Après avoir quitté l’armée en 2001 à sa demande, Xavier Diatta vient de publier un ouvrage de 187 pages intitulé ‘’La crise casamançaise racontée à mes enfants’’. Pour lui, il s’agit, à travers cette production, de témoigner pour que cette couche sociale soit informée par rapport à ce conflit. ‘’Témoin oculaire’’ des prémices de cette crise, le représentant bénévole d’Aviation sans frontière en Afrique estime que ce conflit est alimenté par des lobbys qui, dénonce-t-il, manœuvrent contre les processus de paix. Dans cet entretien, il se dit ‘’choqué’’ par l’implication de pays étrangers dans la résolution de ce conflit.
Pourquoi avez-vous senti le besoin d’écrire cet ouvrage intitulé : ‘’La crise casamançaise racontée à mes enfants’’ ?
Je suis arrivé à un point où c’était pratiquement un devoir moral pour moi de faire ce témoignage. Si vous avez suivi la crise casamançaise qui a maintenant plus de 30 ans, il y a une certaine situation d’omerta. Alors qu’elle est tellement aiguë. Elle a fait beaucoup de désastres. Mais malheureusement, personne n’en parle. Aujourd’hui, on va vous parler du processus de paix en cours. Mais pour moi, c’est vague. Si vous prenez 90% des Sénégalais, y compris les Casamançais, beaucoup n’ont rien compris à cette crise. Ceux qui sont nés après les années 80 n’ont rien compris de ce conflit. C’est la raison pour laquelle je me suis dit qu’il faut que je fasse un témoignage. Parce que j’ai eu tellement de versions. Certains de ces gens qui se disent spécialistes de la Casamance sortent des énormités tous les jours.
On a suivi, récemment, la Fondation qui a offert un bus aux femmes du bois sacré dans le cadre de la crise. C’est une image qui m’a choqué, parce que tous ceux qui sont nés en Casamance n’ont jamais entendu parler des femmes du bois sacré. C’est comme si on vous dit ‘’les femmes du marché de Dakar’’. Mais, vous allez vous demander de quel marché parle-t-on ? Donc, pour moi, il y a du mépris. Il y a beaucoup de détails qui échappent au Président Macky Sall dans cette affaire.
Lesquels ?
A mon avis, il ne fait pas très attention à un détail. A l’intérieur du front nord et sud, il y a des micro-fronts et les membres du mouvement Mfdc ne s’entendent pas. Pour cause : ils sont constitués de manière familiale, sentimentale.
Quelle analyse faites-vous de la gestion de cette crise par les différents régimes qui se sont succédé au Sénégal ?
Si vous regardez bien, j’ai commencé par Abdou Diouf. Il a été l’autorité la plus titillée par des questions sécuritaires au Sénégal. Parce qu’elle a eu affaire à quatre fronts : la Mauritanie, la Gambie, la Guinée Bissau et le Mali. Donc Abdou Diouf, tout comme les autres Présidents du Sénégal, s’est heurté aux lobbys. Ils sont tellement puissants que le chef de l’Etat n’arrive pas à avoir les bonnes informations.
Comment expliquez-vous le titre de votre ouvrage ‘’La crise casamançaise racontée à mes enfants’’ ?
Je tenais à témoigner, parce que je suis de cette génération. Vous êtes jeunes, vous avez fait toutes vos études au Sénégal, malheureusement, on ne vous a jamais enseigné l’histoire de la Casamance. A cet égard, je dis que les gens qui étaient à notre place n’ont pas fait de témoignage. Il n’y a aucune œuvre scientifique sur cette question. Est-ce qu’il faut passer à la trappe l’histoire de la Casamance ? Non, je ne pense pas. Moi, je témoigne parce que j’ai été acteur. Quand les prémices de la crise ont commencé, dans les années 1970, j’étais déjà au lycée. Elle s’est vraiment intensifiée dans les années 80 et 90. Et j’étais responsable dans l’armée et engagé dans la crise au niveau de la Casamance. Dans les années 2000, je suis sorti de l’armée, parce que j’ai demandé à partir (…). Tous ces facteurs m’ont poussé à faire ce témoignage.
Pour vous, c’est donc une manière de sensibiliser sur la crise dans cette région au sud du Sénégal ?
Oui, c’est une manière de sensibiliser et d’interpeller les politiques également. En Casamance, nous sommes nombreux dans le champ politique. Mais malheureusement, on ne connaît pas réellement la zone. Les gens posent des actes sans mesurer leur portée vis-à-vis des populations.
Présentement, c’est l’accalmie dans la zone ; une situation ni paix ni guerre. Le régime actuel peut-il tirer profit de ce contexte pour résoudre définitivement cette crise qui a duré plus de 30 ans ?
