Il y a de quoi s’inquiéter sur le sort de ces enfants talibés qui errent les grandes artères de Dakar à la recherche de pitance exigée par les maitres coraniques. Cette pratique qui s’apparente à de l’esclavage dont les maitres coraniques tirent profit, constitue une des pires formes de travail des enfants, selon l’Organisation internationale du travail (Oit). Pourtant, une loi interdisant la mendicité sur les lieux publics et les grandes artères de Dakar existe depuis 1975. Il s’agit de la loi 75-77 du 09 juillet 1975 et a été remise au goût du jour par l’ancien régime libéral en 2005. La question qui taraude l’esprit de nombre d’acteurs est à quand l’application de la loi?
Le Sénégal est, à-t-on l’habitude de le dire, un champion en ratification des Chartes et Conventions régionales, continentales et internationales. Le pays de la «Teranga» s’est toujours illustré par la non application de ces dispositifs, même nationaux. En effet, la question de la mendicité a toujours été une préoccupation nationale compte tenu des conséquences graves que cela peut engendrer sur la vie des enfants, avenir de notre pays. On se rappelle que la loi 75-77 du 09 juillet 1975 interdisant la mendicité, sauf dans les lieux culte, existe depuis belle lurette. Elle a dormi dans les tiroirs jusqu’en 2005 où l’ancien régime qui l’a remis au goût du jour. «Quiconque organise la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit, embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou exerce sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue à le faire est puni d’unemprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500 000 à 2 000 000 de francs», dispose la loi 02/2005 en son article 3.
L’annonce était du gouvernement d’alors dirigé par Souleymane Ndendé Ndiaye. Mais c’était sans compter avec le manque de volonté des autorités à prendre à bras le corps cette problématique. C’est le chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, lors d’un conseil des ministres qui a invité son Premier ministre à agir pour la levée de l’interdiction et travailler sur les voies et moyens d’une éventuelle subvention.
Leçon non sue de l’incendie de la Médina
Au début de la deuxième alternance les nouvelles autorités au pouvoir ont crié sur tous les toits leur volonté de mettre en place une gouvernance de rupture, une rupture qui semblait donner une nouvelle allure à la lutte contre la mendicité. Les sorties du chef de l’Etat Macky Sall et de son ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, le 6 mars 2013, suite à l’incendie de la Médina emportant des talibés n’a eu qu’effet d’annonce. Les pressions tout azimut d’autorités religieuses et de l’association des maitres coraniques du Sénégal sont passées par là. Les autorités tardent à prendre des mesures définitives pour l’éradication totale de cette problématique. Et, la question qui taraude l’esprit de bon nombre d’acteurs est à quand l’application de la loi?
En attendant des mesures concrètes et ardues, les enfants sont toujours envoyés dans la rue, sébile sous les bras, pendant plus de10h par jour. Pour se nourrir, il leur est fait obligation de rapporter une certaine somme d’argent (200 à 300F Cfa) et/ ou une quantité déterminée de denrées, comme le riz, le mil et lesucre (250 à 500g), sans oublier les bougies, les noix de cola et parfois le papier blanc, les lundis et vendredis. Si l’enfant talibé ne réussit pas à réunir la somme et les denrées qui lui sont réclamées, il a peur de rentrer au daara, au risque d’être sévèrement puni par le maître coranique.
C’est pourquoi, certains d’entre eux finissent par fuguer, préférant la rudesse d’une vie d’errance aux sévices endurés dans les daaras. Une situation qui pousse les maitres coraniques, malgré les difficultés quotidiennes notamment la cherté de la vie, à continuer à accueillir, voire à recruter par dizaines des enfants talibés (gamins), parfois âgés de 4 ou 5ans provenant des différentes régions du Sénégal et des pays de la sous-région. Ce qui occasionne une promiscuité dans les maisons d’accueil.
Les talibés sont entassés dans des pièces exiguës, dans des bâtisses en construction ou abandonnées qui n’offrent que peu de protection face aux intempéries. Et bonjour les maladies. Lorsqu’ils tombent malade, ce qui est fréquent, il est rare que le maitre coranique les aide à trouver les médicaments nécessaires. A cela s’ajoute les sévices physiques et d’abus sexuels commis par des talibés plus âgées.
Si le gouvernement tarde toujours à réagir sur l’application de la loi et à mettre en œuvre une stratégie de prévention et de protection de ces enfants, n’est-il pas utile de retourner à la mission originelle du daara qui a été longtemps le fruit d’un contrat social. Au marabout la charge d’instruire et aux populations le devoir moral de subvenir aux besoins matériels du marabout. Il est question dans ce contrat que les parents amènent de quoi manger à leurs enfants. Mission impossible si l’on sait que les maitres coraniques se sont tous rués vers les centres urbains où la mendicité forcée a prospéré.
Plus que des annonces, des actes concrets du gouvernement
En dépit de pressions religieuses, il est appelé au gouvernement d’appliquer la Convention relative aux droits de l’enfant qui impose à l’Etat la protection des enfants contre toutes les formes de violence, qu’elles soient commises par un parent, un représentant légal ou toute autre personne à qui l’enfant est confié. Ceci s’applique évidemment dans le cas du maitre coranique, qui agit en tant que tuteur de facto de l’enfant. En plus d’un montant de 8 milliards F Cfa annoncé pour la modernisation des daaras, le gouvernement est appelé à prendre des mesures ardues contre ce phénomène, tout comme la Gambie, la République de Guinée et le Mali (Tombouctou).