Après les nombreuses fuites qui ont émaillé le Baccalauréat 2017, Babou Diaham est sorti hier de son mutisme habituel pour s’adresser à la presse. Un grand oral au cours duquel celui qui trône à la tête de l’Office du Bac, depuis 2001, a réaffirmé sa volonté de ne pas jeter l’éponge.
Fraudes et fuites
‘’L’objectif de cette rencontre est d’apporter des informations sur les fuites dont fait état la presse sur certaines épreuves d’évaluation du baccalauréat 2017. C’est pour vous aider à comprendre la situation actuelle. Certains parlent de fraudes. Il faut distinguer la fraude de la fuite. Il y a fraude quand il y a un candidat qui utilise un procédé non autorisé pour disposer et traiter un sujet. En pareil cas, il n’y a pas de grande difficulté. La conduite à tenir est connue des pédagogues. La situation qui nous réunit est moins courante. Il est en effet question de fuite. C'est-à-dire une situation dans laquelle tout une partie de l’épreuve, des épreuves ont été divulguées et se trouvent à la disposition d’un public plus ou moins large. En raison de la rupture d’égalité que cela induit, en raison de la forte suspicion de favoritisme qu’elle suscite et du bénéfice illicite qu’en tirent certains, une telle situation est inadmissible et injustifiable. Personne ne doit en tirer profit. Il convenait donc, à titre conservatoire, d’annuler les épreuves dès que les soupçons de fuite ont été confirmés. Ensuite, il faudra situer les responsabilités par une enquête administrative et judiciaire.’’
Deux candidats surpris avec l’épreuve d’histoire et géographie à Dakar et à Thiès
‘’Pour ce qui est du français, nous avons été interpellés par des sources crédibles pendant la nuit. On nous a fait état de fuites dans certaines épreuves. Après vérification de ces allégations, nous avons décidé d’annuler l’épreuve de français des séries littéraires (L) qui devait se dérouler ce matin (hier matin) par souci d’équité. Elle est reprogrammée pour le lundi 10 juillet 2017 à 8 heures dans les mêmes conditions. Les inspecteurs généraux de l’éducation et de la formation IGEF de la discipline s’y attellent pour un bon déroulement de l’épreuve de remplacement. Il en sera de même pour l’épreuve d’histoire et de géographie qui est reprogrammé le même jour que le français à 15 heures. Pour cette dernière, deux candidats ont été surpris avec l’épreuve avant qu’elle ne soit distribuée. L’un à Dakar, l’autre à Thiès.’’
Atelier sur la réforme du bac et de l’Office
‘’Nous avons annulé ces épreuves car nous avons la responsabilité d’organiser des examens exempts de suspicion, de délivrer des diplômes incontestables et de donner à nos enfants les mêmes chances de réussite. C’est dans ce sens que nous remercions les syndicats, parents d’élèves, les partenaires sociaux pour leur vigilance et leur rôle de veille sur le système éducatif. Nous devons tous œuvrer à faire cesser ces troubles, à poursuivre et sanctionner ceux qui les ont créées. Nous devons tirer des leçons de cette crise. Depuis un an, nous réfléchissons à la réforme du baccalauréat et de l’Office du bac. Les TDR sont prêts. Il est urgent de tenir cet atelier. Toutefois, il faut savoir que les fuites font partie des risques dans l’organisation des évaluations. C’est ce qui explique toutes les garanties autour du choix des sujets. Nous tenons à rassurer nos enfants et leurs parents que tout sera mis en œuvre pour que ce baccalauréat se poursuive et se termine dans les meilleures conditions.’’
Responsabilité de l’Office du bac
‘’En tant que responsable de l’Office du Bac, je ne peux pas dégager ma responsabilité dans cette affaire. Mais encore faudrait-il que la faille se situe à notre niveau. Si ça vient d’ailleurs, d’autres devront payer. Et la loi leur sera applicable dans toute sa rigueur. A ceux qui demandent ma démission, je dirai ceci : un adage wolof dit que si vous remplacez le pain dans le four, vous saurez qu’il est très brave. Je n’ai pas de fixation sur un poste. C’est un décret qui m’a nommé, c’est un décret qui va m’enlever. Cela arrivera quand Dieu le voudra. Tant que nous jouirons de la confiance des autorités, nous resterons sur place. Je ne vais pas demander à être démis. Ce que je peux vous garantir, c’est qu’aujourd’hui plus qu’hier, nous avons la motivation, le souci de bien faire qui nous anime depuis 2001. Mais nous n’allons pas nous dédouaner s’il est établi que ces failles proviennent de nos services.’’
