Après une «pause» de plus de 2 ans, à savoir depuis la condamnation du fils de l’ancien président, Karim Wade, le 23 mars 2015, jugé coupable des délits d’enrichissement illicite, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) semble refaire surface. L’épouse du maire de Ziguinchor, Aminata Gassama est passée hier, lundi 8 mai, devant le juge de la Commission d’instruction près la Crei, pendant que son mari, Abdoulaye Baldé, y est attendu ce jeudi, pour une ré-audition sur les délits d’enrichissement illicite, de corruption et de recel portant sur 5 milliards, portés contre eux.
Cependant, la «réactivation» des dossiers de la Crei, à la veille des élections législatives prévues ce 30 juillet 2017, suscite une controverse dans la sphère politique. Au moment où les opposants au régime du président Macky Sall, notamment la députée indépendante Hélène Tine, y voit la main de l’Etat contre des adversaires politiques, du côté de la mouvance présidentielle, en l’occurrence la Conseillère spéciale du président, Zahra Iyane Thiam, ainsi que le porte-parole de la Ligue démocratique, Moussa Sarr, l’on théorise la nécessité de la reddition des comptes, qu’importe le contexte et le temps.
HELENE TINE DEPUTéE INDEPENDANTE : «Le constat, aujourd’hui, c’est que la traque des opposants»
«Nous l’avons appris par la presse. Ce qui nous étonne, c’est que l’immunité parlementaire d’Abdoulaye Baldé a été levée depuis plus de 3 ans. Tous les Sénégalais sont d’accord que les gens qui ont eu à gérer des deniers publiques dans ce pays rendent compte. C’était un engagement pris en 2012 lorsqu’on demandait aux Sénégalais de voter pour la coalition Benno Bokk Yaakaar. Je constate que toutes les mesures ont été prises pour que la Crei puisse faire son travail. Qu’est ce qu’ils attendaient depuis 2013 ? Pourquoi depuis lors, la machine s’est grippée en ce qui concerne certaines personnes concernées. Je rappelle qu’en 2013, on avait levé l’immunité parlementaire de Baldé, d’Oumar Sarr, et d’Ousmane Ngom. Depuis lors, la Crei ne s’est intéressée qu’aux cas Karim Wade et Aida Ndiongue. Aujourd’hui, à la veille de l’élection, Baldé et sa femme sont convoqués. On nous dira comme d’habitude que le temps de la justice n’est pas celui de la politique. Mais, de la même manière que l’affaire Barthélémy a été mise au goût du jour, aujourd’hui on constate qu’à la veille de l’élaboration d’une liste, le positionnement des uns et des autres dans les coalitions, on constate que l’affaire refait surface.
Je me rappelle ici que de grands responsables de l’Apr, dont le ministre de la Justice, se sont prononcés pour dire que la Crei devait être revue. On pensait que c’était à cause de ça qu’ils avaient arrêté les auditions. Mais, on se réveille pour dire que Baldé et sa femme ont été convoqués. Ousmane Ngom qui était concerné, qu’est-ce qu’on fait de lui ? Ce qui est sûr, c’est qu’Ousmane Ngom a bien rejoint le camp de Benno Bokk Yaakaar. Il a dit récemment qu’il allait créer une liste et qu’il est en bonne intelligence avec le président de la République. Donc, moi je considère qu’il y a deux poids et deux mesures. On ne peut pas aujourd’hui relâcher Ousmane Ngom et mettre la Crei aux trousses de Baldé. Ce qu’on a constaté contre Khalifa Sall, ce sont deux poids deux mesures et un ciblage qui ne dit pas son nom. C’est un autre grand danger pour le Sénégal. Ça veut dire qu’ils ont mis des épées de Damoclès au dessus de la tête des gens. Ils ont cherché des cordes pour les menacer de pendaison ou pour les contraindre à abdiquer, à aller dans le sens qu’ils veulent. Moi c’est ça qui m’étonne. Je ne suis pas contre la redevabilité mais j’aimerai bien comprendre la démarche du pouvoir. On ne s’attendait pas à ce que la gouvernance sobre et vertueuse qu’on avait promis au Sénégal, qu’on ne se l’applique pas. Parce qu’aujourd’hui, on a vu ce qui se passe dans la gestion des ressources minérales avec la démission du ministre concerné. On ne se l’applique pas et aujourd’hui on veut utiliser les institutions judiciaires pour régler des comptes politiques parce que si c’est fait en ce moment-là précis, c’est parce qu’il y a tout simplement un objectif visé qui ne dit pas son nom.
