Enseignant en droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Ucad, Ndiogou Sarr apporte dans cet entretien ses éclairages sur le débat relatif aux fonds politiques. Et, c’est pour préciser qu’au Sénégal, il y’a pas de loi sur les fonds politiques mais plutôt des fonds spéciaux qui échappent à la procédure de vote et à la procédure d’exécution normale de crédits destinés à certaines institutions comme la présidence de la République, l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental et le Haut conseil des collectivités locales. Cependant, l’enseignant en droit public est d’avis qu’au Sénégal, on ne doit plus avoir des fonds appelés politiques laissés à l’entière discrétion du président de la République qui peut les utiliser comme il veut.
Que dit la loi par rapport aux fonds politiques ?
Au Sénégal, il n’y a pas une loi sur les fonds politiques. C’est la loi de finances qui donne les catégories des fonds qui existent. Maintenant, je ne sais pas si la loi des Finances de 2017 n’a pas changé l’appellation. Mais d’habitude, on parlait des fonds spéciaux qui étaient ventilés au niveau des institutions constitutionnelles mais qui échappaient un peu à la procédure normale d’exécution des crédits. Parce qu’en principe, quand un crédit est alloué à un ministère ou à une institution constitutionnelle, il y a une procédure d’exécution de la dépense qui obéit à des étapes mais qui fait aussi intervenir des agents. C’est l’Assemblée qui autorise le gouvernement à exécuter les crédits qui sont reçu autorisations. Le gouvernement, quand il exécute, obéit à une procédure, interpelle des agents et les comptes sont déposés au niveau de la Cour des comptes pour voir si l’autorisation qui avait été donnée a été respectée dans le cadre de l’exécution. Les crédits sont destinés à des institutions. On parle de la destination des crédits et dans cette destination, les crédits sont spécialisés. Par le passé, c’était dans des chapitres. Maintenant, avec la nouvelle loi, c’est dans des programmes mais ça, c’est un autre débat. Maintenant, ces crédits, quand ils sont spécialisés, aucun destinataire ne peut les utiliser pour faire autre chose que ce à quoi ils sont destinés, c’est ça qui est vérifié. Par contre, si on a des fonds spéciaux qui sont alloués a des institutions constitutionnelles comme la présidence de la République, le Conseil économique, social et environnemental, l’Assemblée nationale ou le Haut conseil des collectivités territoriales, ces fonds-là échappent à la procédure normale. C’est-à-dire que celui qui est destinataire de ces fonds peut les utiliser comme il veut, il est ordonnateur et en même temps il est comptable. Car, l’exécution de ces fonds n’obéit pas à la procédure qui sépare les ordonnateurs des comptables. En plus de cela, ce sont des fonds qu’on peut utiliser dans toutes les dépenses : la nature n’a pas été spécifiée au départ. C’est pourquoi, on dit dans ces fonds spéciaux, que la personne destinataire peut les utiliser comme elle l’entend. C’est une dérogation de la procédure de droit commun, normal. Elle peut l’utiliser pour faire n’importe quelle dépense et c’est pourquoi on dit que les justificatifs ne sont pas exigés. Le président peut utiliser ses fonds spéciaux comme il veut, en donnant à quelqu’un, l’utiliser pour aider quelqu’un et ainsi de suite.
Est-ce c’est comme ça que ces fonds ont toujours fonctionné ?
À l’origine quand on créé ces fonds, c’était pour permettre à l’institution politique qui était le président de la République de pouvoir mener des activités qui, normalement, ne sont pas portées à la connaissance du public. Ce sont des dépenses pour espionnage, des dépenses effectivement politiques où le président recours souvent à des actions politiques qu’il doit mener mais qu’on ne peut pas porter à la connaissance du public. Donc à l’origine, ces fonds étaient destinés à ça. Je donne un exemple : face à un président d’un pays voisin qui refuse de quitter le pouvoir, le chef de l’État peut, de peur que ce président-là ne puisse s’interférer dans les affaires du Sénégal, se servir de ces fonds pour envoyer quelqu’un en mission comme un simple citoyen qui lui fournirait des informations précises sur l’évolution de la situation dans ce pays-là. Voilà donc à l’origine, la destination et la nature de ces fonds. Maintenant, avec l’époque moderne, ces fonds sont toujours alloués aux institutions de la République. Avant, c’est le président de la République qui en avait l’apanage ainsi que le président de l’Assemblée nationale, parce que l’Assemblée nationale a aussi à une fonction politique de représentation. Maintenant, on a élargi ces fonds à d’autres institutions et aujourd’hui il parait que le Conseil économique, social et environnemental en dispose ainsi que le Haut conseil des collectivités territoriales. Mais, ce sont des fonds que le destinataire peut utiliser en dérogation de la procédure normale d’exécution des crédits et c’est lui seul qui juge de l’emploi et de l’utilisation qu’il en fera. C’est ça le régime juridique, c’est la loi de finance qui dit qu’on a alloué, supposons par exemple, 60 milliards à la présidence, 50 milliards à telle autre institution et c’est fini. Ces fonds ne sont pas contrôlés et l’exécution aussi n’est pas contrôlée. Tout ce qu’on peut voir, c’est qu’on ne peut pas dire à la fin de l’exercice, comme pour les autres crédits, si réellement tant de crédit autorisés ont été utilisés pour le personnel, tant ont été utilisés pour l’achat de matériel ou l’entretien. Ici, on ne justifie pas l’utilisation de ces fonds. Ce sont des fonds qui échappent à la procédure de vote et à la procédure d’exécution normale de crédits.
Pour une meilleure gestion de ces fonds aujourd’hui, que préconisez-vous ?
Je pense qu’il faut faire la part des choses. Il faut d’abord qu’on enlève la connotation politique Car, si ce sont des fonds spéciaux, on peut les contrôler en encadrant leur exécution mais le contrôle doit se faire sous forme de secret d’État. Autrement dit, si le président de la République demande, supposons, quarante milliards, on doit créer une commission de contrôle comme cela se fait en France pour voir comment le président a utilisé ces fonds pour financer par exemple une mission d’espionnage dans un pays voisin, mais cela doit rester en secret. Mais, quand on parle de fonds politiques qui sont des crédits donnés au président et qui peut en faire comme bon lui semble, je crois que cette pratique doit finir dans un pays normal. Pourquoi ? Parce que nous avons des ministères qui sont des réponses politiques aux promesses politiques et aux préoccupations des populations. Il y a des ministères de la solidarité nationale, des ministères de telle ou telle autre chose, ces ministères doivent pouvoir gérer ces fonds et donner effectivement des pièces justificatives sur comment ils les ont gérés parce qu’il ne s’agit pas de fonds secrets mais plutôt des fonds qui ont servi à des populations et dont la gestion peut être connue. Maintenant, est-ce qu’on doit demander au président de la République d’avoir des fonds qui lui permettent de garder une clientèle politique ? Vraiment, je pense qu’on ne doit le faire parce que si on le fait pour le président de la République, on doit pouvoir le faire aussi pour tous les partis politiques, y compris ceux de l’opposition. Je suis pour qu’on garde les fonds spéciaux mais qu’on enlève la connotation politique. Autrement dit, qu’il n’y ait plus de fonds appelés politiques laissés à l’entière discrétion du président de la République qui peut les utiliser comme il veut.