Le transit en Gambie via le bac de Farafégny est devenu une gageure. Le potentiel de risques a considérablement augmenté eu égard à la vétusté des navires manifestement inaptes à la navigation fluviale depuis le siècle dernier. Les surcharges hétérogènes, la dépendance à une chaloupe pour assurer les rotations, les dérives multiples vers l’inconnu ont fini d’installer les conditions d’une catastrophe imminente. L’insalubrité, la corruption, l’hostilité du milieu forment un cocktail nauséabond face à la politique de l’Autriche des pouvoirs publics. Le drame ayant entraîné hier, la mort d’un jeune suite à une collision entre une pirogue et le bac, donne déjà un avant-goût du mal-vivre à la traversée du bac.
Est-il vraiment exagéré, par ces temps qui courent, de comparer la traversée de la Gambie à celle du désert sahélo-saharien ? Nombreux seront assurément, les usagers de l’axe qui répondront par la négative, tant le calvaire, la galère, l’anxiété et les risques sont quasi permanents. La Gambie, importe-t-il de rappeler, est une enclave de trente kilomètres de large à l’intérieur du Sénégal. Elle est traversée de part en part par un cours d’eau qui porte le nom du pays (Fleuve Gambie) qui prend sa source dans la partie orientale pour se jeter sur l’océan atlantique. Selon qu’on doit se rendre dans le sud ou le centre du Sénégal, le transit via la Gambie demeure le seul raccourci pour vaquer à ses occupations. Au fleuve qui enjambe les deux rives, se trouvent deux bacs manifestement amortis, cabotant à mille risques et assistés d’une guimbarde de chaloupe elle-même mieux à la poubelle que sur la navigation, a fortiori en secours d’un navire en détresse permanente. Hier, le ferry qui tanguait pour accoster au quai a heurté une pirogue faisant un mort (jeune gambien) et de passagers repêchés.
L’ENVIRONNEMENT PHYSIQUE HOSTILE ET ONEREUX
Que ce soit en saison morte ou en hivernage, la canicule et la poussière forment la géhenne naturelle subie par les passagers en transit au bac de Farafégny en Gambie. Cette hostilité du milieu atteste de l’absence de couvert végétal (à l’exception du rideau de palétuvier) à contenir l’austérité de ce micro climat, auréolé de poussière à faire voyager gratuitement tous les microbes par chaque passant. Les quelques toilettes publiques sont dans un état de sinistre répugnant obligeant nombre de passagers à déféquer à l’air libre. Les odeurs d’urine à couper le souffle, les ordures solides et liquides versées à même les pieds d’un promeneur solitaire, forment un cocktail détonnant d’insalubrité ambiante et permanente.
«Moi j’ai passé la nuit ici hier (lundi dernier) pour la première fois, mais c’est pire que ce qu’on m’a toujours rapporté. J’ai souffert et les conditions de séjour sont inhumaines et dégradantes», a déclaré Khadidiatou Cissé, une dame en provenance du Kabada, dans la région de Sédhiou. Kéba Dabo, un agent de la douane sénégalaise à la retraite et acteur culturel fait observer que «rien que les événements de Gamou, et autres foyers de retraite spirituelle, la Casamance en regorge un nombre incalculable. Combien sont-ils ces fidèles qui passent par ici. Il est vrai que le pont est en construction et l’avènement du président Adama Barro a suscité beaucoup d’espoirs, mais force est de constater que les populations de la Casamance souffrent énormément avec cette traversée du bac de la Gambie» pipe-t-il avec désolation manifeste.
Les pseudos espaces clients sont juste des hangars plus repoussant que les gencives agressives du roi soleil. Est-il besoin encore de rappeler le concert des mouches le jour, remplacées dès la nuit tombée par des moustiques géantes et noirâtres sans doute voraces à l’absorption du sang nocturne. Un véritable milieu de culture de bactéries. Et comme pour porter l’estocade, la nuit, l’obscurité est assez éloquente pour illustrer le premier séjour d’un incrédule en enfer.
Au sujet de la restauration, la qualité douteuse des aliments (sandwich, pain, aliments en emballage de conserve, la boisson) recommande de prendre sa faim en patience pour ne pas consulter un médecin dans les minutes ou jours qui suivent. La vente des produits de consommation courante exposés à ciel ouvert, quelques fois même sous les pieds des passants, avoisinant crachats et rejets de narines.
