C’est rare. Et lorsque c’est le cas, c’est quand il y a un Wade qui passe ou un Macky Sall qui passe, c’est la curiosité qui fait sortir les gens. Ce n’est pas par adhésion. Regardez Tanor Dieng qui a drainé des foules lors de la campagne présidentielle de 2007. Ça ne s’est pas traduit en termes de résultats. C’était la même chose pour Wade en 2012. Peu sont ceux qui vont dans les meetings par adhésion. C’est pourquoi d’ailleurs c’est le parti au pouvoir qui traine plus de foule, parce qu’il a les moyens. Il a les réseaux de tontine et offre le folklore. Il suscite plus la curiosité. Si tu fais appelle à un Youssou Ndour, par exemple, il suscite la curiosité, mais cela ne veut pas dire que les gens adhèrent. Il faut donc se rendre compte de la complexité du problème au lieu de charger de pauvres jeunes filles qui n’en sont pour rien.
Passé le temps de la curiosité et de cette mobilisation embarquée, est-ce qu’elles sont susceptibles d’aller voter ?
Non ! Elles s’en foutent, les filles comme les garçons. On n’en voit d’ailleurs qui n’ont même pas l’âge de voter. C’est parce qu’il y a un ‘’sabar’’ (séance de danse) ça les intéresse et elles viennent. Sinon, il n’y a pas d’engagement. Regardez bien les partis, si ce n’est pas une mobilisation ‘’ndiaga ndiaye’’, il n’y a pas 30 personnes. Même Macky Sall, s’il appelait aux Parcelles et qu’il n’apporte pas de ‘’cars rapides’’, des tissus, 2 000 ou 3 000 F, personne ne vient. L’offre politique n’est pas articulée. Les gens ne vont pas en campagne en termes de programme et d’offre politique alternative à défendre ou expliquer, non !
Est-ce que le niveau d’instruction des jeunes filles peut être un facteur déterminant dans cette mobilisation ?
Celles qui sont instruites y vont rarement. À moins qu’elles aient un intérêt direct. Il faut peut-être faire un sondage pour le démontrer ou bien interroger un sociologue qui a fait un travail sur ça. Je ne veux pas m’avancer sur des choses que je ne peux pas démontrer.