Magistrat aguerri, Souleymane Téliko est le principal challenger de Magatte Diop, le président sortant de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS). Connu pour ses prises de position très courageuses, il est le candidat à abattre pour la tutelle, selon certains de ses collègues.
Souleymane Téliko, président de l’Union des magistrats du Sénégal ? Voilà une hypothèse qui ne fera certainement pas sourire la chancellerie. Celle-ci ne dort plus, depuis qu’elle est au courant de cette candidature. C’est du moins la conviction de plusieurs magistrats que nous avons pu interroger. ‘’La chancellerie a vraiment peur, depuis qu’elle a appris cette candidature. Téliko est un magistrat réputé être très indépendant. Même si sa proximité avec le président Demba Kandji peut un peu déteindre sur son indépendance’’, témoigne cette magistrate sous le couvert de l’anonymat. Ses proches réfutent l’allégation et apportent des précisions : ‘’Téliko n’est le gosse de personne. Mais il n’est pas du genre à renier ses amitiés.
Il n’y a pas de délit d’amitié. On doit le juger par rapport à ses actes, aux principes qu’il défend. Ce sont ceux qui sont en manque d’arguments qui versent dans le débat de personne.’’ A en croire notre interlocuteur, le principal challenger de Magatte ne voulait pas se présenter. ‘’Eux-mêmes savent que Téliko ne s’est pas désigné candidat de lui-même. Il ne l’a pas non plus été par le président Demba Kandji qui est un haut magistrat respectable. Ce sont plusieurs magistrats qui sont allés le voir pour lui demander de se présenter pour l’intérêt de la profession. Il a fallu au moins deux mois pour qu’il accède à leur demande. Alors qu’on cesse de raconter des histoires !’’ confie-t-il.
Les confidences sont unanimes. Téliko n’est pas un homme obnubilé par les postes et les prébendes. Il jouit d’un très grand respect auprès de ses collègues qui le décrivent comme un homme très pieux. Natif de la capitale, il s’est fait remarquer grâce à ses prises de position très courageuses en public comme au niveau des instances. ‘’C’est un homme qui aime le débat. Il a le courage de ses idées. Il arrive que ses points de vue ne soient pas partagés par la majorité, mais il les défend avec beaucoup d’abnégation. Quand il n’arrive pas à les faire passer, il les porte sur la place publique pour susciter le débat. Voilà ce qui fait sa notoriété’’, renchérit un autre magistrat. Et un autre d’ajouter : ‘’S’il voulait être sous la coupole de quelqu’un, je crois qu’il serait plus intelligent d’aller vers le plus haut.’’
Une attitude qui ne plaît pas toujours à la tutelle. Souvent, ils sont en conflit. Le dernier en date est l’épisode des mails qu’il avait envoyés à ses mandants pour les informer de la volonté de la hiérarchie de muter des magistrats, en utilisant une procédure irrégulière, notamment la consultation à domicile. Il regrettait que ‘’la carrière des magistrats continue d’être gérée avec beaucoup de désinvolture’’. C’en fut trop ! La hiérarchie, bouillante de rage, avait menacé de sévir contre le magistrat indélicat qui osait s’en prendre à ses décisions. Dans la foulée, Sidiki Kaba avait fait convoquer le ‘’rebelle’’ en Conseil de discipline. La ‘’République des juges’’ s’est mobilisée. Du moins une bonne partie, puisque Téliko est loin de faire l’unanimité dans la corporation. ‘’Du lekk ci ceep bi ba pare, bëgg ci xëpp suuf’’ (Il ne mange pas le riz et veut empêcher les gens de le faire), ironisent certains. La confrontation semblant inéluctable, la société civile, la presse, tout le monde s’est mobilisé pour défendre à sa manière le ‘’protecteur de l’indépendance des juges’’. La bataille fut enclenchée à partir de Thiès par le comité de ressort. Finalement, la chancellerie a reculé. L’UMS du président Magatte Diop est accusée de n’avoir pas joué un grand rôle dans ce combat fondamental pour l’indépendance des magistrats.
Foncièrement contre le ‘’larbinisme et le carriérisme’’
Ainsi, Souleymane Téliko dérange au plus haut sommet de la République. Un tel homme à la tête des magistrats, ça donne des frissons à certains. La cinquantaine révolue, le natif de Dakar est sorti de l’Ecole nationale de l’administration et de la magistrature en 1995. C’est un grand nomade qui a beaucoup valsé entre les juridictions du nord, du sud et du centre. Ses collègues justifient ses nombreuses mutations par le fait qu’il est ‘’un homme de principe, jaloux de son indépendance’’. En 22 ans de carrière, le président Téliko ne traîne aucune casserole, d’après ses collègues. Son premier poste était Ziguinchor où il a été juge du siège de 1995 à 2000. De 2000 à 2003, il a été affecté à Dakar comme juge d’instruction au deuxième cabinet. Téliko va encore retourner au sud, mais cette fois-ci comme président du tribunal régional de Kolda.
Et puis, retour à Dakar pour un bref passage au parquet général, où il est nommé substitut. Après quelques mois seulement, il est de nouveau muté à Kaolack comme conseiller à la Cour d’appel. Plus tard, il sera nommé secrétaire général de la même Cour. De 2010 à 2013, il a occupé le même poste à Dakar. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il prononcera son fameux discours sur le droit à un procès équitable dans lequel il s’érigeait en défenseur des justiciables. Un discours prononcé, en 2013, lors de la rentrée des Cours et tribunaux et qui avait séduit plus d’un. La même année, Souleymane Téliko regagne les Chambres africaines extraordinaires en tant que juge d’instruction. Depuis 2015, il est président de chambre à la Cour d’appel de Thiès.
Interpellé, le mis en cause refuse de se prononcer sur la prochaine Assemblée de l’UMS. ‘’Je suis vraiment désolé, mais j’ai pris l’option de ne faire aucune intervention avant l’Assemblée générale. Je ne veux rien faire qui ressemblerait à de la publicité’’, répond-il à nos sollicitations. Pour avoir une idée sur ses positions, il a alors fallu revisiter ses publications. Dans une tribune portant sur le projet de réforme du statut des magistrats, il affirmait sur un ton très libre : ‘’Cette mesure a des effets néfastes sur l’un des piliers essentiels de la justice que constitue l’indépendance des juges. En faisant voter cette loi, ils vont porter la lourde responsabilité d’avoir semé les germes du larbinisme et du carriérisme’’.
MOR AMAR