La participation du mouvement Y’en a marre aux législatives, sous la bannière d’un mouvement dénommé « Ifanan » serait tout simplement une suite logique, après un travail de veille et de contrôle de l’action gouvernementale mené de manière informelle. L’analyste politique Momar Diongue trouve en effet cohérente la démarche du mouvement, dans ce type d’élection, tout comme dans un contexte de «désaffection des populations vis-à-vis des politiques». Il pense, pour autant, que la société civile va aller à ces joutes en rangs dispersés. Qui plus est, selon lui, même Mankoo Wattu Senegaal n’aura pas moins de deux pôles à ces législatives.
Quelle analyse en faites-vous de la décision du Mouvement Y’en a marre d’aller à l’assaut des suffrages aux prochaines législatives?
La première chose qu’il faudrait retenir, c’est qu’une telle initiative permet au Y’en a marre de porter au niveau de la représentation nationale le travail de contrôle de l’action gouvernementale et le travail de veille que le mouvement est en train de faire de manière informelle jusque-là. Ensuite, la deuxième chose est que cette participation peut ne pas surprendre, vu le type d’élection. Parce qu’il s’agit d’élections législatives qui consistent à envoyer des députés au niveau de l’Assemblée nationale. Ce qui sera, un peu, un prolongement du travail d’éveil de conscience citoyenne. Donc, c’est tout à fait naturel, de la part d’un mouvement comme celui-là, de vouloir se faire représenter à l’Assemblée nationale. La troisième chose, c’est qu’il faut reconnaitre qu’il y a une désaffection des populations vis-à-vis des politiques. Les populations se détournent de plus en plus des partis politiques traditionnels. Parce que les députés qui ont été envoyés jusque-là à l’Assemblée ont davantage représenté les intérêts d’un parti politique, le parti qui les a investis, ou du président de la République, plutôt que les populations locales au nom desquelles ils ont reçu un mandat. Dans ce contexte là, un mouvement comme celui de Y’en a marre, peut bénéficier de la confiance d’une bonne frange de l’opinion. En se disant qu’on peut rompre avec la tradition qui consiste à envoyer des politiciens professionnels à l’Assemblée, on va envoyer maintenant des personnalités de la société civile qui peuvent peut-être mieux nous représenter. Je crois que, cette décision du mouvement Y’en a marre obéit à cette analyse de la situation de dégoût des populations vis-à-vis des politiques traditionnelles.
La démarche de Y’en a marre peut être taxée d’originale dans le champ politique et/ou citoyen ?
Il ne faut pas perdre de vue qu’il y a eu auparavant des mouvements citoyens qui ont été au niveau d’élections, comme les locales. Mais, il y avait eu une grosse désillusion à la suite de cette participation. Le mouvement Y’en a marre pourrait également être victime de cette situation. La preuve, Y’en a marre était partie prenante de la coalition “Gor Ca Wax Ja“, lors du référendum du 20 mars 2016. Cela n’avait pas impacté sur le Non alors que le mouvement avait battu activement campagne pour faire triompher le Non. Parce qu’en réalité au Sénégal, nous avons des populations dont l’acte de vote, jusque-là, est plutôt motivé par un certain attachement à un appareil politique, par une tradition de vote et par le fait que les Sénégalais, jusqu’à présent, n’ont pas encore fait cette prise de conscience qui consiste à envoyer des indépendants pour ce qui est de la démocratie représentative. Il y a des indépendants qui ont pris part à des élections présidentielles, mais cela s’était concrétisé par de grosses désillusions. Il y en a qui ont pris part à des Locales, comme en juin 2014, c’était là aussi la désillusion. Et, il n’est pas exclu que les sénégalais soient encore très réticents à envoyer des indépendants ou des personnalités de la société civile à l’Assemblée nationale.
Est-ce qu’en ce moment, Y’en a marre ne donne pas raison à ses pourfendeurs qui soutiennent mordicus que ses responsables ont des ambitions politiques ?
