Greenpeace alerte sur les dangers de cette pêche excessive au large des côtes du pays, mal encadrée, dangereuse pour la biodiversité et conjuguée aux changements démographiques et climatiques.
Le thiof se fait plus rare sur les étals des marchés de Dakar. Ce poisson, comme les nombreuses autres espèces d’Afrique de l’Ouest, est affecté par la surpêche, qu’elle soit légale ou non. Pourtant, le poisson est une denrée de base au Sénégal. Selon la commission sous-régionale des pêches, les ressources halieutiques représentent 75% de la consommation de protéines animales depuis que le secteur de l’élevage est en perte de vitesse. L’affaiblissement des stocks affecte la disponibilité d’un aliment essentiel mais aussi le pouvoir d’achat des Sénégalais. Les revenus de près de 700 000 personnes – 5% de la population – dépendent ainsi de la pêche. «La surpêche conjuguée à l’accroissement démographique et aux changements climatiques met donc en péril la sécurité alimentaire des pays de la zone», affirme Ibrahima Cissé, responsable du programme océan de Greenpeace.
Les Etats de la sous-région en ont pris conscience. Quatre d’entre eux, dont le Sénégal, ont participé à la mission de surveillance conjointe menée à bord de l’Esperanza (navire de Greenpeace) dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest de mars à mai 2017. Le Cap-Vert et la Mauritanie, absents de l’expédition, ont cependant adhéré aux programmes de sensibilisation à la préservation de l’océan menés par l’association.
«Les poissons ne reconnaissent pas les frontières»
L’organisation de protection de l’environnement dénonce les mauvaises pratiques de pêche des flottes artisanales et industrielles et les prélèvements effectués au-delà des stocks exploitables. Mais aussi, et surtout, un manque de cohésion entre les Etats pour la gestion des stocks.
«Les poissons ne reconnaissent pas les frontières, ils migrent au-delà des eaux nationales d’un Etat. La sardinelle, par exemple, suit des routes migratoires du Sénégal à la Mauritanie. Les stocks de poissons doivent être envisagés de manière globale pour la zone et non par pays. L''instauration de quotas concertés entre les Etats de la sous-région est une mesure essentielle pour maintenir les stocks, explique Ibrahima Cissé. Si la capacité de pêche est de 2 tonnes mais que chacun des six pays décide d’en pêcher plus chacun de son côté en ignorant ce que les pays voisins prélèvent, on aboutit à une surpêche alors que chacun pense respecter les limitations imposées», poursuit-il.
L’absence de réglementation commune favorise en outre la pêche illicite. «La zone est poissonneuse et l’incapacité des organismes de surveillance nationaux à intervenir et sanctionner sur l’ensemble des zones de pêche envoie le message qu’on peut pêcher sans autorisation, en toute impunité», explique Ibrahima Cissé.
L’absence de gestion harmonisée entre les pays majore la pêche illégale
En deux mois de surveillance conjointe, Greenpeace et les représentants des pays de la zone ont inspecté 37 bateaux de pêche suspects et relevé 11 infractions. Selon le rapport de Frontiers Marine Science de mars 2017, la pêche illégale étrangère dans les eaux sénégalaises est estimée à 261 000 tonnes de poissons par an entre 2010 et 2015 (690 000 tonnes pour l’ensemble de la zone). «La pratique participe à dilapider le capital marin des zones de pêche sans toutefois bénéficier aux populations locales, puisque le produit de cette pêche est le plus souvent traité à bord et directement exporté», ajoute Ibrahima Cissé.
Elle représente un manque à gagner pour l’Etat. Frontiers Marine Science estime les pertes à 2,3 milliards de dollars par an pour l’ensemble des pays de la zone.
La pêche illégale est principalement le fait de chalutiers étrangers, soutenus par des accords bilatéraux avec un pays de la zone ouest-africaine. Le manque de cohésion des Etats, qui accordent le droit de pêche à certains pays étrangers alors que d’autres le refusent, augmente le taux de pêche illégale. Ainsi, la pêche non autorisée de la flotte russe dans les eaux sénégalaises a augmenté de 20% en 2014-1015 après que les pays voisins, Guinée-Bissau et Mauritanie, lui ont octroyé le droit de pêche. «Les bateaux sillonnent au large et ne s’arrêtent pas à la zone pour laquelle ils ont obtenu une autorisation», souligne le responsable de projet de Greenpeace. Et l’absence d’accords entre les pays pour poursuivre un contrevenant au-delà des eaux nationales empêche le plus souvent de pouvoir arraisonner et sanctionner le bateau fautif lorsqu’il est repéré hors de la zone de pêche autorisée.
Greenpeace a d’ores et déjà proposé 7 recommandations aux autorités des Etats partenaires pour accroître la surveillance et l’efficacité de la répression. «Nous organiserons une réunion de restitution dans les semaines à venir. Mais le processus de mise en œuvre prendra du temps», précise Ibrahima Cissé.