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Maurice Soudieck Dione, Docteur en Science politique sur la floraison des coalitions de l’opposition: "Réunir autant de personnalités politiques d’envergure sur une même liste est un moyen d’augmenter les chances d’engranger le plus de voix possible"
Publié le lundi 29 mai 2017  |  Sud Quotidien
Rencontre
© Présidence par DR
Rencontre entre Mankoo Wattu Sénégal et le président de la République
Dakar, le 1er décembre 2016 - Le président de la République Macky Sall a rencontré une délégation des leaders de l`opposition réunie dans le Front "Mankoo Wattu Sénégaal". Les échanges ont essentiellement porté sur les questions autour du processus électoral.




A moins de deux mois des élections législatives du 30 juillet prochain, l’on constate une floraison de coalitions de l’opposition. Ce qui pousserait les plus sceptiques à penser à une dispersion des forces de l’opposition. Le Docteur en Science politique, non moins Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Maurice Soudieck Dione ne le voit pas de cet œil, dans la mesure où, selon lui, ces coalitions sont formées autour de «personnalités politiques connues et reconnues». Donc, pour lui, «réunir autant de personnalités politiques d’envergure sur une même liste est un moyen d’augmenter les chances d’engranger le plus de voix possible».

Comment comprendre cette multiplication des coalitions de l’opposition à cette veille des législatives ?

C’est une effervescence politique tout à fait normale. Le mode de scrutin majoritaire à un tour au niveau départemental, à l’aune duquel 105 députés sur 165 sont élus, et où le vainqueur remporte tous les sièges même avec une voix de différence, oblige les partis politiques à se regrouper. Dès lors qu’il était fort improbable qu’il y eût en lice, une seule et unique liste de l’opposition, du fait des nombreuses contradictions d’intérêts et des logiques de positionnement par rapport à la présidentielle de 2019, il fallait donc s’attendre à une multiplication des pôles oppositionnels pour briguer les suffrages des Sénégalais pour les législatives du 30 juillet prochain.

Cette multitude de coalitions de l’opposition n’augmenterait-elle pas les chances de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar, de garder intacte ou même d’augmenter sa majorité à l’Assemblée nationale ?

Je ne le pense pas, dans la mesure où les partis ne sont pas allés individuellement aux élections. La stratégie de Mankoo Taxawu Senegaal qui fédère l’essentiel des forces de l’opposition est, à ce titre, fort illustrative. Réunir autant de personnalités politiques d’envergure sur une même liste est un moyen d’augmenter les chances d’engranger le plus de voix possible, et de limiter les effets néfastes du mode de scrutin majoritaire à un tour, au niveau départemental. Sans compter que les autres coalitions également sont constituées autour de personnalités politiques connues et reconnues qui peuvent également comptabiliser des scores assez appréciables.

Quelle devrait être la démarche de l’opposition pour être à mesure d’imposer une cohabitation au régime du Président Macky Sall ?

La mise en place entre autres de la coalition Mankoo Taxawu Senegaal qui regroupe la plupart des forces de l’opposition, est encore une fois une méthode judicieuse pour capter au mieux les voix de l’électorat. Mais la coalition doit minutieusement et ingénieusement structurer et articuler sa communication politique. Pour être efficace, celle-ci ne doit pas être basée sur le dénigrement et l’idée qu’il faille gagner les législatives pour instaurer une crise au sommet de l’État, créer une situation de blocage des institutions, ou s’inscrire dans une logique vindicative. Si l’opposition mène une communication agressive et violente, le discours risquerait d’être contre-productif, car les électeurs sénégalais sont des citoyens éclairés, et la majeure partie d’entre eux est en dehors des partis politiques et de leurs contradictions internes et intersubjectives. Donc, il faut une campagne basée sur des idées pertinentes, des propositions et projets intéressants; sur la critique des insuffisances et imperfections de la gouvernance actuelle, tout en évitant les arguments ad hominem et contra hominem. Au demeurant, il faut dire que la brutalité du mode de scrutin au niveau départemental, peut favoriser la constitution d’une majorité et donc d’une certaine manière la stabilisation et la rationalisation de l’ordonnancement institutionnel, d’où une réduction des chances de l’avènement d’une cohabitation, du fait qu’il semble rester encore au régime en place, un certain capital de légitimité. Seulement, au regard des résultats des élections législatives de 2012, l’hypothèse ne saurait être totalement écartée. En effet la coalition Benno Bokk Yakaar avait obtenu 1.040.899 voix, sur 1.968.852 suffrages valablement exprimés, soit 53,06 % des voix, soit 119 sièges sur 150, avec un taux de participation de 36,67%. Or, en ce moment la coalition englobait la majeure partie des forces sociopolitiques, après la chute du Pds et ses alliés que tous avaient combattus, et dans un contexte où le régime du Président Sall était encore en état de grâce ! Depuis, Idrissa Seck a quitté la coalition, l’Afp a connu une scission avec le départ de Malick Gakou, qui a créé le Grand parti, le Ps traverse une crise avec notamment la dissidence de Khalifa Ababacar Sall, en plus des crises internes dans Benno Bokk Yakaar, liées aux investitures. La conjonction de tous ces éléments fait qu’une cohabitation n’est pas absolument à écarter. Mais au-delà, le plus important sera d’apprécier l’écart de voix entre la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar, et l’opposition, car ce sera en effet un baromètre pour appréhender l’assise populaire du régime, afin de se projeter sur la présidentielle de 2019. D’autant plus que les alternances de 2000 et de 2012 ont toutes été marquées par un affaiblissement des régimes en place à la suite des élections qui les ont précédées : lors des législatives de 1998 en effet, malgré la victoire confortable du PS en termes de sièges, 93 sur 140, il n’avait obtenu qu’une faible majorité de 50,2% des voix ; les locales de 2009 préfigurait déjà la chute du Président Wade, après qu’il a perdu la plupart des grandes villes, dans une atmosphère sociale de mécontentement grandissant.