Non, je ne le crois pas, parce que ça dépend du type d’élection. On a entendu des députés dire que cette 12ième législature est la plus nulle que le Sénégal ait connue. A partir du moment où des députés membres de cette législature, y compris ceux qui appartiennent à la majorité, décrient la piètre qualité de cette assemblée, je crois qu’une suite logique dans le travail de Y’en a marre, après avoir joué jusque-là le travail de veille, est de pouvoir accéder au niveau de la représentation nationale. Si c’était un autre type d’élection, comme les présidentielles, on allait comprendre. Mais, il va de soi qu’un mouvement qui a toujours participé à surveiller l’action du gouvernement, veuille maintenant formaliser ce rôle de contrôle et de veille au niveau de l’Assemblée nationale. Je trouve que c’est cohérent dans la démarche.
En ce moment, quel doit être le message à servir aux populations pour qu’elles puissent accepter la démarche, et par conséquent éviter que l’image du mouvement Y’en a marre soit ternie ?
Je crois que le message sera très facile à formuler. Il sera le suivant : «en tant que mouvement de la société civile, nous avons toujours essayé de défendre au mieux les intérêts des populations, d’alerter le gouvernement sur ce qui ne marche pas et de contrôler l’action du gouvernement. Mais, on l’a fait jusqu’ici en dehors des institutions. Tant est si bien que ça n’a pas impacté l’action du gouvernement. Maintenant, pour que ça puisse tirer à conséquence et impacter l’action du gouvernement, afin que nous soyons beaucoup plus efficaces, faites nous confiance parce que nous serons vos dignes représentants au niveau de l’Assemblée nationale. Et là, de façon officielle, on portera la voie du peuple et on la défendra». Là, c’est aux populations d’être cohérentes avec elles-mêmes. Parce que les Sénégalais ne peuvent pas passer tout leur temps à décrier les professionnels de la politique et au moment où un mouvement comme Y’en a marre leur donne l’occasion, pour une fois, d’aller vers une Assemblée nationale de rupture, qu’ils ne leur fassent pas confiance. A partir de ce moment, le mouvement Y’en a marre mettra les populations devant leurs responsabilités. Mais, je crois qu’il n’y aura pas de difficultés à asseoir un discours cohérent, assez convaincant, qui battra en brèche l’argument de ceux qui pensent que les membres du mouvement Y’en a marre étaient des politiciens encagoulés. Parce que c’est lié au type d’élection et au contexte auquel on vit.
Est-ce qu’on peut parler en ce moment de troisième force pour ces législatives prochaines, notamment avec la coalition Bennoo Bokk Yaakaar et celle de Mankoo Wattu Senegaal en gestation ?
Cela dépend. Parce que les partis politiques peuvent y aller en ordre dispersé. Il n’est pas évident que Mankoo ait une liste unique en direction de ces législatives, vu la difficulté des investitures au sein même des partis politiques, à fortiori au sein d’une large coalition. Moi, je ne vois pas Mankoo Wattu Senegaal aller à ces élections avec une liste unique. Il est évident qu’il y aura un ou deux pôles, ou même trois, qui seraient issus de Mankoo. De la même manière, on risque d’assister à une société civile qui ira à ces élections en ordre dispersé. Qui nous dit que Jubanti Sénégal, par exemple, ou la coalition Avenir Sénégal Bunu Beug, en tant que société civile, vont se ranger derrière Y’en a marre ? Il y a d’autres personnes qui réclament leur appartenance à la société civile, comme Y’en a marre, et qui n’iront pas à ces élections avec lui. Là aussi, on peut avoir un éclatement des forces de la société civile et des indépendants. Or, pour que Y’en a marre puisse impacter sur ces élections législatives, je pense qu’il faudrait une large coalition de personnalités indépendantes et de la société civile. En ce moment, ils vont faciliter le choix des électeurs. Mais, s’ils y vont en ordre dispersé, il n’est pas évident que ça puisse contrebalancer le poids des partis politiques et des coalitions de partis politiques. Il va falloir, à ce niveau également, que les gens y aillent avec beaucoup de bon sens. Ça ne sert à rien de faire des échappées solitaires. Ça ne participera pas à clarifier l’acte de vote des populations. Ça laissera intactes les chances des partis politiques traditionnels de pouvoir à l’arrivée l’emporter.