Comédien d’origine nigérienne, le chroniqueur à Radio France International (RFI) et prometteur du spectacle ‘Parlement du rire’, Mohamed Mustapha, alias Mamane, était à Dakar avec ses partenaires Michel Gohou et Digbeu Cravate. L’humoriste revient dans cet entretien accordé à EnQuête sur l’intérêt de son film intitulé ‘’Bienvenue au Gondwana’’ qui doit être projeté au Sénégal le 11 mai prochain lors de l’inauguration de la salle Olympia, en présence du chef de l’Etat.
Vous êtes à Dakar pour présenter votre film ‘’Bienvenue au Gondwana’’. Pourquoi le choix du Sénégal ?
Nous sommes en tournée pour présenter aux Sénégalais ce film et également, faire un spectacle qui sera présenté par le trio Gohou Michel et Digbeu Cravate et moi-même. On était à Niamey, Ouaga, Douala et Dakar. Le film sera à l’affiche exclusivement au Sénégal le 11 mai prochain pour l’inauguration de la salle ‘’Canal Olympia’’, en présence du Président Macky Sall. C’est un film qui met la lumière sur la jeunesse africaine qui est déterminée pour une démocratie et une bonne gouvernance à tout prix. Mais aujourd’hui (Ndlr : l’entretien a été réalisé le 27 avril 2017) nous allons assurer un spectacle de comédie en abordant des thèmes sur l’actualité récente du Sénégal, en France. Il y aura aussi un extrait du ‘’journaliste’’ Gohou qui aborde l’actualité sociale de l’Afrique à travers des sujets bien ciblés. Bref des sujets drôles toujours avec une morale à la fin.
Est-ce que vous pouvez revenir sur l’histoire racontée dans ‘’Bienvenue au Gondwana’’ ?
C’est un film qui relate la lutte contre la démocratie en Afrique. Le pitch est qu’il y a un président qui veut se représenter pour un énième mandat. On envoie une mission électorale, comme on le fait tout le temps, pour venir malgré les fraudes, dire que les élections se sont bien passées. Dans l’histoire de ce film on voit que tout ne se passe pas comme prévu. Il y a Gohou et Digbeu Cravate qui jouent le rôle des hommes du président, qui sont là pour chouchouter la mission d’observation électorale pour l’empêcher de voir la fraude qui se passe. C’est un prétexte pour mettre en lumière les combats des jeunes africains qui luttent pour la démocratie. Les vrais héros dans ce film, c’est la jeunesse africaine qui s’est mobilisée. C’est une actualité qui parle à tous les Africains, pour une fois. Ce sont eux qui donnent leur point de vue sur ces élections qui sont une espèce de jeu d’hypocrisie entre l’Occident et nos dictateurs.
Qu’est-ce qui explique votre engagement dans toutes vos comédies ?
Tout ce que l’on fait est engagé. Les gens qui disent qu’ils font de l’art et qu'ils ne sont pas engagés sont des menteurs ou des lâches. Le fait d’aller acheter une baguette de pain c’est un acte citoyen, puisque que dans le prix, il y a la TVA. Aujourd’hui, un Africain ne peut pas dire qu’il est un artiste, et qu’il ne relate pas les maux de la société africaine. Tu ne peux pas monter sur scène et prétendre que tout va bien en Afrique, celui qui fait cela, pour moi n’est pas un artiste. C’est de la diversion, non-assistance à un peuple en danger. C’est ce qu’est finalement devenu l’humour en Europe. Par exemple, en France les gens ne sont plus des citoyens mais des consommateurs, ils n’ont plus de combat. Leur seul combat c’est la distraction.
Est-ce que vous pensez que ce film peut avoir un impact sur la posture de nos chefs d’Etats ?
Les chefs d’Etat ne nous intéressent pas. C’est le peuple qui nous intéresse. Nous faisons rire tout en profitant pour glisser nos messages. Ce film donne vraiment de l’espoir, on parle avec la jeunesse citoyenne. Ce qui nous intéresse par contre c’est le public conquis. Quand une population est organisée, le chef d’Etat, quoi qu’il fasse, s’il n’obéit pas aux règles d’une bonne gouvernance doit dégager. Au Sénégal, le mouvement ‘’Y en a marre’’ a pris une force vitale qui a empêché Abdoulaye Wade de créer une dynastie. C’est la même chose au Burkina Faso avec le ‘’Balai citoyen’’ et d’autres pays. Et dans le film, il y un mouvement citoyen, ‘’Mungachi’’, qui signifie ‘‘on est fatigué’’ en Haoussa qui s’inspire de ‘’Y en a marre’’. C'est pour dire que l’on ne peut plus nous mentir. Un président ne peut plus se cacher chez lui pour dire que tout va bien, l’exemple de Yaya Jammeh est patent.
Quel est le message que vous voulez transmettre dans ce film ?
La lutte pour la liberté d’expression. Qu’on laisse les gens s’occuper de ce qui les regarde, c'est-à-dire la politique de la cité qui est notre avenir. Qu’on nous laisse décider de qui on veut mettre à la tête de notre pays. Que si quelque chose ne nous plaise pas ou ne nous convient pas qu’on le dise. Qu’on ne se fasse plus tabasser par la Police. Qu’on ne se fasse plus emprisonner parce qu’on veut se présenter à la présidentielle.