Certaines personnalités de l’opposition, dont le patron de l’Act Abdoul Mbaye et Ousmane Sonko du Pastef ont refusé d’aller en coalition avec les partis traditionnels qui ont déjà exercé le pouvoir. Pensez-vous que les valeurs qu’ils veulent véhiculer épousent les réalités électorales au Sénégal ?

Je crois qu’il faut faire la part des choses. Abdoul Mbaye a été Premier ministre du Sénégal, du 3 avril 2012 au 1er septembre 2013, donc il a eu à gouverner avec des partis politiques et des personnalités politiques qui avaient déjà servi sous les régimes des Présidents Diouf et Wade. Ousmane Sonko quant à lui n’a pas encore participé à l’exercice du pouvoir à quelque niveau que ce soit, gouvernemental, parlementaire ou local. Certes, tous les deux affirment qu’ils veulent se démarquer de certaines pratiques politiques, mais ont reproduit les mêmes appareils. Je ne dis pas les mêmes pratiques. Mais le problème est de savoir est-ce qu’ils pourront massifier leurs partis, sans tomber dans les travers qu’ils dénoncent, vu le fonctionnement clientéliste des partis politiques. C’est un défi non négligeable qu’ils doivent relever.
Mais, il faut dire aussi qu’Abdoul Mbaye et Ousmane Sonko sont à la tête de jeunes partis, qui, comme eux-mêmes, n’ont encore participé à aucune élection. Dans ces conditions, quelle place pouvait-on leur accorder dans une liste de coalition, où il y aurait déjà beaucoup de ténors, plus expérimentés politiquement et avec des partis mieux implantés ? Leur intégration dans Mankoo Taxawu Senegaal semblait donc poser un problème par rapport à leur représentativité. Dans quel département pourrait-on les mettre tête de liste, puisqu’ils débutent leur carrière politique ? Et si l’option de mettre tous les leaders ayant des ambitions présidentielles sur la départementale était retenue, les mettre sur la liste nationale, ne serait-ce pas une rupture d’égalité, par rapport aux autres présidentiables de la coalition ?
D’autant plus que ces derniers pourraient avoir l’impression de travailler à faire élire sans coup férir des chefs de parti dont on ne sait encore rien de leur popularité ! Ensuite, le fait pour Abdoul Mbaye et Ousmane Sonko de se retrouver dans cette grande coalition qu’est Mankoo Taxawu Senegaal pourrait leur porter préjudice en termes de visibilité politique. En définitive, il me semble que les différentes coalitions mises en place obéissent à des rationalités politiques tout à fait compréhensibles, par rapport aux intérêts des uns et des autres.

En somme, comment voyez-vous ces échéances futures, au vu du bouillonnement noté dans le milieu politique, en ce moment ?

Les législatives du 30 juillet 2017 sont des joutes électorales cruciales qui cachent plusieurs enjeux. Des enjeux de pouvoir pour le régime qui cherche à renouveler sa majorité parlementaire, car autrement le Président Sall aurait du mal à gouverner et à dérouler son programme. Des enjeux de contre-pouvoir pour l’opposition qui veut modifier le rapport de force en sa faveur, et réfréner le régime en place, dans ce qu’elle estime être des dérives par rapport au respect des droits et libertés, et par rapport à l’éthique dans la gouvernance. Des enjeux liés à l’élection présidentielle de 2019, car les potentiels candidats à cette compétition politique sont déjà en train de se préparer. C’est pourquoi au-delà des élections législatives, les partis en vue de 2019, évitent d’aller en rangs dispersés, car ce serait prendre inutilement le risque de démontrer une faible représentativité parlementaire pour chacun d’entre eux, à cause du mode de scrutin pour une bonne part ; ce qui pourrait psychologiquement affaiblir les leaders, et avoir donc pour eux, des conséquences politiques néfastes, en vue de la présidentielle de 2019. À signaler en passant que la coalition Benno Bokk Yakaar se caractérise par un gigantisme politique particulièrement exorbitant, qui dépasse largement le cadre de l’APR. On comprend dès lors qu’Idrissa Seck, Pape Diop, le PDS, de même que les dissidents Malick Gakou et Khalifa Ababacar Sall notamment, sortis des flancs des deux principaux partis souteneurs de Benno Bokk Yakaar, à savoir le PS et l’AFP, sont en train, à travers les législatives, de dérouler leur agenda en perspective de 2019. C’est dans cette optique qu’il faut encore inscrire les stratégies des autres leaders : Abdoulaye Baldé, Cheikh Tidiane Gadio, Mame Adama Guèye, Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko, etc., eu égard à l’échéance électorale présidentielle de 2019 !
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