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Ndiogou Sarr (professeur de droit constitutionnel): ‘’Ce n’est pas normal que la vie de nos institutions soit suspendue pour des raisons d’ordre politique’’
Publié le samedi 26 aout 2017  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DF
Les maires des villes de Dakar et Montréal signent une convention
Dakar, le 11 Octobre 2015 - La ville de Dakar et la ville de Montréal signent une convention. Cet accord de partenariat vise à bâtir des relations étroites, à poursuivre des objectifs de croissance et développement mutuels. Photo: Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar




Devant l’impasse que traverse le pouvoir Législatif, le spécialiste du Droit constitutionnel, Ndiogou Sarr, apporte son éclairage. L’enseignant à la faculté de Droit revient également sur les procédures d’installation des nouveaux députés, le cas Khalifa Sall, entre autres. Entretien.

La nouvelle législature peine toujours à être installée dans ses fonctions. Qui doit prendre l’initiative de sa convocation ?

C’est le président de la République qui doit convoquer l’Assemblée nouvellement élue pour son installation. La loi ne prévoit aucun délai. Je pense qu’il serait important de l’encadrer. Ce n’est pas normal que la vie de nos institutions soit suspendue pour des préoccupations d’ordre politique. Il ne doit pas y avoir de rupture dans le fonctionnement des institutions. Pour éviter ce cas de figure, il faut que cette compétence du chef de l’Etat soit liée. L’Etat est une continuité. Il faut éviter ce genre d’impasse qui ne se justifie pas.

Est-ce à dire qu’en ce moment, le Sénégal est sans Parlement ?

Il faut savoir que le peuple sénégalais, depuis le 30 juillet dernier, a choisi de nouveaux représentants. Le Conseil constitutionnel a publié les résultats définitifs de ce scrutin. A partir de ce moment, je ne vois pas comment les anciens députés pourraient continuer à exercer leurs fonctions. Et pour que les nouveaux puissent s’y atteler, il faut qu’ils soient installés.

Aujourd’hui, s’il y avait une situation d’urgence, il serait vraiment difficile de savoir quelle solution adopter. Ces genres de situation doivent être évités. Dans les pays qui se respectent, dès que le peuple choisit, on convoque les députés et on les installe dans leurs fonctions. C’est comme ça que ça devrait se passer.

Certains s’interrogent sur l’utilité du Parlement. Qu’en pensez-vous ?

C’est une question importante, mais bizarre. Dans un pays, si l’on en vient à s’interroger sur l’utilité du Parlement, cela devient grave. Nous sommes dans le cadre d’une démocratie représentative. La souveraineté appartient au peuple. Or, ce peuple ne l’exerce qu’à travers l’élection de ceux qui les représentent. Si le peuple n’a plus cette option, ce n’est plus une démocratie, ce n’est même pas une République. Maintenant, est-ce que le Parlement joue son rôle ? S’il ne le fait pas, il n’a plus sa raison d’être.

Quelles sont les procédures pour la séance d’ouverture ?

Quand l’Assemblée sera convoquée pour son installation, c’est le député le plus âgé qui doit présider la séance. Il doit être secondé par les deux députés les plus jeunes. Il en sera ainsi jusqu’à l’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale. Le premier acte que le président d’âge va faire, c’est de procéder à l’appel nominatif des députés. Par la suite, il va passer à la procédure de désignation du président de l’Assemblée nationale. Mais ses prérogatives se limitent uniquement à cette procédure.

Certains commencent à avancer l’hypothèse où Abdoulaye Wade serait le président de cette séance. Pourrait-il demander la libération de Khalifa Sall au cas où ce dernier déposait sa candidature pour le poste de président de l’Assemblée nationale ?

Je vois mal une telle demande prospérer. En fait, les prérogatives du président d’âge sont encadrées. Il ne peut prendre aucune décision en dehors de celles qui concernent les procédures de l’élection. Maintenant, si le député Khalifa Sall formule sa candidature, est-ce que le président pourra demander sa libération pour qu’il puisse jouir des mêmes droits que les autres ? A mon avis, tout ce qu’il peut faire, c’est soumettre cette volonté à l’Assemblée qui va voter. Et vu la composition de cette législature, je vois mal une telle demande aboutir. C’est un cas un peu insolite que nous sommes en train de vivre.

