Du bout des lèvres, Macky Sall a filé la patate chaude à la Commission électorale nationale autonome (Cena). Après avoir participé à la prière de la Korité, lundi dernier à la Grande mosquée, le chef de l'État a appelé à un consensus, autour dudit organe, sur le mode de scrutin des législatives du 30 juillet. L'objectif étant, souligne le président de la République, que l'électeur puisse accomplir son devoir sans avoir à subir les désagréments d'un vote avec 47 listes.
Macky Sall recommande que toute proposition pouvant permettre d'arriver à un consensus soit prise en compte. Que les discussions soient ouvertes.
La Cena a pris la balle au bond. Conviant les plénipotentiaires des partis et coalitions en compétition à une rencontre ce vendredi à son siège.
Certaines entités politiques et de la société civile ont pris les devants : bulletin unique à 5 pages ou à 12 pages, sélection de 5 listes sur les 47, regroupement des listes dans un isoloir agrandi afin de permettre à l'électeur de voter sans avoir à sélectionner 47 bulletins, report des législatives… Les propositions, les unes plus ingénieuses que les autres, pullulent.
Mais l'autre grand défi, sans doute le plus important, c'est d'arriver à changer les règles du jeu à près d'un mois des élections. La Cedeao interdit les modifications de la loi électorale à six mois d'un scrutin, sauf si les acteurs concernés arrivent à un consensus.
La Cena est appelée à provoquer ce consensus. Mais avec 47 voix à entendre, la tâche s'annonce difficile. D'autant que certaines, et non des moindres, s'accrochent au statu quo.
"Je ne partage pas la même lecture de certains acteurs de la société civile et politiques au sujet des 47 listes en compétition pour les législatives, rouspète dans Sud Quotidien Mactar Sourang, tête de liste départementale de Mànkoo taxawu Senegaal à Mbacké. Les gens parlent comme si toutes les listes seront en compétitions dans les 45 départements du pays alors que tel n'est pas le cas. On n'aura pas, le jour du vote, 47 listes dans tous les bureaux de vote des 45 départements. Donc pour moi, techniquement, les 47 listes ne poseront pas problème le jour du vote."
Mamadou Diop Decroix de Wattù, dans le même journal, admet que le problème est réel. Mais, pour lui, il appartient au pouvoir de trouver une solution. Il conjecture : "C'est au régime en place de se prononcer parce que c'est bien le Président Macky Sall et son gouvernement qui ont financé toutes ces listes pour créer la situation que nous constatons. S'ils veulent vraiment alléger les conditions du vote, ils n'ont qu'à retirer toutes les listes qu'ils ont sponsorisées."
Babacar Gaye, porte-parole du Pds, parti membre de Wattù, est sur la même ligne que Decroix. Ou presque. Dans les colonnes du journal Enquête, il se braque : "Notre parti n'est pas dans une dynamique de chercher des solutions pour (l'organisation) des élections. L'Administration sénégalaise doit se doter des moyens de le faire à date échue et dans les meilleures conditions possibles."
Fataliste, Abdourahmane Ndiaye de l'Apr laisse entendre que les acteurs ne peuvent pas arriver à un consensus. "Si tu appelles à une concertation, il y aura 15 listes à droite, 15 autres à gauche et les 29 restantes au centre. On ne fera que créer des problèmes et des adversités", prédit-il, toujours dans Enquête. Pour lui, le mode de scrutin doit être maintenu. Ce sera, de son avis, une expérience de plus pour la démocratie sénégalaise.
Il schématise : "C'est bon que les Sénégalais l'expérimentent (un scrutin avec 47 listes), qu'ils le vivent, qu'ils voient que c'est pratiquement impossible avec ce nombre de listes. Et à partir des constats, tirer les leçons."
Avec ces positions exprimées avant l'appel du chef de l'État pour un consensus autour du mode de scrutin, le président de la Cena, Doudou Ndir, peut déjà mesurer l'immensité et la complexité de la mission qui l'attend. En lui filant la patate chaude à moins de 40 jours du scrutin, à proximité du démarrage de la campagne, dans un contexte où la grogne ne cesse de monter au sujet de la distribution des cartes d'identité biométriques et alors que les imprimeries tournent en plein régime pour produire les bulletins des candidats, il est clair que Macky Sall ne lui fait pas de cadeau.