Comment s’est passé le casting du film, vu que l’on y trouve une diversité de nationalités ?
Le système du cinéma n’est pas encore structuré en Afrique. Donc on est obligé d’appeler à gauche et à droite pour savoir dans quel pays il y a un tel comédien, dans quel rôle tu vois ce comédien ? Ainsi de suite. Le casting africain se fait comme ça. Contrairement en France où le monde du cinéma est bien organisé, il y a le directeur du casting qui organise les castings avec un appel d’offre et les comédiens répondent.
On voit que le Sénégalais Lamine Ndiaye a joué un rôle dans le film. Comment s’est passé son casting ?
Je l’ai choisi parce que je cherchais un comédien qui puisse incarner le rôle du ministre mais vraiment avec la prestance. Quelqu’un qui est connu et respecté. Demba Dieng, l’assistant réalisateur du film, m’a parlé de lui, il m’a montré une vidéo que j’ai beaucoup appréciée. Nous l’avons contacté et il a accepté. Nous lui avons alors envoyé le texte et le reste s’est passé naturellement. Nous voulons montrer que les artistes africains ont fait le panafricanisme avant les hommes politiques. Les frontières, on s’en fiche ! On se voit comme des amis, des êtres humains.
Est-ce que le film a déjà été projeté ?
La première fois que le film a été projeté, c’était le 8 décembre dernier à Abidjan. Le 12 décembre il est sorti en France parce que c’est une maison de production française qui a financé le film à hauteur de presque 2 milliards. L’Etat ivoirien a aussi participé à hauteur de 5 millions de FCFA sur les 2 milliards. Une projection s’est aussi tenue au Niger et au Burkina dans des salles toutes pleines et le lendemain nous avons été reçus par le président du Niger, Mahamadou Issoufou. Il nous a beaucoup félicités. Au Burkina, le président est venu voir le film et nous a reçus aussi au palais. Ils ont compris que l’on ne peut plus bâillonner les artistes. Celui qui s’y essaie peut voir 10 mille fois l’inverse de ce qu’il souhaitait. Ceux qui s’y essaient nous font de la publicité. Le film va être visible dans 10 pays africains que sont le Niger, Burkina, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Congo Brazzaville, Guinée Conakry, Mali, Tchad, et Sénégal.
Votre pays d’origine, le Niger, vous a-t-il soutenu financièrement dans votre film ?
Je n’ai même pas demandé l’aide du Niger vu que c’est mon premier film. Le plus facile pour moi, vu que j’ai ma boite en Côte d’Ivoire, est d’aller demander de l’aide à ce pays plutôt que d’aller demander au gouvernement nigérien. Je sais que si je les avais approchés, j’allais avoir une petite aide, tout en sachant que le Niger est un pays pauvre mais qui a une politique culturelle. Sinon dans mon prochain film je vais les approcher pour une aide. Je vais aussi taper sur toutes les portes je serais même au Sénégal.
Votre réalisation est présentée comme un film franco-ivoirien pourquoi ?
Parce que les financements sont de la Côte d’Ivoire et la France. C’est une boite de production française et la mienne, basée en Côte D’Ivoire, les deux coproducteurs de ce film. Aussi il a été tourné dans ce pays avec l’aide de l’Etat ivoirien.
Certains disent que dans votre chronique qui passe à la Rfi vous piétinez l’Afrique. Est-ce le cas?
Certaines personnes disent que je ne parle pas du bon côté de l’Afrique. C’est parce que, il y a beaucoup de choses qui ne marchent pas en Afrique. On doit donc parler et dénoncer. Cela me fait mal de voir des jeunes africains quitter leurs pays pour immigrer comme si l’Afrique est un enfer. Je ne peux pas me dire humoriste et puis rester là pour montrer les merveilles du continent. Si quelqu’un veut faire des sketchs ou parler du bien de l’Afrique qu’il le fasse mais moi je parlerais toujours de ce qui ne va pas. C’est de mon rôle d’artiste.
Nous devons être là comme des lanceurs d’alerte. Je ne suis pas un ministre du Tourisme qui va vanter les beautés de l’Afrique. Je fais mieux que parler, j’agis. Avec ma boite de production en Côte d’Ivoire depuis plus de 5 ans, nous créons de l'emploi, nous mettons de l’argent dans l’économie ivoirien. Le film a injecté quelques 800 millions de francs CFA. L’image de l’Afrique, ce n’est moi qui la donne. Tant qu’il y aura des gens qui vont diriger nos pays, nous construisent des écoles, des hôpitaux, des infrastructures, dignes de ce nom ; qu’il y ait des jeunes africains qui meurent dans la Méditerranée, dans le désert, nous les humoristes nous allons en parler. Notre rôle, c’est d’appuyer là où ça fait mal, et de gratter là où ça dérange.
Depuis que vous avez commencé à relater les maux de la société africaine est ce que vous avez senti un changement par rapport à nos dirigeants ?