Maintien des épreuves de Maths et de Philo
‘’Concernant l’épreuve de mathématiques, nous avions reçu des alertes. Et nous avons pris le soin de vérifier ces informations. Il a été établi que les épreuves qui circulent dans les réseaux sociaux ne sont pas les bonnes. Il n’y avait donc aucune raison de les annuler. (Elles ont été tenues hier dans l’après-midi. Ndlr) Pour ce qui est de la philosophie, l’Office a réagi très vite. Quand le problème s’est posé, nous avons saisi les acteurs sur le terrain pour vérifier si les allégations sont avérées. Les informations que nous avions ne nous ont pas permis de dire qu’il y a eu bel et bien fraude. C’est pourquoi nous avons demandé au ministre de l’Enseignement supérieur de porter plainte contre X pour diffusion de fausses nouvelles, entre autres. Il faut laisser la Justice élucider cette affaire. Certains ont demandé pourquoi on n’a pas pris les devants avec ce qui s’est passé durant les évaluations en philo. Je répète qu’à l’époque, nous n’avions pas d’éléments nous permettant de dire qu’il y a problème. Seule l’enquête ouverte par la Justice peut nous éclairer. Et nous n’avons pas ces résultats. L’enquête est toujours en cours. Nous n’avons pas utilisé les sujets de secours car les IGEF ont dit que ce n’était pas sûr. Ils sont en train de travailler sur de nouveaux sujets.’’
Nuisance des réseaux sociaux
‘’Je ne suis pas habilité à bloquer les réseaux sociaux. Il faut le demander aux services compétents. Mais c’est une hypothèse difficile à envisager parce qu’elle touche à la liberté des individus. Ce qu’on peut faire, c’est faire la proposition aux autorités. Si c’est possible de le faire, cela peut nous aider à faire face à la situation. Nous n’avons pas les moyens de lutter contre la cybercriminalité.’’
Soupçons de sabotage
‘’Nous faisons tout pour éviter ces fuites mais nous ne pouvons rien garantir. Car il y a des gens qui construisent et d’autres qui déconstruisent. Pendant qu’on met des stratégies pour améliorer le dispositif, eux aussi réfléchissent sur des stratégies pour que ça ne marche pas. Les gens doivent savoir que le bac n’appartient ni au gouvernement ni à Babou Diaham. Il appartient à toute la nation. Nous devons tous œuvrer pour sa réussite. Toutes ces questions seront abordées dans l’atelier que nous allons tenir autour du bac. Dans certains pays que nous avons visités, ce sont les forces de l’ordre même qui assurent le convoyage des épreuves. C’est difficile de situer les responsabilités car la chaîne est très longue. Elle démarre avec la proposition de sujets des enseignants. Ensuite, au niveau de l’Office, une commission est chargée de faire le tri. Après, il y a l’IGEF qui fait le choix définitif du sujet et qui délivre un bon à tirer. C’est à ce moment seulement qu’on peut tirer l’épreuve et l’acheminer dans les centres d’examen.’’
Réaction des députés sur la fuite du Bac
MANSOUR SY DJAMIL
‘’Je suis meurtri qu’il y ait des fuites dans le système éducatif’’
‘’Ce qui me désole, c’est d’assister à la dégradation du système scolaire sénégalais. A notre temps, tous les professeurs étaient des agrégés. Ça me choque que de telles choses se passent dans le pays de Senghor. Ce dernier a tout fait pour garantir la qualité de l’enseignement sénégalais afin de le rendre compétitif non seulement dans les universités sénégalaises mais également mondiales. Je suis meurtri de voir que dans le système éducatif sénégalais, il est possible de faire des fuites. Je crois qu’il faut une concertation car au-delà des élèves, les parents aussi sont immédiatement concernés. Et c’est l’avenir du Sénégal de manière générale qui est en jeu. Il faut organiser des assises, y réfléchir collectivement pour trouver des solutions.’’
HELENE TINE
‘’Nous sommes tous interpellés’’
‘’C’est une situation extrêmement grave pour notre pays que les épreuves du Bac se retrouvent dans la rue. Cela dénote de l’état de déliquescence des valeurs et de la morale dans ce pays. Ce qui est grave, c’est qu’on semble dire à la jeunesse que tout doit être triche et magouille. Nous sommes tous interpellés depuis la cellule familiale qui est le lieu de socialisation de l’enfant jusqu’aux plus hautes autorités de ce pays qui ont une part de responsabilité. Il ne faut pas qu’on soit surpris et cela dépasse le milieu de l’éducation. C’est une gangrène dans tous les secteurs, c’est très grave et c’est honteux. On peut avoir des fuites dans une matière, c’est déjà arrivé ; mais aujourd’hui, c’est toutes les épreuves du Bac qui sont dans la rue.’’