C’est la fin d’un contentieux long de plus d’une décennie. Les deux ex-numéros 2 déchus d’Abdoulaye Wade réchauffent des rapports glaciaux par des retrouvailles à un trimestre des Législatives. Une réconciliation qui ne fait pas que du bien.
Question de Madiambal Diagne : ‘‘Vous n’envisagez donc pas de quelconques retrouvailles avec Karim Wade ?’’ Réponse d’Idrissa Seck : ‘‘Non, aucune. Mais je ne lui souhaite aucun mal (...)’’. On est en août 2011, à la veille d’une présidentielle grosse de contestations sur la validation d’une troisième candidature du président sortant. L’actuel président du Conseil départemental de Thiès se lâchait, dans une interview à l’hebdomadaire Week-end (N°170), sur ses rapports conflictuels avec sa famille politique. Un régime marron-beige et quelques fluctuations de lignes plus tard, Abel et Caïn s’essaient à un rabibochage que le contexte préélectoral explique amplement.
Des retrouvailles lourdes de risques, de l’avis de l’enseignant-chercheur à l’Ugb de Saint. Louis, Moussa Diaw. ‘‘Je doute que les Sénégalais soient disposés à voter massivement pour cette doublette. Ils n’ont pas oublié la manière dont le pays a été géré sous leur régime ainsi que leur comportement politique de l’époque. Le Pds doit ratisser large avec une grande consultation de tous les autres partis’’, analyse le politologue. Le journaliste-sociologue Pathé Mbodji estime dans la même veine que cette alliance en vue ‘‘va booster le jeu politique, mais ne donnera rien’’ à terme. Loin de la surprise de Djibo Ka qui s’est retrouvé avec un groupe parlementaire après avoir contesté Tanor à la tête du Ps en 1998, M. Mbodji est d’avis que ça relève du placement logique sur un échiquier politique dont l’évolution est en dents de scie. ‘‘C’est normal qu’ils profitent des pics pour se hausser et se faire petit quand la cote est basse’’, poursuit-il.
Le Pds, seul bénéficiaire
Le lourd passif entre les deux hommes rend cette union contre-nature. L’affaire des chantiers de Thiès, les accusations de publications du bulletin médical de Wade par Idy, les tentatives de disqualification de Wade pour un troisième mandat, le refus de Karim d’accepter les condoléances d’Idy à la mort de son épouse Karine... passent par pertes et profits électoralistes.
On est assez édifié sur les tribulations du fils putatif, Idrissa Seck, contre le fils biologique, Karim Wade, à la maison du père, qui se sont terminées par l’éviction du surpuissant Premier ministre, directeur de cabinet du Président, commissaire politique (à la soviétique), et numéro 2 du Pds d’alors. Pas plus tard qu’en mai 2016, le leader du Parti Rewmi pestait contre le coup de fil de Macky Sall à Abdoulaye Wade, juste avant le dialogue du 28 du même mois et la libération de Karim Wade qui s’ensuivit. ‘‘Voilà encore les deux mêmes personnes qui étaient complices et auteurs du grand complot d’État contre moi qui, aujourd’hui, font le même deal sur le dos des Sénégalais’’, dénonçait-il dans le prolongement de persécutions politiques intenté contre lui une décennie plus tôt, en 2005. Mais pour le chercheur en Sciences politiques, ‘‘l’enjeu, c’est de se retrouver. Cela fait partie de son passé politique. La force du politique, c’est cette capacité à encaisser et se projeter dans l’avenir’’, explique Moussa Diaw.
L’analyste estime toutefois que c’est le parti historique de Me Wade qui devrait tirer un bénéfice de ces retrouvailles. ‘‘Ce rapprochement ouvre les perspectives pour le Pds de se redynamiser. C’est de bon augure pour l’avenir de ce parti. Le problème, c’est qu’on va aux Législatives et que le retour d’Idrissa Seck et Karim Wade symbolisant le retour du Pds au pouvoir n’est pas bien préparé. Ils ont été conditionnés par leurs politiques, donc il aurait fallu diversifier, ratisser large pour voir de nouvelles têtes de l’opposition pour en retirer les dividendes et voir beaucoup de députés à l’Assemblée. Ce rapprochement est une bonne chose pour le Pds, qui va consolider sa base et mobiliser ses militants, s’il y a acceptation réciproque de travailler ensemble’’, explique-t-il.
Manœuvre habile
Le contexte d’avant-législatives semble avoir raison des vieilles tribulations rancunières de la série ‘aveuglement contre cécité’ qui a rythmé la vie politique au milieu des années 2000. Déjà dans l’interview en question, le président du Conseil départemental de Thiès regrettait les conséquences d’une manœuvre de sa sortie de prison qu’on avait qualifiée de protocole de Rebeuss. ‘‘Je reconnais que cela m’a coûté énormément auprès de l’opinion’’, avouait-il.
A un trimestre des Législatives de 2017, toutes les conditions sont réunies pour l’habituel triptyque séduction-élection-trahison auquel nous a habitué la classe politique de manière générale, surtout que l’axe Idy-Karim semble se faire au détriment d’une formule qui exclut le maire embastillé de Dakar, Khalifa Sall, de plus en plus pesant sur l’échiquier. ‘‘Le problème des alliances, pour l’opposition comme la majorité, c’est pour des raisons purement électoralistes. Ce qui est un problème puisque les projets sont exclus. Que proposent-ils réellement face aux problèmes des Sénégalais ? C’est une problématique plus importante que les alliances stratégiques conjoncturelles. L’attitude de l’opinion publique dépendra des propositions qu’ils auront à présenter aux électeurs. C’est là où se fera le choix’’, décortique Moussa Diaw.
Un jeu assez hasardeux puisque le transfert de sympathie pour l’édile de la capitale pourrait atteindre des sommets si ces retrouvailles étaient mal accueillies par l’électorat ; alors que la participation (?) de Y’en a marre va certainement rogner de larges parts de popularité aux politiciens. Autant l’adversité pourrait sonner assez légère pour qualifier leurs rapports d’antan, autant la jonction Idy-Karim demande des manœuvres politiques très habiles. L’ancien maire de Thiès a perdu beaucoup de terrain entre la présidentielle de 2007 (deuxième) et celle de 2012 (quatrième). Karim Wade a vu ses ardeurs refroidies dans sa seule tentative de briguer le suffrage des Dakarois lors des Locales de 2009. La seule plage de convergence entre les deux enfants terribles de Me Wade est un passé pénal purgé à Rebeuss. Par, prétendument, le troisième larron (Ndlr : Macky Sall) d’une famille politique décomposée dont personne n’avait jusque-là soupçonné l’ingéniosité.