Les acteurs politiques et ceux de la société civile sont formels : en dépit de la contribution de la presse dans le jeu de la démocratie au Sénégal, notre pays est encore très loin de l’objectif d’une presse libre et crédible. Interpellés par la rédaction du Sud quotidien hier, mercredi 3 mai, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse qui a coïncidé avec la marche initiée par la coordination des associations de la presse (Cap) pour le respect de la dignité des journalistes, sur la pratique de ce métier, certains, à l’image de Youssou Touré, coordonnateur du réseau des Enseignants de l’Apr déplore «les excès au niveau de certains qualificatifs».
Abondant dans le même sens, Ousmane Sonko, leader du Pastef/ les Patriotes, regrette un «traitement assez particulier de l’information en faveur du régime en place». «Nous souhaitons que la presse puisse être davantage un bouclier et non une arme», rétorque pour sa part, le député Thierno Bocoum, chargé de la communication du Rewmi. Allant dans le même sens, Moussa Sarr, porte-parole de la Ld, souligne que «beaucoup de choses restent à améliorer pour l’avènement d’une presse encore plus libre et crédible au Sénégal». Sous ce rapport, Mouhamadou Mbodj, coordonnateur général du Forum civil joint également au téléphone, a indiqué que «c’est l’heure de s’engager vers des états généraux ou les assises de la presse».
REACTIONS DES POLITIQUES SUR LA PRESSE NATIONALE
BABACAR GAYE, ANCIEN MINISTRE D’ÉTAT ET PORTE-PAROLE DU PDS : «La presse ne sera libre que quand les acteurs des médias le seront...»
Au Sénégal la liberté de la presse existe, mais elle est à consolider. Notre pays est placé 58èmerang mondial dans le dernier rapport de Reporters Sans Frontières, en dépit des libertés et droits qui sont garantis aux journalistes par la Constitution de 2001. Certes, beaucoup d’efforts ont été faits avec le pluralisme des médias et la liberté d’expression. Mais récemment, on a constaté une recrudescence des harcèlements et un resserrement de l’étau autour des hommes de médias et de leurs outils de travail. Je fais particulièrement allusion à l’affaire Etat/Groupe Walfdjri et à la convocation tous azimuts des journalistes à la DIC.
Cette situation leur rend le travail difficile et particulièrement à ceux d’entre eux qui couvrent les activités politiques. Il arrive souvent que les forces de l’ordre comme des militants zélés de certains partis politiques agressent des journalistes dans l’exercice de leur métier et portent atteinte à leur devoir d’informer. S’y ajoutent leurs mauvaises conditions de travail et la tentation de la corruption ambiante avec des politiciens sans scrupules, en mal de visibilité médiatique. Au demeurant les professionnels qui travaillent dans les médias publics et dans certains groupes de presse, soupçonnés de collusion avec le pouvoir politique et les lobbies financiers, doivent prendre leurs responsabilités et s’émanciper de ces lobbys.
S’agissant des conditions de travail des journalistes, je crois que c’est une bonne chose que les journalistes se lèvent pour dire “ça suffit”. D’abord pour exiger un cadre législatif et réglementaire apte à leur assurer un vrai statut. Ensuite pour assainir le milieu de la presse gangrené par l’affairisme et la corruption qui engendrent médiocrité et manque de crédibilité. Il faut ne pas se voiler la face, la presse ne sera libre que quand les acteurs des médias seront indépendants des lobbies de toute sorte qui les ont infiltrés pour mieux les contrôler à des fins de manipulations. Pour faciliter le travail des journalistes, il faut adopter un code de la presse qui tienne compte des préoccupations de notre société, un statut valorisant, pour les professionnels des médias, un décloisonnement de l’information dans des médias contrôlés par l’État et les lobbies financiers, encourager la création d’entreprises de presse dont le capital est détenu au moins à 40 % par des professionnels des médias, en leur réservant l’aide à la presse par exemple ou en leur accordant des facilités fiscales etc. Pour conclure, notre presse a besoin de ses états généraux.
THIERNO BOCOUM, DÉPUTÉ ET CHARGÉ DE LA COMMUNICATION DU REWMI : «Nous souhaitons que la presse puisse être davantage un bouclier et non une arme»
«Nous avons une collaboration normale avec les journalistes compte tenu du fait que chaque parti fait son travail. Maintenant, nous souhaitons que la presse puisse être davantage un bouclier et non une arme. Aujourd’hui, s’il y’a des faits ou des accusations portés contre quelqu’un, nous pensons que ce qui est attendu du journaliste, c’est de faire des investigations, d’aller dans le fond des choses en mettant en avant le présomption d’innocence des personnes accusées, en respectant leurs droits humains. Nous pensons que la presse ne doit pas être utilisée comme une arme pour anéantir des adversaires politiques ou un moyen d’attaque contre toute personne qui a une opinion contraire à travers des accusations tous azimuts et une certaine manipulation de l’information.