Dernièrement, le ministre Sidiki Kaba a soutenu que Khalifa Sall n’était pas député quand il avait été arrêté. Est-ce à dire qu’il ne devrait pas pouvoir jouir de l’immunité dans le cadre de cette procédure ?

J’accorde peu de crédit aux déclarations du ministre de la Justice. Le problème fondamental, dans notre pays, c’est que les ministres oublient qu’ils sont des ministres de la République. Ils sont plus enclins à défendre des positions de clan et non des positions républicaines. Pour moi, il faut respecter la présomption d’innocence de M. Sall. Au nom de ce principe, il doit jouir de tous les privilèges accordés aux députés. Y compris l’immunité. S’il reste en prison, l’Assemblée peut demander non seulement la suspension des poursuites, mais aussi, si les poursuites doivent continuer, il faut solliciter la levée de son immunité. Ce n’est pas parce qu’il a été arrêté antérieurement qu’il ne doit pas en jouir. Et puis, il y a la jurisprudence Barthélémy. Pour qu’il puisse être traduit devant la chambre criminelle, il a fallu demander la levée de son immunité. Pourtant, les faits qui lui étaient reprochés étaient plus graves et c’était avant qu’il ne soit député. Je pense donc que Khalifa Sall doit pouvoir bénéficier de la même faveur.

Quel regard portez-vous sur la prochaine législature ?

Avec la dernière décision du Conseil constitutionnel autorisant le président de la République à voter avec des pièces autres que celles prévues par la loi, nous avons un véritable problème. Pour moi, il s’agit d’un précédent dangereux. On a permis au chef de l’Etat de s’immiscer dans les prérogatives des députés. Finalement, on se demande même quel est le rôle du parlementaire. Mais encore faudrait-il que les députés eux-mêmes aient conscience du pouvoir qui leur est conféré par la loi. Ainsi seulement, ils pourront le défendre contre certaines dérives. Souvent, ce n’est pas le cas. Certains ne savent pas leurs prérogatives. Il faudra les former.

D’autres savent quelles sont leurs missions, mais ils n’ont pas envie de les exercer, parce que dépendant de leur parti. Voilà pourquoi je n’attends pas de grandes évolutions. D’autant plus que, même si un député fait une proposition, elle sera déposée sur la table du président de la République. Si ça ne l’arrange pas, il n’y aura aucune suite. Par contre, il y aura une diversité qui pourrait élever le débat au niveau de l’Hémicycle. Mais vu la majorité écrasante de Benno Bokk Yaakaar, tous les projets vont passer comme lettre à la poste. L’une des questions sur lesquelles il faut agir pour redorer un peu le blason de l’Assemblée, c’est le respect du point de vue de la minorité. La valeur d’une démocratie majeure se mesure par le sort qui est réservé à la minorité. Dans un pays comme la France, quelle que soit la majorité, la commission des Finances est gérée par l’opposition. Quand il y a des commissions d’enquête également, on les confie à l’opposition. C’est ça l’élégance républicaine. Ici, on essaie toujours de réduire l’opposition à sa plus faible expression et c’est regrettable.

Il faut revoir le système. Il faut prévoir, dans la Constitution, des conditions de sécurité pour tout le monde. Ce qui se passe dans ce pays est une catastrophe. Notre Administration a toujours fait notre fierté. Là, elle est complètement inféodée et c’est un véritable problème. Pour moi, l’attitude du ministère de l’Intérieur est regrettable. Tout le monde a constaté les dysfonctionnements lors de ce processus législatif. Je pense que l’attitude d’une Administration responsable serait de faire face aux problèmes, de regarder les défaillances et y apporter des solutions. En lieu et place, on voit une Administration complètement au service du pouvoir ou d’un parti qui cherche à trouver des explications à ses lacunes. Il faut revenir à l’orthodoxie.
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