En mission de quatre jours à Mbour, pour sensibiliser les agents d’exécution des lois sur les méfaits de la torture, la présidente de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté [Onlpl], Mme Josette Marceline Ndiaye Lopez, s’est entretenue avec ‘’EnQuête’’. Elle revient sur la visite dans les lieux de détention de Mbour et les missions de l’observatoire.
Quel est l’objet de votre visite à Mbour ?
Nous sommes venus déployer un vaste projet de l’Union européenne en appui à notre institution, pour éradiquer la torture. On note encore beaucoup de cas de torture dans les endroits assez éloignés de la capitale. C’est dans ce cadre-là que nous sommes ici, pour faire de la sensibilisation. Nous organisons des ateliers de sensibilisation, de formation. Nous formons les agents d’exécution des lois pour les conscientiser sur le danger d’avoir recours à la torture pour extorquer des aveux aux détenus. Surtout que l’on sait que ces aveux extorqués n’ont aucune valeur, dès l’instant que l’on sait qu’il y a eu torture ou usage de la force pour avoir des informations. Ces procès-verbaux dressés par les agents de police sont annulés. Le juge les annule systématiquement. Et c’est toute la procédure qui est annulée.
Donc, vous imaginez combien c’est dommage, quand ce sont des cas très graves. Et à cause d’une mauvaise action de l’Opj, on en arrive à écarter complètement un procès-verbal et à annuler la procédure. On ne peut plus poursuivre la personne détenue.
Quels sont les différents lieux que vous avez visités et le diagnostic que vous avez fait ?
Nous visitons les lieux de privation de liberté. Nous avons eu à visiter Thiès. Je ne peux pas vous dire tout ce qui en est, parce que nous sommes tenus par la confidentialité. Nous ne devons pas en parler. Quand on va en visite et que nous constatons quelque chose qui n’est pas permise, qui est prohibée, on fait un pré rapport que l’on soumet aux responsables. Et ces responsables nous répondent. Lorsque nous avons la réponse, nous faisons un rapport de visite et c’est ce rapport que nous soumettons au ministre concerné. Chaque année, nous faisons un rapport de nos activités que nous présentons au chef de l’Etat. Ensuite, ce rapport est publié, il est rendu public et là tout le monde prendra connaissance de ce qui s’est passé. Mais, auparavant, nous ne pouvons pas révéler au public ce qu’on a vu dans ces prisons. On a fait la visite de la Mac de Mbour. Nous sommes restés de 9 h à 20 h. Nous avons noté beaucoup de choses. Mais pour l’instant, ça demeure un secret professionnel.
Vous vous êtes entretenus avec les détenus ?
Oui. On s’est entretenu avec les détenus de manière collective, d’abord. Ensuite, on a choisi dans le groupe certains qu’on a entendus, en particulier, dans le bureau du directeur de l’Administration pénitentiaire, mais sans lui, hors sa présence. Et là les gens parlaient. Ils ont dit ce qu’ils ressentent, comment ils étaient traités, etc.
Au cas où l’observatoire constate des choses anormales, avant de rédiger le rapport qui peut prendre du temps, vous, en tant qu’acteurs, que faites-vous ?
Nous parlons avec le directeur de l’Administration pénitentiaire. Nous lui faisons des recommandations et nous lui disons ce qu’il faut qu’il fasse. Souvent, si jamais il y a un problème, on va lui demander de procéder à une sanction disciplinaire contre l’agent fautif. En attendant que nous saisissions le procureur qui va après poursuivre en justice cet agent.
Un fait récurrent dans les commissariats : certains détenus préfèrent écourter leur vie, avant qu’on ne les mette en prison. Que fait l’observatoire, dans ces cas-là ?
Il y a eu un cas à Kaolack, nous comptons d’ailleurs aller là-bas. Nous nous rendrons sur les lieux pour mener une enquête. Parallèlement à l’enquête que conduit le procureur, nous aussi nous menons notre petite enquête.
Vous pensez que vous pourrez mener à bien votre enquête, si l’on sait que vous n’êtes ni de la police ni de la gendarmerie ?