Nous attendons des journalistes, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’ils mettent davantage l’accent sur l’investigation, le respect des droits de l’accusé dans le traitement des questions judicaires. Mais, il reste entendu que dans l’ensemble, nous avons au Sénégal, une presse responsable qui fait son travail et qui a joué un rôle important dans l’évolution de la démocratie, notamment dans les alternances démocratiques survenues à la tête du pays. Cependant, nous souhaitons que ces acquis soient préservés à travers une aide aux acteurs de la presse pour qu’ils puissent continuer à jouer leur rôle d’équilibre, de régulateurs sociaux et de garant de la démocratie.
S’agissant de l’amélioration des conditions de travail des journalistes, je pense que tout doit passer par la loi. Il faut légiférer le code de la presse quiest déjà dans le circuit. On doit aller vers son vote pour avoir des règles très claires dans le métier du journalisme afin de permettre aux acteurs d’exercer convenablement leur profession. Il faut également que les patrons de presse puissent être soutenus dans la mesure où la plupart rencontrent des problèmes liés aux moyens financiers, il faut donc qu’on réfléchisse à leur doter plus de moyens, mais aussi s’assurer d’une utilisation efficiente de ces moyens pour que les employés sentent les retombées de ces moyens.
MOUHAMADOU MBODJ COORDONNATEUR GENERAL DU FORUM CIVIL : «C’est l’heure de s’engager vers les états généraux ou les assises de la presse»
Dans le temps, la presse a tenu des rôles, assumé des responsabilités dans la construction démocratique du pays à différents moments, dans des postures différentes. Si certains acteurs défendent le système démocratique et enrichissent son fonctionnement, c’est le citoyen qui donne la légitimité et qui l’enlève. La presse, par sa trajectoire difficile au Sénégal, c’est vraiment bonifiée. Elle a servi de locomotive majeure dans la construction démocratique, dans les 30-40 dernières années.
Du fait qu’on a parlé de modèle sénégalais dans le continent, si on devait distribuer la part de contribution de chaque acteur, la presse tiendrait une place déterminante, que ce soit la presse économique, politique, même la presse sportive. C’est un acteur majeur dans notre système politique.
Maintenant, je suis atterré de voir que depuis quelque temps même le Fonds de la presse a disparu. Je ne peux pas me l’expliquer. C’est-à-dire, financièrement, ce n’était pas de donner de l’argent. C’était un engagement que les gens prenaient pour renforcer un acteur majeur dans la construction démocratique. Donc, par ricochet, c’est un engagement sur la construction démocratique. Cet engagement de l’Etat doit non seulement être maintenu, mais renforcé. Même s’il faut réexaminer les modalités avec les acteurs eux-mêmes. Je souhaite que ce 3 mai soit une opportunité de lancer ce dialogue et non une confrontation. La démocratie a besoin de la presse comme l’homme a besoin de l’air pour respirer.
La presse aussi doit être consciente aujourd’hui de ses parts en tant qu’acteur qui évolue dans cette société qu’il incarne, mais prend aussi certaines tares de la société. Elle doit aussi s’engager dans une introspection profonde. Je crois qu’on l’avait commencé sous Wade. On voulait même faire des états généraux de la presse à Saly. Mais cela ne concerne pas seulement la presse car elle est un relais. Elle permet d’établir ces liens permanents entre acteurs de la société et acteurs institutionnels. Il faut que ce processus d’introspection engage les acteurs institutionnels.
Je suis contre ceux qui donnent des qualificatifs très négatifs. Toute évolution génère de bonnes choses, comme des choses qui sont de travers. Il faut repérer les meilleures choses pour aller vers un Code plus qui tire vers le meilleur au niveau de la presse. Il faut arrêter d’établir des corsets. Le Code de la presse ne doit pas être perçu comme un corset, mais plutôt comme un outil de régulation et d’amélioration globale de notre système démocratique où la presse tient un rôle fondamental. Mais, il faut le faire dans un langage de vérité. C’est l’heure de s’engager vers les états généraux ou des assises de la presse. Au-delà du Code de la presse, qui est un acte normal dans une République, qu’il y ait un cadre normatif de la presse. On ne doit pas tout renvoyer. Dans la perspective du développement de la presse et du développement de ses contributions dans l’amélioration du fonctionnement de la gouvernance démocratique, on ne doit pas se limiter à ce cadre normatif. Il faut aller au-delà. La question du financement doit être perçue dans le sens d’un développement fondamental de la presse comme un des acteurs majeurs du système démocratique et de gouvernance.
