L’Association des régions de France s’inquiète de l’avenir de la coopération entre ses membres et les régions du Sénégal. Dans une correspondance adressée à Oumar Youm en février, l’Arf réclame des solutions éventuelles et n’écarte pas la fin du contrat qui lie les régions françaises et sénégalaises. La lettre du ministre en charge des Collectivités locales ne l’ayant apparemment pas satisfaite.
La suppression des régions avait posé le débat sur l’avenir de la coopération décentralisée avec les collectivités occidentales notamment. Aujourd’hui, c’est l’Association des régions de France (Arf) qui s’interroge sur «l’impact de la réforme de la décentralisation sur la coopération décentralisée franco-sénégalaise», objet de la lettre. Le répondant de l’Association des régions du Sénégal (Ars) semble pris de court puisque son président n’a été saisi qu’après l’adoption du Code général des collectivités locales, né de l’Acte 3 de la décentralisation, qui a consacré la mort de la région comme collectivité locale. La loi a été votée en décembre dernier alors que le ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales n’en a informé l’Arf que le 3 février. Dans sa lettre, El hadji Oumar Youm explique au président de l’Arf et du Conseil régional d’Aquitaine, Alain Rousset et à Jean-Paul Bachy que «les objectifs de cette réforme doivent, notamment, amener une cohérence territoriale en réorganisant l’espace et en promouvant l’émergence de pôles de développement». Et que «la suppression de la Région, collectivité locale, entre dans ce cadre car celle-ci ne pouvait, naturellement, pas coexister avec le pôle de développement économique qui se fera par un regroupement des régions actuelles». M. Youm précise, dans sa lettre, que «la suppression des régions ne va pas entraîner la fin de la coopération décentralisée au regard du dispositif juridique qui l’encadre et des dispositions qui seront prises par l’Etat sénégalais pour préserver cette coopération qui contribue au développement pour notre pays». Le ministre ajoute que «les entités locales» que sont le département et la commune, «vont poursuivre les relations dynamiques de partenariat avec les collectivités territoriales» de l’Arf.
Le 29 juin prochain, les 9 conventions seront «caduques»
MM. Rousset et Bachy, dans leur réponse datée du 14 février, ne semblent pas convaincus par les arguments de Oumar Youm. «Nous ne doutons pas du bien fondé de vos objectifs qui tendront vers plus de cohérence territoriale en réorganisant l’espace et en promouvant l’émergence de pôles de développement. Néanmoins, nous souhaitons appeler votre attention sur les conséquences que ne manquera pas d’avoir la suppression des régions sur la Coopération décentralisée franco-sénégalaise», écrivent-ils. Avant de rappeler d’ailleurs que «le 29 juin prochain, date des prochaines élections locales au Sénégal, les 9 conventions liant des régions françaises et sénégalaises seront caduques, privant ainsi de fondement juridique la mise en œuvre des programmes de coopération». Les régions françaises s’interrogent, en outre, sur «les modalités futures de l’engagement des régions françaises au Sénégal dans le cadre du nouveau Code général des collectivités locales». En sollicitant «l’éclairage du gouvernement sénégalais» sur «cette réforme (qui) soulève un certain nombre de questions», l’Arf ne semble pas alors convaincue par les arguments du ministre Youm qui a bien indiqué, pourtant, que l’Acte 3 permettra «une cohérence territoriale en réorganisant l’espace et en promouvant l’émergence de pôles de développement».
«Quels sont les interlocuteurs des partenaires français en attendant les nouvelles institutions ?»
MM. Rousset et Bachy rappellent, tout de même, que «dans la grande majorité des cas, les Conseils régionaux sénégalais sont les maîtres d’ouvrages des projets de Coopération décentralisée» et veulent des réponses à leurs nombreuses questions : «Quelles mesures transitoires le gouvernement prévoit-il pour que les projets en cours ne soient pas remis en cause ? Quels sont les interlocuteurs des partenaires français en attendant que les nouvelles institutions locales soient mises en place et de nouveaux partenariats conclus ? Par ailleurs, certaines régions françaises ont choisi le procédé de l’aide budgétaire directe aux Conseils régionaux partenaires, via le Trésor public sénégalais. Quelles sont les modalités de gestion des fonds qui n’auront pu ni être dépensés ni justifiés à la date des élections locales, le gouvernement prévoit-il ? Les relations entre les régions françaises et sénégalaises s’appuient fréquemment sur la mise à disposition de coopérants, de volontaires ou d’assistants techniques en appui institutionnel auprès des régions sénégalaises partenaires. Envisagez-vous des solutions transitoires les concernant ou bien devrons-nous envisager de mettre fin à leur contrat ?»
L’Arf veut un éclairage sur le calendrier de la mise en œuvre de l’Acte 3
Toutefois, les régions françaises ajoutent : «Enfin, serait-il possible d’avoir un éclairage sur le calendrier de la mise en œuvre de cette réforme (publication des décrets d’application, mise en place des nouvelles assemblées locales départementales et communales, mise en place des pôles de développement régionaux) ? Les régions françaises et sénégalaises ont tissé des liens forts entre 1997 et 2014, et mis en œuvre des projets emblématiques pour le développement de nos deux pays. Ces liens sont aussi politiques, et reposent sur de grandes similitudes en termes d’échelle de territoire, de compétences légales et de responsabilité vis-à-vis des populations. C’est pourquoi, nous nous permettons de solliciter l’appui du gouvernement sénégalais afin d’accompagner au mieux les projets engagés au profit des populations, tout en capitalisant sur les échanges engagés depuis de nombreuses années.»
L’Association des régions du Sénégal dans tous ses états
Cette démarche qualifiée de «solitaire» de Oumar Youm n’a pas manqué de soulever l’ire de l’Association des régions du Sénégal (Ars). S’adressant au chef de l’Etat, le président de l’Ars déclarait : «L’Arf a signé un accord de partenariat avec notre association, accord qui porte sur les échanges de bonnes pratiques, le renforcement des capacités des élus et techniciens et la concertation sur les grandes questions de l’heure (sécurité alimentaire, changements climatiques, etc). Il me plaît de vous rendre compte que les deux associations avaient déjà entamé des discussions pour voir la meilleure suite à donner aux diverses coopérations (9 au total), si les Conseils régionaux venaient à être supprimés.» Pour Aliou Niang, «il aurait été plus courtois» que le ministre Youm fasse au moins ampliation à l’Ars de la correspondance qu’il a adressée à leur partenaire, «s’il ne devait pas simplement saisir son homologue français directement pour respecter les formes administratives.»