Je ne veux pas qu’on pense que je ne veux pas que personne rende compte, que personne ne soit appelé à justifier la gestion des ressources à lui confiée ; mais c’est la période choisie. Je pense que c’est la première fois au Sénégal qu’on vit une situation pareille. Que durant la période électorale il y ait une traque d’opposants. Ce n’est pas une traque des biens mal acquis, ni une traque de recevabilité. Le constat aujourd’hui, c’est que c’est la traque des opposants. Et je pense que le Sénégal ne mérite pas cela ».
MOUSSA SARR PORTE-PAROLE DE LA Ld : «J’estime que le moment et le contexte importent peu»
«Au niveau de la Ligue Démocratique, nous avons invariablement affirmé notre position de principes sur la reddition des comptes. En clair, tous ceux qui sont présumés coupables d’une mauvaise gestion des ressources publiques doivent rendre compte devant les juridictions compétentes et cela nonobstant leur statut et leur rang. Dans le même sens, j’estime que le moment et le contexte importent peu. Autrement dit, quel que soit le moment où les auditions interviennent, l’essentiel est que justice soit rendue en toute impartialité. Il ne faut surtout pas s’accorder une pause dans le traitement des dossiers relatifs à la traque des biens supposés mal acquis.
Dans une démocratie comme la nôtre, des élections locales et nationales interviennent à intervalles réguliers. Si la justice doit se donner une pause à la veille d’élections pour suspendre le traitement de certains dossiers qui incriminent des hommes politiques, il y a de fortes chances que ceux ci deviennent des intouchables alors qu’ils doivent plutôt être des modèles si tant est qu’ils veulent diriger leurs concitoyens.
Cela étant dit, il importe d’éviter une justice à double vitesse. Tous les dossiers doivent être traités et du moment que la justice, en toute souveraineté, décide».
ZAHRA IYANE THIAM CONSEILLERE SPECIALE DU PRESIDENT : «Cette reprise n’a rien à voir avec le calendrier électoral...»
«Je pense qu’il ne faut pas faire d’amalgame parce que la justice, on ne peut pas l’analyser de manière temporelle, en fonction de la durée ou de la période. Donc vouloir mettre en relief ou vouloir mettre côte-à côte l’exécution normale de la justice avec le calendrier républicain me parait deux choses différentes et c’est la meilleure manière d’amener des quiproquos ou le dépérissement dans un Etat de droit. Pour moi, ce qu’il faut noter à ce niveau- là, c’est que l’opposition avait annoncé que la Crei n’avait été activée que pour certains leaders or nous voyons que la justice suit naturellement son cours. La reddition des comptes est également une réalité pour le président de la République qui, dans son style de gouvernance a indiqué que toute gestion des deniers publics devait se faire de façon efficace, efficiente ; et c’est pourquoi ces lignes-là ont été dégagées. Je pense que c’est cela qui est en jeu. Maintenant, tout comme pour le chef de l’Etat ou pour le gouvernement, il y a deux principes : d’abord pour la présomption d’innocence, ensuite l’égalité de tous les citoyens devant la loi. On ne peut aujourd’hui parler d’inégalité des citoyens devant la loi. On ne peut pas avoir une justice pour les citoyens et une autre justice pour les acteurs politiques ou pour de soi-disant adversaires politiques. Cela n’a rien à voir avec les calendriers électoraux, nous sommes dans l’ordre normal des choses. Ce sont deux sphères totalement distinctes à savoir la sphère politique et la sphère judicaire».