Donc, il ne faut pas qu’on reste sur des postures de méfiance entre les acteurs. Il ne faut pas qu’on reste dans les postures de menaces non plus. Il faut être généreux dans l’effort de reconstruction d’idéaux autour du développement de la presse, généreux dans le sens de canaliser plus de ressources vers cet acteur majeur de notre système de gouvernance démocratique. On ne devrait pas laisser la presse faire une marche, pour en arriver à ça. On ne devrait pas laisser pourrir la situation. Ce n’est pas le rôle de la presse d’aller en marche. Déjà, laissé pourrir cette situation apparait comme un échec du système de gouvernance. On devrait arriver annuellement à des rencontres d’échanges, comme la rentrée solennelle des Cours et tribunaux. J’estime que la presse tient autant un rôle important que la justice. Je comprends la marche, mais je regrette qu’on ait presque contraint les acteurs à aller dans cette direction. Il n’y a pas eu d’écoutes assez attentives et de réactivités politiques, même si par le passé beaucoup de choses ont été faites. Il faut relancer le corps de la presse le plus rapidement.
OUSMANE SONKO LEADER DU PASTEF/ LES PATRIOTES : «Ce qu’il faut juste déplorer... qu’il y ait un traitement assez particulier de l’information en faveur du régime en place»
On ne peut pas globaliser l’appréciation, parce que dans tout corps, il y a du bon et du moins bon. Je respecte beaucoup la presse et beaucoup de journalistes qui, dans des conditions extrêmement difficiles, essaient de garder une certaine trajectoire et à faire leur travail. De manière générale, nous avons une presse au Sénégal qui permet aux citoyens d’accéder à une information. La qualité de l’information peut faire l’objet de débats, puisque d’aucuns considèrent que la presse n’est pas totalement indépendante, ou quelque fois bâillonnée ou orientée vers des directions. Nous qui avons démarré en politique, il y a 3 ans, en étant parfaitement inconnu, nous connaissons la valeur de la presse. Parce que n’eut été la presse, peut-être qu’on n’aurait pas été connu des Sénégalais et apprécié par rapport à un discours. C’est pourquoi, je considère que c’est l’un des outils les plus importants qu’il faut absolument plus que sauvegarder, pour l’aider à rester une presse de qualité, une presse indépendante, équidistante. Si les acteurs du milieu, eux-mêmes, prennent l’initiative de poser ce débat, nous ne pouvons, en tant que citoyen mais aussi en tant qu’acteurs politiques, apporter notre soutien et notre solidarité par rapport à ce combat et les encourager à aller jusqu’au bout de ce combat. Parce qu’il y va non simplement de l’avenir d’une corporation, mais il y va de la qualité du jeu démocratique, de l’expression des libertés et des droits dans ce pays.
Nous avons eu des malentendus ou des bisbilles tantôt avec certains organes de presse. Par contre, nous avons certains organes de presse qui sont à féliciter. Je n’hésite pas à citer Sud Fm parmi ceux là. A l’intérieur de chaque organe de presse, quelles que soient les orientations qu’on peut prêter à cet organe, il y a toujours des journalistes qui tiennent à faire correctement leur travail. Ce qu’il faut juste déplorer, c’est que depuis quelques années, qu’il y ait un traitement assez particulier de l’information en faveur du régime en place qui semble avoir une mainmise sur beaucoup d’organes de presse. Ça, c’est à déplorer, pour des acteurs que nous sommes. Parce que nous pensons que la presse doit être équidistante, informer juste et vrai. Personne ne demande de faveurs, mais permettre à ce que tous les discours puissent être traités de la même manière et que le peuple ait suffisamment l’information de qualité pour pouvoir assoir un choix sur des bases claires. Je crois qu’il y a une grande responsabilité de ceux qu’on appelle ici les patrons de presse. J’ai tendance à dire que ces dernières années beaucoup de gens se sont dotés d’organes de presse en passant par des lobbyings politiques pour en faire des moyens de pression sur les pouvoirs politiques ou des moyens de règlement de compte. Or, ce n’était pas ça l’objectif de la presse. Rappelons que la presse est un service public. Quand j’entends que tel organe appartient à un tel, nous pensons qu’on attribue des fréquences à des gens sur la base d’un cahier des charges qui exige d’informer juste et vrai. La presse est un patrimoine commun. Les fréquences appartiennent à tout le peuple sénégalais. On en est concessionnaire sur la base d’un cahier des charges. Malheureusement, beaucoup d’organes de presse dans ce pays ne respectent pas ces cahiers des charges parce qu’ils ont fait de ces instruments là des moyens de pression et de promotion. Cela dénature, malheureusement l’image qu’on peut avoir globalement de la presse. Mais, je tiens à rappeler qu’il y a des organes de presse et des journalistes qui font un travail formidable et qui résistent à toutes les pressions. Et nous tenons à les féliciter.