Macky Sall et son désormais ex-ministre n’en sont pas à leur premier clash. Si le désaccord sur le contrat de Total est la goutte de trop, il reste que Thierno Alassane Sall, décrit comme «carré», a toujours tenu tête au patron de l’Exécutif.
Quarante-huit heures après, le départ de Thierno Alassane Sall continue d’alimenter la chronique. Dans les ministères, couloirs gouvernementaux et milieux très raffinés du pétrole brut, ça continue de spéculer grave sur les raisons objectives qui ont présidé à cette démission-limogeage. «Caractériel», «grosse tête», «imbu de sa personne» sont les expressions les plus couramment utilisées pour décrire ce personnage volcanique tombé dans la politique comme un cheveu dans la soupe. Cet ingénieur électromécanicien, cadre à l’Asecna, a, de sources proches du milieu pétrolier, refusé de mettre son nom au bas du contrat liant le Sénégal au géant français, Total, pour l’exploration des blocs de Rufisque offshore. Non pas pour tenir tête à Macky Sall, mais pour ne pas engager juridiquement sa signature. A l’avenir, un autre gouvernement ayant toute latitude de commander un audit des contrats signés pour la gestion du pétrole sénégalais.
Thierno Alassane Sall n’en est pas à son premier désaccord avec ses supérieurs. Au lendemain de la seconde alternance, Macky Sall le nomme Directeur général de l’Artp. Son passage y aura duré le temps d’une rose. Le format et le délai d’exécution du plan de construction du nouveau siège de l’Artp l’indisposent au plus haut point. Il tente d’y voir clair et propose de traduire en justice les responsables du retard dans la livraison de l’immeuble. Promoteurs immobiliers et autres architectes sont dans son collimateur. Sauf que Macky Sall, déjà empêtré dans la traque aux biens mal acquis et rattrapé par la realpolitik n’émet pas sur la même fréquence. Le président de la République joue les sapeurs-pompiers et tente d’éteindre le feu avant qu’il ne se propage. D’autres choses pas ou peu catholiques attirent son attention. Le temps pour lui d’y jeter un regard, Macky Sall le nomme ministre des Transports. Une exfiltration, en somme. Chassez le naturel, il revient au galop. Un cadre de l’aviation civile qui a quitté le Pds avec armes et bagages pour atterrir à l’Apr est proposé à la nomination dans un poste stratégique de direction. Thierno Alassane Sall reçoit son Cv, le parcourt en long et en large, auditionne l’impétrant. Puis, silence radio. Entre temps, le proposé à la nomination est entendu, comme il est d’usage, par les enquêteurs de la sûreté. Dans son Palais, Macky attend le décret de nomination. Les semaines et les mois passent. Malgré l’implication d’un ministre d’Etat auprès du président de la République, Thierno Alassane fait comme si de rien n’était. Il a fallu attendre son premier départ du gouvernement, après les locales perdues à Thiès, pour que le fameux décret de nomination soit acté en Conseil des ministres et le candidat bombardé à la tête d’une grosse boîte dans le secteur de l’aviation civile où il continue de trôner.
Clashs à répétition
Le départ du gouvernement du natif de Thiès ne change pas l’homme. Son retour, non plus. Promu ministre de l’Energie, après avoir décliné le poste de Directeur général de Senelec, Thierno Alassane Sall tombe pile-poil sur l’annonce de la découverte de gisements pétroliers et gaziers au large des côtes sénégalaises. Le débat politique est pollué par cette découverte d’énergies fossiles. Abdoul Mbaye, banquier, homme d’affaires et ancien Premier ministre, ainsi qu’Ousmane Sonko, inspecteur des impôts avant sa radiation et leader de Pastef, en font leur cheval de bataille. D’un débat soporifique sur le fichier électoral ou les libertés publiques, ils réussissent à orienter la classe politique sur les questions économiques telles que la fiscalisation du salaire des parlementaires, la gestion du pétrole… Cette dernière question est sur toutes les lèvres. Elle devient une question nationale et cristallise toutes les attentions. Selon des indiscrétions, Thierno Alassane refuse de suivre toutes les instructions présidentielles la concernant. Et s’attire les foudres du Palais.
La goutte d’eau de trop aura été son refus de signer le contrat avec Total qui a fait se déplacer pas moins que le tout puissant Pdg du géant pétrolier français. Dans la salle d’attente du bureau présidentiel, Patrick Pouyanné, contrat en main, est impatient d’obtenir sa signature. Crime de lèse-majesté ! Le pouvoir est dans ses petits souliers. On n’est pas loin de l’incident diplomatique. «Vous démissionnez ou on vous démet», lui aurait balancé le président de la République. Thierno Alassane ne se fait pas prier pour quitter le bureau présidentiel. Avant qu’il n’arrive à son ministère, un décret de deux paragraphes mettant fin à ses fonctions et les confiant au Premier ministre est signé illico presto et envoyé dans les rédactions. La suite relève de l’anecdote. Désigné, le matin, en charge de l’intérim, Mahammed Boun Abdallah Dionne signe, l’après-midi, le contrat avec Total. Ouf, les apparences sont sauves.