Non, le Président Macky Sall, je crois qu’on lui a laissé beaucoup plus de problèmes que de solutions. Si vous vous souvenez bien, le règlement de ce conflit a eu trois à quatre étapes. Abdou Diouf n’avait pas compris ce qui se passait en Casamance. Il avait été complètement floué. C’est vers la fin de son mandat qu’il a commencé à comprendre cette affaire. Il s’est même déplacé pour rencontrer Diamacoune à la maison des œuvres de Ziguinchor. C’était donc le premier jalon. Abdoulaye Wade, quant à lui, est venu faire table rase de tous les acquis de son prédécesseur en voulant imprimer son empreinte dans la résolution de ce conflit.
Il avait promis de régler le conflit en 100 jours.
Pourtant, il était de bonne foi. Mais ce qu’il n’avait pas bien compris, c’est qu’il y avait des lobbys qui ont tout torpillé. Il a fait confiance à des gens en multipliant les émissaires, en leur donnant des moyens financiers. Conséquences : d’autres centres d’intérêt ont vu le jour. Les gens n’ont pas eu l’occasion d’aller à Foundiougne 2 à cause des lobbys, parce que ça ne les arrange pas. C’est pourquoi je dis que le Président Macky Sall a hérité d’un dossier chaotique, carabiné. Il a tout de même essayé.
Dans l’ouvrage, vous mentionnez que le Président Abdoulaye Wade ‘’ignorait’’ les réalités et la complexité de cette zone.
Oui, j’ai même dit qu’il est l’affirmation de l’intelligentsia. Il avait l’esprit alerte. Mais il n’avait pas prévu que les réseaux mafieux avaient leur toile au niveau de la Présidence. De ce point de vue, j’ai dit ‘’qu’il se fera balloter comme un élève du primaire’’. Effectivement, les choses se sont passées de cette manière. On a même fait appel à Mbaye Jacques Diop qui a travaillé comme un forcené. In fine, il a remis un document qui, pratiquement, retraçait ce qui a été retenu à Foundiougne 1. Conséquence : ses travaux ont été rangés.
Le Président Wade a-t-il échoué dans la gestion de cette crise ?
Oui, il a complètement échoué. Parce que quand il partait, il n’a pas laissé une piste fiable, comme Abdou Diouf qui s’était appesanti sur la Gambie et la Guinée Bissau. Il voulait, lui seul, régler la crise. C’est vers la fin de son mandat qu’il s’est rendu compte qu’il n’a rien fait de positif. A cet égard, il a été obligé de se rendre en Gambie pour huiler les bonnes relations entre le Sénégal et cette République.
En quoi, selon vous, la loi 1964 sur le domaine national a-t-elle contribué à alimenter le conflit en Casamance ?
Le mal vivre en Casamance a commencé avec la loi domaniale 1964. Quand elle est entrée en vigueur, jusqu’à présent, c’est le même problème qui se pose. Parce que, peut-être, les populations n’ont pas eu la chance de connaître les outils légaux de gestion domaniale. Même les fonctionnaires ne connaissaient pas bien cette loi. Ils ont déguerpi les gens sans qu’il y ait d’enquête. C’est donc une des causes de cette crise. Cette loi est incomprise et va nous amener énormément de problèmes. Rien qu’entre 1983 et 1984, on a dénombré plus de 2 000 litiges fonciers à Ziguinchor. Donc, ça posait un problème. Il y a également la grève des lycéens, des étudiants, etc. Abdou Diouf n’a pas apporté la paix que tout le monde attendait. Quand on a lancé le programme d’urbanisation de Ziguinchor, on a créé des commissions de recasement essentiellement composées de fonctionnaires affectés à Ziguinchor. Les affectations ont été perçues comme une punition. Donc, les gens venaient en Casamance pour essayer de se refaire avant de revenir sur Dakar.
Dans ce cas, comment faire pour résoudre ce conflit ?
Il faut être très courageux. Les gens me disent que le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc) de Robert Sagna est en train de faire du bon boulot. Moi, personnellement, je n’ai aucun jugement de valeur à faire par rapport à ce groupe. Mais j’ai une hantise : le Grpc va négocier pour le compte du Sénégal. Donc, il arrivera un moment où si ce groupe réussit, l’Etat du Sénégal et le Mdfc vont s’asseoir à une même table pour signer une convention de paix. Alors, le Mfdc est-il une voix prépondérante en Casamance ? Quels sont ses supports pour contraindre les populations à s’inscrire dans cette dynamique de paix ? Des gens qui ont vécu des drames n’osent même pas dire ce qu’ils endurent. En quoi se reconnaissent-ils dans le travail de ce groupe ? Non, je n’y crois pas.