Déjà entre 2009 et maintenant on ne peut pas dire que l’Afrique soit restée immobile, sans changement. Rien qu’à voir les dirigeants qui sont là aujourd’hui, on voit qu’il y a un peu de changement. Ce n’est pas grâce à mes chroniques mais c’est grâce à la mobilisation des citoyens et des jeunes africains. Grâce aux réseaux sociaux, au courage des africains et de tous ses citoyens qui le payent au prix de leur vie.
L’Afrique serait-elle le Gondwana ?
Le Gondwana ce n’est pas que l’Afrique. Le Gondwana c’est tous les pays où règnent l’injustice, l’arbitraire, les entorses à la démocratie. Et aujourd’hui dans le monde il n’y a pas qu’en Afrique qu’il y a tous ces maux. Quand on connait un peu la géographie a une centaine de millions d’années, la terre ne formait qu’un seul continent. La partie sud qui regroupe l’actuelle Afrique, et l’Amérique latine s’appelait le Gondwana donc, c’est une image pour dire que le Gondwana est le monde entier, là où règnent l’arbitraire et le manque de démocratie. La France par un moment c’est le Gondwana, les Etats-Unis de même, la Russie aussi à un moment c’est le Gondwana, la Chine entre autres. Il n’y a pas que l’Afrique.
Comment vous vous êtes inspiré du mot Gondwana ?
Le mot est d’origine indienne. C’était une région de l’Inde qui s’appelait le Gondwana. Moi, quand Rfi m’a demandé de faire une chronique, qui venait à la fin du journal sur l’actualité africaine donc je ne pouvais pas faire une chronique sur un pays en citant le nom du pays. Si par exemple je fais une chronique sur le Sénégal en citant le nom du Président Macky Sall, les autres pays ne se sentiraient pas concernés, donc j’ai décidé de prendre un pays imaginaire qui regroupe tous les défauts qu’on peut regrouper dans les pays africains.
Est-ce que vous connaissez les humoristes sénégalais ?
Malheureusement non, je n’en connais pas beaucoup. C’est l’un des problèmes du ‘’Parlement du rire’’, car on cherche un humoriste sénégalais francophone mais la plupart d’entre eux font leur comédie en wolof et cela ne nous convient pas. Donc, je lance un appel, par vos canaux, pour que les jeunes humoristes sénégalais viennent rejoindre le ‘’Parlement du rire’, se fassent connaitre dans toute l’Afrique et fassent la fierté du Sénégal. Le pays a de bons humoristes mais c’est toujours la langue wolof qui pose problème. Je n’ai pas de problème avec le wolof, le sérère, le pulaar..., mais pour faire rire un étranger, ce n’est pas avec les langues locales car, le ‘’Parlement du rire’’ est suivi dans toute l’Afrique francophone. Si un humoriste sénégalais veut se faire connaitre au Gabon ou au Cameroun, ce n’est pas en faisant des sketchs en wolof. Un humoriste qui veut faire une carrière panafricaine internationale doit prôner la langue de la francophonie.
Au juste, quel est le rôle du ‘’Parlement du rire’’ ?
C’est un tremplin que j’ai imaginé pour donner la chance aux humoristes africains de se faire connaitre au-delà des frontières de leur pays. Des Congolais, des Camerounais, des Nigériens, des Burkinabés, des Ivoiriens, à l’exception des humoristes sénégalais dont je souhaite la participation. Et c’est un programme qui est regardé au Sénégal, et dans toute l’Afrique. Donc, c’est vraiment une opportunité pour les humoristes de se faire connaitre dans tout le continent. Puisque c’est le programme qui marche le mieux sur Canal+, après le football, donc c’est quelque chose qui nous rend heureux et fiers.
Actuellement c’est l’élection présidentielle en France vous êtes pour quel candidat ?
Je ne suis pour aucun candidat, je suis citoyen du Niger, je ne suis pas Français. Je suis humoriste donc je n’ai pas de parti pris. Je juge par les actes des uns et des autres. Il y a Emmanuel Macron d’un côté et Marine Le Pen de l’autre. En tant qu’Africain je sais que le Front national de Marine Le Pen n’aime pas trop les Africains. Même s’ils disent le contraire, il y a une partie raciste.
Comment entrevoyez-vous une France dirigée par Marine Le Pen ?
C’est un problème qui va concerner les Français puisque si elle est élue présidente ce sont eux qui l’ont élue donc, qu’ils se débrouillent avec. Moi je vais les suivre et puis je vais m’adapter en fonction. Je suis née au Niger je suis juste venu en France pour étudier et travailler. Si un gouvernement décide que je n’ai plus droit d’y rester j’irais ailleurs. J’ai mon pays et mon continent, maintenant c’est aux Français d’assumer leur vote.
Depuis que vous êtes en France vous avait une fois vécu le racisme ?
Je n’ai jamais connu le racisme direct mais j’en ai entendu parler et j’ai vu des actes de racisme. La France, ce n’est pas un pays où le racisme est présent tous les jours. C’est l’un des pays en Europe où le racisme est moins fréquent. Un africain peut y vivre sa vie tranquillement sans avoir à le supporter.