L’HEURE DE LA TRAVERSEE
Elle se caractérise par des pratiques avilissantes subies par le passager. Bousculades des hommes et des engins pour s’installer dans le férry. Hommes, femmes, jeunes, moins jeunes, bébés dans le dos, personnes âgées, personnes en situation de handicap, commerçants de toutes les saisons, voiturettes, voitures, car, autobus, camions, remorques, tracteurs tout converge à risque, parfois de façon inconsciente sous l’effet de l’exaspération.
Il n’est pas non plus rare de faire ce voyage pareil avec de nombreuses têtes de bœufs, des porcs et des chevaux. A cela s’ajoute une indiscipline des conducteurs du bac et autres agents de sécurité prompts à proférer des menaces «Dina la yobbu Mansakonkoo» (je vais t’envoyer à la prison de Mansakonkoo) et ce, quel que soit votre qualité ou rang social.
DEMAIN LA CATASTROPHE !
Les conditions de la traversée au bac de Farafégny en Gambie sont d’un risque potentiel à promettre la catastrophe dès demain. Ferry visiblement mort et soutenu par un seul moteur emprunté d’un camion dit-on, déplacement latéral requérant le coup d’épaule de la chaloupe de fortune, surcharge hétérogène, légèreté dans les conditions d’embarquement, absence de manifeste pour identifier les occupants, profondeur du lit du fleuve, c’est peut-être les contours d’une catastrophe que d’aucuns préfèrent gérer par la politique de l’Autriche (refuser de voir la réalité en face). Faudrait-il alors attendre un second «Joolaa » (naufrage du bateau le Joolaa) pour jouer aux sapeurs-pompiers ? Trouvé au bac dans la galère au point de vouloir rebrousser chemin sur son Kolda natal, honorable député Alpha Baldé, le président de la commission défense et sécurité à l’Assemblée du Sénégal ne pouvait que se résigner : «que faire, nous sommes dans un territoire étranger on ne peut que subir leurs humeurs. Le Sénégal doit gagner à aménager ses autoroutes qui contournent la Gambie. Attendons la fin des travaux de construction du pont ».
LA CORRUPTION GANGRENE
Les corps habillés, en service commandé, en Gambie, ne s’en cachent plus. A la vue des billets de banque, c’est la honte même chez le corrupteur. Cheick Tidiane Diouf, un camionneur sénégalais transportant des mangues déclare avoir passé 3 nuits au bac et dans des conditions draconiennes : «ici c’est la corruption qui complique les choses. Au-delà des billets de la traversée, il faut au moins donner 10.000F CFA et souvent 20.000F CFA pour nous les gros porteurs pour les amadouer à te laisser passer. Et si tu ne fais pas ce qu’ils veulent, ces gens-là ici (en les indexant du doigt au loin) en charge de traversée, police comme civil, sont prêts à t’ignorer longtemps. Et si aussi le produit convoyé est gâté, c’est une perte une fois arrivé à destination», se lamente-t-il.
Sur le rivage, un homme qui se pavane, le regard perdu dans le néant n’avait pas souhaité donner suite à notre interpellation sous l’emprise du dégoût de la longue attente. Mais tout d’un coup, il accepte de nous parler préférant toutefois garder l’anonymat avec son statut d’homme de tenue à la retraite : «les autorités du Sénégal sont bien informées de ce qui se passe ici au bac de Gambie mais comme elles et leurs familles ont la possibilité de voyager par avion ou de faire le contournement par Tambacounda à bord de luxueuses limousines, elles ne se soucient point du bas peuple, c’est malheureux» nous confie –t-il.
Les agents en charge de la traversée du bac que nous avons interpelés sur les conditions du transit n’ont pas souhaité donner suite à notre requête. Peut-être, les yeux grandement ouverts, ont bien conscience des faits. Le mal est profond et ce serait hélas coupable de regarder impuissant l’irréparable se produire à l’image du bateau « le Joola » qui bat le record de la plus grande catastrophe de l’histoire de la navigation maritime. Gouverner c’est prévoir. Qui trouve mieux !