Nous, ce qu’on fait, nous constatons et nous faisons des avis et recommandations auprès des autorités. Les autorités, à partir de là, prennent des décisions. Quand même, nous sommes suivis de plus en plus. C’est dans l’intérêt du pays, de l’Etat que les choses se passent bien. Et que les Droits de l’homme soient respectés. Vous savez, notre président est féru des Droits de l’homme et il tient à ce que les Droits de l’homme soient respectés. Maintenant, on vit dans une planète où ce genre de recommandation est donné à tout le monde. Nous ne devons pas admettre la torture, elle doit disparaitre. C’est quelque chose d’inadmissible. C’est vrai qu’á l’époque, la sanction était punitive, elle était infamante. On torturait les gens de manière légale. Maintenant, les sanctions ne sont plus de mise. Un détenu a droit au respect de sa dignité humaine.
Malgré tout l’arsenal juridique mis en place, la torture persiste. Qu’est-ce qui explique cela ?
C’est peut-être les conditions dans lesquelles ces gens-là vivent. Ils sont en tension permanente. Lors de notre visite à la Mac de Mbour, il y avait une chaleur, une touffeur qui se dégageait de là. J’ai vu que les gens étaient un peu sur les nerfs. Quelquefois, je peux comprendre que l’on se laisse aller et que l’on soit exaspéré. Mais il faut essayer de se maitriser. D’où ces séances de formation que nous faisons pour montrer aux agents que la torture ne doit plus exister. Il faut que l’on s’éduque.
Vous avez espoir qu’avec ces formations la torture disparaisse ?
On a espoir que ça va disparaitre un jour, bien sûr. Il y a quelques années, on n’aurait jamais pensé à ça. On met de plus en plus de choses en place pour éviter la torture. Par exemple, quand un mis en cause est emmené en garde à vue, dès les premières heures, il peut faire appel à son avocat qui l’assiste. Déjà là on peut éviter la torture. Y a pas mal de choses qui sont prévues pour arriver à cela. Mais la torture doit disparaitre, elle ne sert à rien.
Mais dans les lieux de détention, il n’y a pas seulement que la torture, les conditions de détention sont aussi très difficiles.
C’est sûr que c’est difficile. Parce qu’il y a un nombre pléthorique de détenus dans les cellules qui ne sont pas assez grandes. Elles ne sont pas assez aérées. Par exemple, dans la prison où on était [celle de Mbour, Ndlr] il n’y a pas assez d’éléments, les brigades sont composées de quatre personnes qui font des rotations. Ils ne sont pas assez nombreux et les prisonniers sont nombreux, ils sont autour de 250 et quelques détenus. Il est certain que ce n’est pas facile d’avoir un œil sur tout ce monde. Et les gens sont souvent sur les nerfs, exaspérés. On les a trouvés un peu tendus.
Est-ce qu’il arrive que l’Observatoire soit saisi de cas de torture ?
Pour l’instant, on n’en a pas eu. Mais c’est prévu dans nos textes. On invite les gens qui sont au courant de certaines choses à nous contacter.
Mais est-ce que vous êtes connus ?
On commence à être connu. C’est vrai que cela fait 6 ans que l’on existe. Mais justement, ces genres de programme que l’on déroule, c’est pour nous faire connaitre ; que les gens puissent venir à nous et nous informer de ce qui peut se passer de manière secrète. Nous visitons les centres psychiatriques, il n’y a pas que les prisons. Parce que dans les centres psychiatriques aussi, quelquefois, il y a des malades qui sont gardés et qui sont maltraités. Nous intervenons dans les caves des tribunaux, même en cas de transfèrement.
D’où proviennent les moyens financiers de l’observatoire ?
Normalement, on a un budget qui nous est accordé par le ministère de la Justice. Ça, c’est le budget de l’institution même. Mais, dans ce cadre-là, nous sommes appuyés par la Délégation de l’Union européenne pour pouvoir dérouler cette activité qui va durer 18 mois.
Vous êtes magistrat de formation, est-ce à dire que l’observatoire est dirigé par un produit de la justice ?
Il peut être un magistrat, un ancien de la police, de la gendarmerie. Ça touche beaucoup au droit, c’est peut-être pour ça que ça doit être dirigé par un juriste.