L’incendie au Daaka de Madina Gounass, rangé encore une fois dans le lot de ce destin tragique qui est à l’origine de tous les malheurs, devrait être analysé sous un autre angle. Et, selon le psychologue Serigne Mor Mbaye, le drame ne fait que traduire, une fois de plus, la faille de l’Etat. Un Etat, non préventif qui ne fait aucun effort pour développer des modèles et des valeurs qui fondent un développement. Madina Gounass, n’est rien d’autres qu’une mauvaise gestion, à l’instar du naufrage du bateau Le Joola, des nombreux morts sur les routes pendant de grands rendez-vous religieux (Magal, Gamou, etc.)
Quelle lecture faites vous de l’incendie de Madina Gounass à l’origine de la mort d’une trentaine de personne ?
Le tigre ne se pavane pas en criant sa «tigritide» comme disait Wolé Soyinka. Quand on prend des mesures, il faut les appliquer. Il y a des choses qui ne se négocient pas dans un Etat. L’escroquerie, les gens qui volent des milliards en est un exemple. La raison est simple. Ce sont les élites qui ne sont pas des modèles. Quand les élites ne sont pas des modèles, comment voulez-vous que les gens suivent ? C’est ça le problème. Les élites ne sont pas des modèles. Ils mettent en place des mesures circonstancielles, selon les événements. Aucune mesure n’est suivie d’effets parce qu’ils n’y croient pas. C’est pour nous narguer encore avec ce cynisme qui caractérise le nègre repu dans l’impunité.
En 2000, je disais qu’il nous faut un «ndeup» national. Il nous faut un despotisme éclairé. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Est-ce que le pays doit continuer dans cette névrose de répétition. Dans un pays où régnera plus de justice sociale, où les élites seront plus préoccupées par l’avenir de leur peuple, dans un monde de plus en plus cynique et qui se raidit, on pensera plus aux coûts économique et social de tous ces évènements tragiques qui succèdent sous nos cieux et compromettent toute émergence. Il nous réinventer un nouveau pays où doit cesser toute compromission ou tout esprit partisan. La démocratie ne rime pas avec pagaille. Bien entendu, il faudra accepter la confrontation avec toutes les instances qui contribuent à contrarier notre marche vers le progrès.
L’Etat républicain ne peut ramper devant des têtes enturbannées qui ne sont pas forcement éclairées. Il faut naturellement que notre jeunesse aille à l’école laïque et démocratique pour comprendre et intérioriser des valeurs qui configurent des comportements citoyens. Vous savez, si nous laissons les jeunes générations sans éducation et sans enthousiasme pour leur pays, tout effort de développement est compromis. Ces vingt dernières années, vous avez suivi toutes les catastrophes qui ont survenues. Le naufrage du bateau Le Joola, les accidents sur la route lors des grands rassemblements. Et, Dieu sait, le nombre de Comité régional de développement (Crd) de préparations et de budgets qui les ont précédés.
Avec Le Joola, nous sommes devenus champion dans l’histoire des catastrophes marines, nous avons battu le Titanic. Le Joola, ce n’est pas une histoire ni de Dieu, ni de messies, ni de rien d’autres. C’est une histoire de magouilles, d’escroquerie et de négligence. Et, cyniquement, les responsables continuent de vaquer à leurs occupations et recommencent. Et, pendant ce temps, des milliers de familles souffrent encore le martyre et sont installées dans un deuil interminable.
Que faut-il faire donc ?
Il nous faut avoir un nouveau projet de société et donner naissance à des valeurs, modéliser les comportements et mettre en place des dispositifs de suivi et de répression. Il faut réprimer. L’Etat a le monopole de violence. Mais, si cet Etat est un Etat croupion, de parasites, ça ne peut pas aller. Les mesures, on n’en a toujours annoncées, mais elles ne sont jamais appliquées. L’année dernière, ils y étaient à cette période ci, presque la moitié de son gouvernement. Je pense au président Macky Sall, parce que l’incendie aurait pu se passer au moment où presque la moitié de notre Etat était présente sur les lieux. Je pense que le président doit être traumatisé, lui-même. Mais, ont-ils conscience, eux-mêmes, des dangers qu’ils encourent ? Il y a des mesures qu’il fallait prendre avant le Daaka car tout le monde sait que l’écosystème est favorable à l’incendie. C’est une évidence. Et, ce n’est la première fois que Madina Gounass brule avec des morts. Chaque année, il y a des villages qui disparaissent dans la zone.
A vous entendre parler, le développement n’est pas possible dans ces conditions ?
Le président parle d’émergence. Mais, combien de mauvaises conduites et de comportements compromettent cette ambition ? Depuis, l’escroquerie qui consiste à voler les deniers publics, les comportements à l’origine des accidents macabres sur les routes, que n’a-t-on pas vu ? Quelqu’un qui a la conscience de ce que c’est un Etat, ne va accepter de laissé faire, parce que ça en est un. Les agents des Eaux et forêts connaissent la zone. Elle est un lieu à risque permanant à une telle période. Dans un pays démocratique, il y a quelqu’un qui devrait démissionner, séance tenante. Un Etat doit avoir une capacité d’anticipation.
J’éprouve de la révolte et de la douleur lorsque je pense à toutes ces personnes mortes calcinées et toutes ces personnes brulées sur les lits d’hôpitaux. Ce qui serait dramatique. Il n y a pas un projet de société encore moins de suivi des mesures. Il y a des choses qui ne se négocient pas dans une société. Mais, si le président a peur parce qu’il a envie d’être élu, s’il a peur parce qu’il ne veut pas mécontenter des gens, on n’avance pas.
Depuis 2000, période d’une grande rupture, on aurait pu opérer tellement de ruptures au point que nous n’en serions pas là avec des propos incantatoires. Il nous faut aller de façon urgente vers un nouveau projet de société qui donne naissance à de nouvelles valeurs, de nouveaux comportements au sein des jeunes générations chargées d’élaborer le futur. Il faut l’émergence d’une nouvelle élite qui comprend les nouveaux enjeux du monde, qui aime et respecte son peuple, une élite mue par un sentiment patriotique fort, qui rompt d’avec les valeurs cyniques et prédatrices.
Un autre feu couve à Madina Gounass, c’est un conflit communautaire latent dans un contexte où les uns et les autres détiennent des armes; c’est urgent d’opérer un désarmement de tous les foyers. Il faut en avoir le courage, loin de tout esprit partisan ou ethnocentriste, afin d’éviter encore un massacre. Toute ma compassion va à ceux qui souffrent sur les lits d’hôpitaux et à leurs familles, mais au personnel sanitaire qui les accueille bien souvent dans le dénuement. J’aurais tellement voulu les accompagner pour leur éviter les symptômes posttraumatiques !