Une soirée très populaire, dans la nuit du lundi 1er au mardi 2 mai, pour baisser les rideaux de cette 25ème édition du Festival de jazz de Saint-Louis. Avec un Baaba Maal très applaudi, roi de la fête, et bête de scène…Jusqu’au dernier pan de son boubou noir brodé de jaune. Sur la Place Faidherbe, Baaba Maal est resté fidèle à son ton très engagé, avec un discours sur l’immigration, sur la dignité humaine, sur la protection de l’environnement…
Sur la mythique Place Faidherbe en cette soirée du 1er mai, la toute dernière du Saint-Louis Jazz 2017, on l’attend depuis plusieurs dizaines de minutes déjà : quelques réglages, problèmes de retours ou trop de graves dans la boîte…A côté, il y a toutes les petites histoires que nous raconte alors l’expérimenté Golbert Diagne, dans son costume gris de maître de cérémonie, chapeau et écharpe assortis. De petites histoires, pour nous faire patienter, sinon pour nous faire oublier : quelques fragments d’Histoire, un mot sur Aminata Fall, icône du jazz, ou quelques petites anecdotes sur Baaba Maal, qu’il dit avoir entendu chanter alors qu’il n’avait qu’une petite quinzaine d’années.
Baaba Maal arrive… Enfin… Sans un mot sur les quelques minutes de retard, que le public semble avoir déjà oubliées. Une entrée très applaudie, mais une discrète apparition pour commencer, ce pas mesuré, ces gestes d’une grande élégance, cette sérénité…Dans son boubou noir brodé de jaune, qui ne survivra pas à la soirée, vous verrez pourquoi, Baaba Maal entonne ; de cette voix de Thioubalo (les pêcheurs) né sur la rive du Fleuve Sénégal, qui vous donne l’impression qu’il chante au large, ou que l’écho l’accompagne.
Puis voilà qu’il lance ces quelques mots, formule passe-partout, pour emballer le public, et autant dire que ça marche. «Comment ça va Saint-Louis ?» Ni plus ni moins, la Place Faidherbe est conquise.
Mais disons que Baaba Maal a le chic pour les concerts pas fermés : l’artiste chante en pulaar, mais sans être prisonnier de sa bulle linguistique, et avec même quelques trous d’aération…Entre les expressions populaires qui marchent à tous les coups, «Ku beugue sa yaye...», (si vous aimez votre mère…), les quelques notes de mbalax que l’on retrouve parfois dans sa musique, ou cette façon qu’il a de citer quelques-uns des quartiers de Saint-Louis : Balakoss, Diamaguene, Pikine, Corniche, cette proximité qu’il entretient avec le public, etc.
Baaba jette son boubou
Derrière les pas de ses deux excellentes danseuses, quelque chose d’à la fois très emballé et presque chaloupé, on devine quasiment le mouvement des vagues. Puis le rythme s’emballe, s’accélère, Baaba Maal tombe le boubou, la première pièce, (il se débarrassera ensuite de sa paire de chaussures), quitte la scène, histoire de se mêler à ce public cosmopolite, puis remonte, quelques minutes plus tard. La Place Faidherbe est surchauffée, au propre comme au figuré, et Dieu sait si les nuits à Saint-Louis peuvent être glaciales...Pendant ce temps-là, l’allée centrale, qui mène à la scène, s’est très vite transformée en piste de danse. Ce qui ne facilite pas la tâche au cadreur de la Télévision Futurs Médias (Tfm), qui peut tout de même compter sur ce très zélé jeune homme, qui tient à ce que le concert reste dans les archives : «Faites-lui donc de la place, il filme Baaba Maal !» Voilà qui est dit…
Sans parler de tous ces irrépressibles cris de joie que l’on entend un peu partout, à gauche comme à droite, de ces téléphones allumés, pour ne rien perdre de l’instant, de ces dizaines de personnes debout, lors de ce concert dansant, dont le président de l’association Saint-Louis Jazz, Me Ibrahima Diop, avait annoncé qu’il serait payant : 3000 francs le billet d’entrée.
