Des cinquante-quatre Etats africains, seuls quatorze ont une monnaie commune appelée Franc CFA convertible à taux fixe avec l’euro. En dehors de ces quatorze Etats, les quarante autres ont quarante monnaies non identiques avec des taux de changes différents et souvent flottants vis-à-vis des fortes devises comme l’euro et le dollars US. Quel est le meilleur des deux scenarios : monnaie unique ou monnaies nationales ? Je ne verserai pas dans le débat biaisé par des aprioris et des sentences plus politiques que techniques.
Je constate humblement que les cinquante-quatre pays africains n’ont pas la même monnaie. Pourquoi n’ont-ils pas tout de suite la même monnaie ? Parce que pour partager la même monnaie, il faut entre autres les deux conditions économiques majeures que sont la stabilité des prix (avec une inflation maitrisée souvent autour de 1,5%) et l’assainissement des finances publiques (avec en général un déficit public en deçà de 3 % du PIB et une dette publique en deçà de 60 % du PIB). Un pays qui a sa propre monnaie peut faire ce qu’il veut notamment abuser de la planche à billets (émission monétaire) à ses risques et périls.
Aura-t-il pour autant une monnaie crédible ? Il ne suffit pas d’avoir une bonne forge et une imprimerie infaillible pour battre monnaie. Il faut avoir une monnaie crédible capable d’être utilisé pour accéder aux devises dans les échanges. Pour ce faire, il faut aussi une banque centrale appliquant même vis-à-vis de l’Etat une rigueur monétaire en adéquation avec les politiques économiques. La monnaie n’est pas seulement le côté pile ou face de l’activité économique. Elle peut en être un instrument d’orientation heureuse ou de désorientation économique et sociale malheureuse.
C’est pour ne pas aller à l’aventure que l’Union Africaine a un agenda axé sur une démarche graduelle avec des monnaies uniques « de transition » autour des six sous-régions économiques (comme la CEDEAO qui a un horizon de convergence monétaire pour 2020). L’agenda de la monnaie unique africaine est en marche vers 2030 c’est-à-dire dans 13 ans. On ne peut pas sauf à être populiste et aventurier demander à cinquante-quatre États ayant quarante et une monnaie (quarante plus de FCFA) de faire table rase de suite pour se jeter à l’eau avec l’espoir de compter sur une main invisible.
D’ici 2030, je crois qu’un débat sérieux sans prétention héroïque puérile doit s’articuler autour des modalités de mise en place de ce cadre unitaire. Avoir une même monnaie n’est pas une sinécure. Nous devons dire à nos populations que c’est renoncer à des pans entiers de souveraineté nationale au profit d’une structure neutre et coriace nommée banque centrale. La question monétaire au-delà des effets de manche des nouveaux héros du jour est d’abord technique et nous devons à la vérité de dire que les pays africains qui seront prêts peuvent progressivement y aller sans verser dans une sorte de dispersion égoïste.
Devons-nous jeter le Francs CFA pour créer quatorze autres monnaies dans la galaxie des cinquante-quatre Etats Africains ? Je ne crois pas que les activistes actuels souhaitent un émiettement monétaire. Pour aller vers la monnaie unique africaine, nous devons capitaliser les expériences de nos deux banques centrales de la zone franc. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La question n’est pas seulement de sortir de la zone Franc.
Elle est d’aller vers la monnaie unique sous régionale CEDEAO puis africaine. Nos deux banques centrales qui gèrent une partie des réserves officielles de change de nos Etats membres ont pour rôle la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire au sein de l’UMOA et de la CEMAC. Elles assurent la stabilité des systèmes à la fois bancaire, financier et de paiement. Elles sont dirigées chacun par un Conseil d’Administration composé majoritairement des représentants de nos Gouvernements. Sur la base des décisions du Conseil des Ministres, ces deux banques mettent en œuvre la politique de change. Le membre nommé par l’Etat assurant la garantie de la convertibilité de la monnaie commune (la France) n’a pas un super pouvoir que n’ont pas les autres membres du Conseil d’Administration encore moins du Conseil des Ministres. La France ne dicte pas sa loi contrairement à ce qu’en disent les activistes. En vérité la BCEAO et le BEAC appliquent les décisions souveraines du Conseil de Ministres de l’UEMOA et de la CEMAC.
Que l’on me comprenne bien. Je suis d’avis qu’il y a des choses à parfaire dans le franc CFA et l’objectif majeur doit être la monnaie unique africaine maitrisée.
Le débat sur l’utilisation des réserves en devises est tout à fait normal dans le contexte actuel. L’obligation pour les pays africains de déposer 50 % de leur réserve au Trésor français pour garantir la convertibilité à taux fixe par rapport à l’euro ne doit pas être un sujet tabou. Si pour une meilleure maitrise des risques liés au crédit, nos deux banques centrales obligent les banques et établissements financiers à constituer des réserves obligatoires, c’est une pratique universelle et un instrument de politique monétaire. Ces réserves doivent être analysées à l’aune des besoins en financement pour les infrastructures africaines. Certes nous devons rester vigilants par rapport aux facteurs favorables à l’inflation, mais nous ne devons pas rester dogmatiques et frileux même s’il est clair que ces mêmes réserves ont déjà eu une contrepartie en terme de change et de circulation monétaire lors des opérations d’exportation. Le débat est au dosage dans l’utilisation d’une partie de ces réserves de couverture. C’est un débat technique que nos frères activistes veulent terre-à-terre et populistes.
En vérité, il est facile sous le couvert d’un égo populiste de tirer à hue et à dia sur la seule monnaie unique de quatorze États africains sur cinquante-quatre alors que les quarante autres ont des monnaies différentes.
Je crois franchement que la sagesse africaine recommanderait de partir des avantages et inconvénients du franc CFA pour bâtir dans la durée (et dans l’agenda) la monnaie unique africaine sans passion ni dictée populiste et revancharde. Au-delà du buzz, nous devons être zen et y aller en maitrisant tous les paramètres. Y aller dans la précipitation créerait un effet plus grave : le repli identitaire dans des monnaies à usage national basculant dans le virtuel des marchés financiers dictant leurs lois impitoyables aux économies réelles.
Nos jeunes frères activistes doivent savoir que nul n’a le monopole du patriotisme. Au niveau de nos Etats il y a des Chefs lucides et patriotes qui ont la position délicate d’être à la manette et de n’avoir à coûte que coûte chercher le buzz. Je n’ai jamais vu au Monde un Chef d’État dire que sa monnaie est mauvaise. Au niveau de nos deux banques centrales travaillent des hauts cadres respectables qui n’ont pas l’insulte facile comme ce frère activiste né en 1981 hôte du Sénégal qui ose utiliser le terme « bourgeoisie Sénégauloise » dans l’émission « Grand Jury » de ce weekend de la radio RFM. La plupart de ceux qu’il traite de « Sénégaulois » n’ont pas le passeport français que lui-même garde jalousement en brulant le billet de Franc CFA. Il cherche le buzz : c’est son droit. L’éthique de responsabilité recommande de lui répondre par un débat serein, poli et sans buzz conformément à la Teranga Sénégalaise. Pour finir, juste un proverbe africain pour calmer le jeu « La langue qui fourche fait plus de mal que le pied qui trébuche ».
Par Mamadou NDIONE
Économiste Écrivain
Conseiller départemental à Mbour
Responsable politique APR DIASS
Section: libreparole
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