A l’approche de chaque fête de Tabaski au Sénégal, les ateliers de couture sont pris d’assaut. Ce passage obligé des adeptes du ‘sañse’ est souvent le lieu des désillusions, du fait de tailleurs véreux ou pas trop regardant sur la parole donnée. Reportage.
Un stock de tissus en tout git dans des sachets déposés çà et là, dans l’atelier de couture de Pape Gorgui Ndiaye situé au cœur du marché central de Thiès. A moins d’une dizaine de jours de l’événement, le jeune homme et ses deux apprentis s’activent pour la livraison à temps de leurs commandes. Chez le maître des lieux, la couture, c’est à la fois, l’art de se faire de l’argent, mais surtout de respecter les délais impartis avec un travail bien fait. Il a adopté cette philosophie depuis son jeune âge, puisqu’il a très tôt abandonné les études pour embrasser une carrière de tailleur. Aux mélopées du tube de Viviane ‘’Yaama neex’’, en ce début de matinée, répond le bruit des machines à coudre qui rend difficile toute tentative de dialogue. L’ambiance est plutôt festive. Dans un coin, le plus jeune des apprentis s’affaire autour du thé matinal.
Le maître mot est le travail. ‘’Nous vivons un calvaire, à l’approche de la Tabaski. Parce que nos clients nous comprennent difficilement. Ce sont généralement les femmes qui ne cessent de venir ici pour se plaindre. Nous avons beaucoup de commandes qu’il faut livrer avant ou au moins le jour de la fête. La tâche est toujours compliquée pour les tailleurs. Mais il faut faire avec. Nous avons choisi un métier et il faut en assumer les conséquences. Nous allons travailler dur pour satisfaire la clientèle’’, souligne le jeune tailleur. Les réprimandes d’avant Tabaski, Pape Gorgui en a connu à la pelle dans sa vie. ‘’L’année dernière, une dame a menacé de porter plainte, parce que je n’avais pas fini de coudre ses habits et ceux de ses enfants. J’ai vécu une situation délicate, car elle ne cessait de se plaindre. C’était une cliente de longue date. Lorsqu’elle vient pour récupérer ses habits, tout le marché est au courant. Et pourtant, elle me doit jusqu’à présent de l’argent’’, raconte le natif de Thialy (Thiès-Nord) qui ne veut pas revivre ce ‘’ calvaire’’.
‘’Je suis sous pression’’
‘’Chat échaudé craint l’eau froide’’, dit l’adage. Cette année, Pape Gorgui a pris la sage résolution de ne prendre qu’une petite commande, afin de pouvoir la livrer dans les délais. Il jure que ‘’personne ne viendra plus se plaindre’’ à son atelier. En face de son atelier se trouve celui d’Ousmane Guèye. Ici également les choses s’accélèrent, car Tabaski approche à grands pas. Contrairement à Pape Gorgui, la tâche d’Ousmane Guèye s’annonce beaucoup plus compliquée, dans la mesure où son apprentie est tombée malade depuis trois jours. Il a déjà cousu une partie de sa commande. En revanche, le stock qui l’attend est beaucoup plus conséquent. ‘’Vous voyez, je suis seul dans mon atelier. La fille qui m’aide est tombée malade et je risque de ne pas terminer le stock qui me reste avant la fête de la Tabaski. J’ai peur, parce que j’ai accepté les avances de mes clients. Et donc, je vais me donner les moyens de terminer tout ce stock avant le jour J, pour faire plaisir à mes fidèles clients’’, essaie-t-il de se rassurer.
Âgé de plus de quarante ans, le natif du département de Tivaouane quitte la ville sainte, tous les jours, pour rejoindre Thiès. Une autre équation à résoudre. ‘’C’est difficile pour moi de faire cette navette. Je prends de l’âge. Je suis sous pression, comme tous les tailleurs d’ailleurs. La Tabaski, c’est dans quelques jours et il faut évacuer toute la commande, parce que les propriétaires en ont besoin pour la fête. Je suis prêt à veiller toutes les nuits pour échapper aux nombreuses récriminations dont nous sommes parfois victimes. Quand on accepte les commandes, il faut tout faire pour ne pas accuser un retard dans les livraisons’’, indique M. Guèye.
‘’Certains tailleurs sont de vrais truands’’
Trouvé dans son atelier situé au quartier Escale Sud, El Hadji Malick invite tout simplement les clients à la patience, surtout les femmes. ‘’Elles nous mènent très souvent la vie impossible. C’est comme si on leur devait des millions. Parfois, on leur réclame juste 30 ou 45 000 F Cfa y compris les frais de broderie. Ce sont des sommes raisonnables. Les tailleurs font de leur mieux pour les habiller le jour de la Tabaski. Mais elles refusent de faire preuve de compréhension. Certaines reprennent leurs tissus à quelques jours de l’événement. Nous faisons un travail artistique et cela demande beaucoup de temps. Donc, je leur demande d’être patientes’’, préconise El Hadji. De l’avis du jeune couturier, le Sénégalais aime toujours faire la course contre la montre. Une thèse immédiatement réfutée par Mme Dièye venue s’enquérir de l’état d’avancement de sa commande.
‘’Nous sommes dans une société malade. Certains tailleurs sont de vrais truands. Je ne suis pas d’accord quand il dit que les Sénégalais n’ont pas l’habitude de s’y prendre tôt, afin d’avoir à temps leurs habits de fête. Même s’ils savent qu’ils ne vont pas finir de coudre avant la fête, ils acceptent les avances des clients. C’est pour cette raison que certains ne font pas preuve de tolérance. Comme ils aiment l’argent, il faut qu’ils prennent leurs responsabilités et les dispositions nécessaires pour tout confectionner à temps’’, réplique Mme Dièye, la trentaine révolue. Elle renseigne qu’elle doit disposer de ses habits et ceux de ses enfants le jour J. ‘’Jigéén dafa wara sañse ba jekk, les jours de fête’’ (la femme doit porter de beaux habits, surtout les jours de fête). Donc, il appartient aux tailleurs de les aider et de tout faire pour livrer la marchandise à temps’’, déclare-t-elle, un léger sourire aux lèvres.
La fête de l’Aïd-el kébir, communément appelée Tabaski au Sénégal, a toujours été une occasion pour les citoyens de montrer leurs plus beaux atours. Pour cela, il faut un détour chez le tailleur. Même si dans la corporation, d’aucuns ont pris la mauvaise habitude de désabuser les clients.
GAUSTIN DIATTA (THIES)