Une soirée populaire, la plus populaire finalement de cette semaine de Festival, avec même quelques artistes de la région : le très talentueux Khadim Tall par exemple, dont la voix, imaginez, vous rappellera peut-être quelqu’un comme Ndongo Lô.
Baaba Maal, lui, était très attendu cette soirée-là : un artiste complet, cette grande voix, qui vous emmène au loin, cet excellent danseur, qui a eu du mal à cacher son côté bête de scène…Mais avec toujours assez de générosité pour partager la scène avec ses musiciens, et ses danseuses.
Entre deux notes ou deux pas de danse, Baaba Maal nous ramènera même à ses vertes années, 1985, à une époque où il disait que, à la manière du Fleuve, ou presque, il n’appartenait à «personne en particulier». Au cours de la soirée, le chanteur proposera quelques extraits de son album «Souvenir 4», sorti au mois de mars dernier, et où l’on retrouve quelques-unes de ses anciennes chansons, destinées à tous «ceux qui ne connaissaient pas la musique de Baaba Maal à l’époque», aux nostalgiques, aux curieux, aux amoureux de la musique…
BAABA MAAL EN CONCERT : TRIBUNE POUR L’HOMME ET POUR DAME NATURE
Entre les chansons et le show à la Baaba Maal, il y a le discours de l’artiste, que l’on entendra par exemple raconter son récent voyage à Niamey, dans la capitale du Niger, où il avait été invité : «On s’est rendu compte, dit Baaba Maal, qu’il y a beaucoup de jeunes qui quittent nos pays (…), qui traversent le désert, qui sont malmenés au gré du vent (…), maltraités, vendus, et qui nous reviennent traumatisés, à Agadès, à Niamey, et peut-être au Sénégal (…) Mais tout le monde semble penser à ces pirogues qui partent, c’est vrai que ce n’est pas acceptable, mais nous devons aussi savoir qu’il y a des milliers de jeunes femmes et de jeunes garçons qui souffrent dans le désert, qui font partie de nous, et qui sont exposés à tous les maux et à toutes les maladies, à toutes les injustices. De grâce, élevons la voix et faisons en sorte que les autorités puissent s’occuper d’eux et les faire revenir dans leur pays».
Un discours très applaudi, sur la «dignité de l’être humain», qui devrait pouvoir choisir de vivre et de s’épanouir là où il l’entend.
Puis quelques notes de musique, de quoi introduire «Kaladio» ou l’aventurier, «une chanson sur le voyage», où Baaba Maal gardera ce ton très engagé, et un côté presqu’idéaliste : «Les voyages, avant, c’était très beau. On quittait Podor, allait à Saint-Louis, puis à Dakar peut-être, mais on prenait le temps de voyager, parce que c’est la plus belle des leçons de la vie. De nos jours, c’est devenu autre chose, les gens sont obligés de partir, parce qu’il y a des guerres et des conflits».
Il ne faut pas oublier que Baaba Maal a été nommé Ambassadeur pour le Réseau des Parlementaires pour la protection de l’Environnement au Sénégal (Repes). L’artiste se servira d’ailleurs de la scène comme d’une tribune ou d’un pupitre, pour la protection de l’environnement, avec quelques petites leçons très simples. «Tu as envie de puiser de l’eau propre, au puits ou au Fleuve, ne détruis ni l’un ni l’autre, ni le puits ni la berge, parce que d’autres personnes en auront besoin».
Au cours de la même soirée, Baaba Maal a d’ailleurs reçu un cadeau très particulier : un crocodile grandeur nature, de quoi vous faire peur, mais en plastique. Ce qui a eu l’air de plaire au chanteur, et à double titre : d’abord parce que c’était du recyclage, ou du récup ‘art, donc le côté écologique qu’il y a derrière l’objet ; ensuite parce que, dira-t-il, «le crocodile est le symbole de notre communauté, celle de la vallée du Fleuve Sénégal».