A votre avis, il faut donc une démarche inclusive pour aller vers la paix ?
Oui, il le faut. Il nous faut adopter la même position que le Togo, la Côte d’Ivoire, le Canada, l’Afrique du Sud, etc. Il s’agit de mettre en place une commission dite ‘’vérité, réconciliation et pardon’’. Il faut donner la parole à toutes ces personnes qui ont été victimes dans cette guerre pour qu’elles sortent ce qu’elles ont dans le cœur. Tant qu’on ne fait pas cette thérapie de nation, le problème va rester entier.
Comment comptez-vous avec votre collectif peser sur le processus de paix ?
Le collectif des cadres casamançais est une association ouverte à tout le monde. C’est donc un engagement citoyen, volontaire. Elle est composée de gens qui acceptent de discuter de cette région. Je pense qu’on lui fait souvent un mauvais procès dans les accords. Il s’est toujours positionné comme le garant des engagements pris par les différentes parties. Ce qui fait qu’il est parfois très mal vu du côté de l’Etat ou de la rébellion. Donc, c’est très compliqué pour les membres de cette association. Nous n’avons jamais été pour l’indépendance. Aujourd’hui, la résolution de ce conflit aurait dû passer par ce collectif, parce que ses membres savent beaucoup de choses.
Comment analysez-vous l’implication des Etats-Unis dans cette crise ?
J’ai dit ceci dans le livre : ‘’Je n’ai jamais compris l’implication des Etats-Unis dans cette crise.’’ Présentement, personne ne peut vous dire les raisons de cette implication. Il y a des lobbys derrière. On ne nous dit pas exactement ce qui se passe dans cette affaire. A mon avis, il y a des enjeux en soubassement qui sont tellement importants que parler de cette crise, c’est se mettre à dos tout le monde.
Quelle est la place de Saint-Egidio dans la résolution de ce conflit ?
C’est la même chose que les Etats-Unis. Saint-Egidio discute avec une seule branche. Si le Grpc jouait une mission de cadre de coordination pour que toutes les initiatives qui ont été prises pour la paix se retrouvent, les gens pourront, dans ce cas précis, aller de l’avant. Malheureusement, chacun a son propre calendrier. Les lobbys ne sont pas uniquement du côté étatique. On les retrouve également chez les rebelles. Les gens parlent de dialogue entre le Mfdc et l’Etat. Moi, je dis que le simple soldat qui est au front ne sait même pas ce qui se passe en haut lieu. C’est ça qui me fait mal. Les populations sont laissées en rade dans le cadre de la gestion de cette affaire.
Donc à votre avis, les Présidents du Sénégal qui ont eu à gérer cette crise ont été floués par leurs collaborateurs ?
Il y a beaucoup de gens qui disent qu’ils sont ‘’Monsieur casamance’’ alors qu’ils ne sont jamais sortis de Rufisque ou bien, s’ils arrivent à Ziguinchor, ils vont dans les hôtels. Ces mêmes personnes se permettent d’écrire des rapports qu’elles présentent au président de la République qui prend des décisions en fonction des informations reçues. C’est ça le problème.
Vous citez dans votre ouvrage Robert Sagna qui parle de ‘’décentralisation intelligente’’ dans le cadre de la résolution de ce conflit. Pouvez-vous y revenir ?
Pour lui, il n’est même pas question que les gens parlent de l’indépendance de la Casamance. Par contre, une décentralisation intelligente vis-à-vis de l’Etat est soutenable. Mais que personne ne nous demande, à nous cadres casamançais, l’indépendance de cette région.
Le Mfdc est composé de différentes branches : modérée et dure. Y-a-t-il un interlocuteur crédible pour dialoguer dans le but d’aller vers la paix ?
Ils sont plusieurs interlocuteurs. Pour le moment, je ne connais pas une figure emblématique qui préside aux destinées du Mfdc. Maintenant, je ne sais vraiment pas s’ils sont crédibles ou non.
Souvent, des membres du Mfdc exigent des négociations hors du Sénégal, de l’Afrique. Où se trouve la pertinence d’une telle démarche ?
C’est exactement la même question qu’un de mes enfants m’a posée. Qui va payer le déplacement des différentes parties ? C’est le contribuable sénégalais ou le Mfdc ? C’est là où je ne comprends pas le vrai problème. Le Mfdc a des exigences qu’il ne peut pas financer. Moi, personnellement, je ne vois pas la pertinence d’aller faire des négociations ailleurs. Parce que tous les mandats internationaux ont été levés. Ils sont en train de circuler librement.
PAPE NOUHA SOUANE ET GASTON COLY