La sortie de plus en plus virulente de certains leaders de l’opposition contre une liste unique de candidatures pour les législatives du 30 juillet prochain ne surprend guère Momar Thiam, expert en communication, et l’enseignant en Droit public à l’UGB de Saint-Louis, Mamadou Kah. Interpellé sur la question, Momar Thiam explique cette situation par une volonté des petits partis et mouvements de voir leur niveau de représentativité plus marqué dans l’opposition. Abondant dans le même sens, Mamadou Kah estime pour sa part que cette idée d’une liste unique de l’opposition lui semble un peu saugrenue. Pour cause, il se dit d’avis que les gens doivent se regrouper d’abord sur la base d’un projet ou d’une offre programmatique mais pas seulement contre une personne ou pour déboulonner un pouvoir.
DR MOMAR THIAM, EXPERT EN COMMUNICATION, DG DE L’ÉCOLE HAUTES ÉTUDES EN INFORMATION ET EN COMMUNICATION (HEIC) : «Des ambitions personnelles risquent d’être plus ou moins biaisées, à travers cette liste unique de l’opposition»
Pour les élections législatives, les partis politiques cherchent à se positionner, à la limite à évaluer un peu leur degré de représentativité dans l’espace politique. C’est ce qui fait souvent d’ailleurs que quand on parle de liste unique, certains partis, certains mouvements, certaines chapelles politiques sont plutôt réfractaires à cette idée pour la bonne et simple raison que les derniers mouvements qui se sont créés peuvent penser et légitimement qu’ils risquent d’être phagocytés par les gros. Quand je parle des gros, je parle du Pds, du Ps, de l’Afp, de l’Apr même si celui-ci n’est pas aujourd’hui un parti réellement structuré quoiqu’il s’agisse du parti qui est au pouvoir, donc qui a les moyens de ses ambitions. Et ces petits mouvements, ces groupes qui comptent se créer, ces petits partis qui émergent pensent que le meilleur moyen d’évaluer leur représentativité, d’être visibles dans l’espace politique et géopolitique, c’est d’aller aux élections législatives ne serait-ce que pour faire de la figuration, pour dire qu’on existe. Et, c’est ça qui constitue l’épine dans l’ambition de constituer une liste unique de l’opposition.
Seulement, quand on parle de real politique, cela veut dire qu’aujourd’hui l’opinion dans sa grande majorité pense et à juste titre que pour combattre les dérives d’un pouvoir, pour combattre un pouvoir dans sa manière de faire, puisqu’il y a les élections législatives, il serait mieux, souhaitable et envisageable que l’opposition se réunisse au sein d’une liste unique et parle d’une seule voie pour lui donner du poids. Regardez aujourd’hui le débat qu’il y a autour de la cohabitation. Mais, au Sénégal, on n’a jamais parlé de cohabitation. La cohabitation, c’était en France d’abord sous l’ère Mitterrand avec la droite, le Rassemblement pour la République (Rpr) à l’époque qui avait gagné les élections législatives et le président de la République était obligé plus ou moins par la Constitution de nommer le leader de l’opposition comme Premier ministre. C’était Jacques Chirac à l’époque. On a parlé de cohabitation, d’un pouvoir présidentiel fort à côté d’un gouvernement qui constituait sa grande majorité dans l’opposition puisque l’opposition a gagné les élections législatives. Aujourd’hui, ce débat a lieu au Sénégal. Il faut voir aussi dans notre architecture constitutionnelle s’il est possible de faire cela. Si, toutefois, cette liste unique de l’opposition gagne les élections législatives, cela veut dire qu’il y a une opposition au pouvoir. Cela, ce sera un exemple historique en Afrique et particulièrement au Sénégal de voir le président de la République et un gouvernement de la majorité parlementaire contrôlée par l’opposition.
