Le temps est compté pour Balla, en cette veille de Tabaski. Penché matin et soir sur sa machine à coudre, il ne quitte plus son atelier situé à la Médina, quartier proche du centre-ville de Dakar. A longueur de journée, il confectionne une centaine de sandales qui lui sont commandées par ses clients en perspective de l’Aïd-el-kébir.
A cause de cette fête célébrée vendredi et samedi au Sénégal, Balla est passé depuis une semaine à ce pic de production, contrairement aux 20 sandales qu’il confectionne par jour en temps normal.
«On vend la paire à 1500 FCFA en gros aux commerçants mais quand il s’agit d’un client c’est à 2000FCFA », confie le cordonnier, ajoutant que lui et ses collègues ne craignent plus beaucoup la concurrence des chaussures « Made in China » depuis qu’ils se sont rendus compte de l’engouement de leurs compatriotes pour les chaussures locales.
Cheikh Dieng, un voisin de Balla, se frotte lui aussi les mains. Il dit avoir noté une forte affluence des cordonniers dans son magasin de vente de produits qui entrent dans la fabrication des chaussures. Rouleaux de matière synthétique, pots de colle et cutters garnissent notamment les rayons du magasin de Cheikh situé auprès du stade Iba Mar Diop. Le tissu synthétique dont le mètre coûte entre 2000 et 3500 FCFA reste le plus vendu.
Les prix des chaussures varient entre 2000 et 6000 FCFA selon la qualité et les matériaux utilisés pour leur confection.
Modou Fall, un autre cordonnier, compte plus sur les commandes des commerçantes venant du Niger, de la Côte d’Ivoire, du Congo ou encore du Bénin. « Elles passent des commandes à hauteur de millions de FCFA », explique le jeune cordonnier non sans déplorer au passage les marges bénéficiaires visées par les commerçants revendeurs.
Replongeant dans son travail, il enduit de colle des chaussures confectionnées avec du wax et destinées aux femmes. Modou explique qu’il est obligé de diversifier ses productions en vue d’atteindre une cible plus large car, déplore-t-il « certains Sénégalais ne mettent pas trop en valeur » le travail de leurs cordonniers.
Malick Niass est du même avis que son collègue. Selon le président de la Fédération nationale des professionnels du cuir du Sénégal, ses compatriotes achètent au plus trois à quatre paires de chaussures.
Même si Niass et les membres de son association estimés à 300 cordonniers ne craignent pas la concurrence chinoise, ils souhaitent tout de même que l’Etat favorise les fabricants de chaussures locales en limitant l’importation de chaussures. « Eux ils (les importateurs) travaillent avec des machines alors que nous nous travaillons à la main », souligne Niass.
Quoiqu’il en soit, les chaussures « made in Sénégal » sont bien appréciées au marché des HLM où il jouer des coudes dans une ambiance de carnaval pour accéder aux étals.
Interpellé alors qu’il vient de sortir d’une forêt de personnes, Mamadou en tee shirt et jean confie qu’il s’est payé deux paires de sandales pour son homonyme âgé d’un an et demi. Le tout lui est revenu à 4000 FCFA, indique Mamadou non sans glisser que lui-même est un adepte du consommer local.
En prévision de la Tabaski, Baye Cheikhou Wathie qui vient de servir Mamadou expose à la convoitise des clients deux grands sacs remplis de chaussures. « On peut en vendre jusqu’à une cinquantaine », confie Wathie. Depuis 1982, il ne vend que ces articles artisanaux au grand bonheur des clients attirés par «leur qualité et leur prix abordable».
C’est d’ailleurs pour cette raison que Fatou et Khady, deux étudiantes à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, ont fait un tour à la cantine d’Ousseynou Fall.
Avec son « petit budget », Fatou a jeté son dévolu sur des escarpins dont le vendeur, tout en aidant sa cliente à les essayer, ne cesse de vanter la qualité. « Personne n’est venu se plaindre pour un quelconque défaut» de ses chaussures, déclare le commerçant qui s’approvisionne chez les cordonniers de la Médina ou d’autres quartiers de la banlieue dakaroise.