La deuxième analyse pour expliquer cette disposition réfractaire des petits partis et mouvements à toute idée de liste unique, c’est de savoir qu’effectivement, il y a des ambitions personnelles qui risquent d’être plus ou moins biaisées à travers l’ambition de cette liste unique d’opposition. Jugez-en vous-mêmes. Prenez Abdoul Mbaye qui a été Premier ministre et qui a des ambitions présidentielles, Malick Gakou qui a été plusieurs fois ministre, Abdoulaye Baldé qui vient de déclarer qu’il est et qu’il reste dans l’opposition mais aussi qu’il est candidat en 2019, Khalifa Sall qui va prendre une petite partie du Parti Socialiste avec des mouvements satellites qu’il y a autour pour se positionner en 2019. Prenez le Pds qui se cherche un candidat mais qui dit que son candidat, c’est Karim Wade jusqu’à preuve du contraire, on ne sait pas encore. Vous avez également d’autres qui se constituent tels que le parti de Moussa Touré, le parti d’Ousmane Sonko qui est sorti du bois et qui a envie de voir jusqu’où l’opinion est avec lui, après toutes les révélations qu’il a eu à faire. Donc, vous avez des ambitions qui s’entrechoquent. Les personnalités politiques pensent que, dans une liste politique de l’opposition forcement, il va y avoir quelqu’un qui va émerger et sera l’arbre qui va cacher les autres.
DR AMADOU KAH, ENSEIGNANT EN DROIT PUBLIC À L’UGB DE SAINT-LOUIS :«Cette idée d’une liste unique de l’opposition me semble un peu saugrenue»
Je ne sais pas si la liste unique voulue par l’opposition à une chance de prospérer en ce sens que cette idée de l’opposition me semble un peu saugrenue. Car, au-delà même de la faisabilité de cette idée, je me pose la question sur la pertinence du principe d’une liste unique de l’opposition parce qu’avant de dire qu’on va ensemble à une élection, il faut d’abord se mettre d’accord autour d’un programme. C’est la raison pour laquelle je rejoins la position de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye. Les gens doivent se regrouper par affinité ou par idéologie programmatique avant de se réunir. Quand on va vers des élections comme des législatives qui ne sont pas une élection à deux tours, il faut que toutes les sensibilités soient représentées, il faut que les Sénégalais aient la possibilité des faire des choix en fonction des programmes que les acteurs ont proposés. Sous ce rapport, je ne vois même pas la pertinence d’une liste unique de l’opposition.
Par contre, il me semble plus normal que le pouvoir arrive à constituer une liste unique parce que tout le monde sait que Bennoo Bokk Yaakaar travaille ensemble depuis au moins cinq ans, ce qui n’est pas le cas pour l’opposition. Elle est plurielle et elle regroupe pas mal de sensibilités politiques qui ne convergent d’aucun programme. La question essentielle, ce n’est pas de savoir si l’opposition a intérêt à aller dans ces élections en rangs dispersés ou pas. Je situe plutôt la question par rapport aux avantages des Sénégalais. Autrement dit, est-ce que les formations politiques au Sénégal sont, aujourd’hui, capables de proposer une offre politique ? Sur ce sujet, je pense que rien n’a été encore dit, on ne sait pas s’ils se sont mis d’accord autour d’un programme.
On ne peut pas poser le problème de la liste avant celui du projet ou du programme. Sur cette base, personnellement, je suis favorable à ce qu’il y ait expression plurielle pour permettre aux Sénégalais de faire un choix. Si vous regardez ces dernières élections, vous verrez qu’à chaque fois, les gens se regroupent pour faire partir le pouvoir sans au préalable travailler sur une offre programmatique alternative. Aujourd’hui, encore si vous regardez bien, l’opposition ne part pas sur la base d’un projet ou programme mais plutôt sur des attaques contre des personnes. Je n’ai rien contre Monsieur Khalifa Sall encore moins une sympathie particulière pour le pouvoir en place mais je pense que les gens ne peuvent pas se regrouper autour d’une personne tout simplement parce que cette dernière est en prison et peu importe les motifs pour lesquelles cette personne est en prison. Je pense que les gens doivent se regrouper d’abord sur la base d’un projet ou d’une offre programmatique en disant si on arrive au pouvoir, voilà ce qu’on compte mettre en œuvre pour le Sénégal et voilà ce qu’on va enlever. Pour moi, cette question doit être réglée avant de passer à autre chose.