Les invectives et autres attaques que servent les proches du chef de l’Etat au Mouvement Y’en a marre, après leur rassemblement du vendredi 7 avril dernier, ne sont que la preuve du désarroi et de la psychose qui habitent le camp présidentiel, suite à la «pédagogie de la cohabitation politique», que tente de construire l’opposition Mankoo Wattu Senegaal. C’est du moins la conviction du journaliste analyste politique, Momar Seyni Ndiaye, qui reste convaincu que cette stratégie des membres de l’Alliance pour la République (Apr), semble rapprocher «la société civile en dormance et une opposition émiettée». Il a, par ailleurs, invité les responsables de l’Apr à décortiquer ce message des Sénégalais.
Beaucoup de responsables de l’Apr se sont attaqués au mouvement Y’en a marre, après son rassemblement à la Place de la Nation. Comment analysez-vous une telle attitude des proches du président Macky Sall ?
Les attaques menées par des responsables de l’Apr à l’encontre des membres de Y’en a marre relèvent tout simplement de la réaction épidermique, signe d’une frilosité certaine. Ce mauvais réflexe est d’autant plus incompréhensible que l’interdiction de cette manifestation pacifique et protestataire aurait eu des conséquences fâcheuses sur l’image externe de notre démocratie marquée par une succession de dysfonctionnements, synonymes de restrictions de libertés et limites dans la séparation des pouvoirs, notamment entre l’exécutif et le judiciaire. Il est à ce niveau symbolique que des juges et l’Union des Magistrats du Sénégal aient manifesté leur ressentiment à l’égard de ce qu’ils considèrent comme une immixtion du pouvoir politique dans les affaires de la justice. La libre conscience des juges, fondement d’une justice universelle et impersonnelle, est incompatible avec la prévalence des consignes politiques. Fort heureusement, la manifestation a eu lieu sans bavures, sans débordement.
Et l’intervention, semble-t-il, du Président Sall pour retenir ses partisans tentés par une désastreuse contre-manifestation est salutaire. Faut-il rappeler que nous sommes dans un régime de déclaration préalable pour toute manifestation politique. Il y a certes des conditions limitatives, en cas de risques de troubles ou de danger. Cependant, aucune autorité administrative ne devrait se réfugier derrières les conditions limitatives, pour instaurer un régime d’interdiction. La tenue de cette manifestation redore le blason de notre démocratie. Elle fournit la preuve que les cassandres et autres va-t-en guerre, qui ont souvent le verbe acide et haut, la bave aux lèvres, sont dangereux pour notre démocratie. Il est heureux que le Président Sall ne les ait pas suivis dans cette escalade.
Quelles peuvent être les conséquences de la ligne de défense, notamment celle des invectives choisie par le camp au pouvoir, pour discréditer la bande à la bande à Y’en a marre?
Il est difficile de comprendre les foucades de certains membres de l’Apr, dont certains du reste étaient des acharnés pourfendeurs du Président Sall, lors de sa traversée du désert. On a souvent l’impression que ces faucons cherchent à attiser les tensions pour mieux cacher leurs forfaits d’hier. Sinon comment comprendre cette volée insensée de bois vert, alors que la majorité, forte de ses 300 composantes, a remporté toutes les élections depuis 2012 ? En quoi une manifestation, même géante de la société civile, pourrait-elle à ce point les ébranler pour susciter une telle débauche d’invectives ? Le mouvement Y’en a marre avait été sérieusement affecté par les accusations de corruption suite à l’affaire Lamine Diack. Il s’était même entiché dans une posture de mutisme permanent, son image passablement en berne, malgré son label international valorisant, qui en fait à tort ou à raison, une icône de la lutte pour les droits humains, menée par des jeunes de la génération consciente.
L’adversité irraisonnée suscitée par l’annonce et la tenue de leur rassemblement leur a redonné de l’entrain. Elle a eu pour autre effet de rapprocher la société civile en dormance et une opposition émiettée. C’est la preuve que ces éléments de l’Apr sont dans le désarroi et restent l’habités par la psychose d’une pédagogie de la cohabitation politique que les opposants, en quête de leader fédérateur, veulent construire, avec toutes les difficultés qu’on peut imaginer.
Face aux inquiétudes formulées par les manifestants à la Place de la Nation, quelle devrait être la stratégie à adopter pour les partisans du chef de l’Etat ?
Plus ces responsables de l’Apr s’en prennent à Y’en a marre, plus ils accréditent l’idée que le bilan présenté par le Président Sall et Bennoo Bokk Yaakaar ne peut suffire à alimenter leurs thèmes de campagne en vue des législatives. Ils pourraient ainsi en arriver à rater de jeter un regard critique sur le mode de gouvernance démocratique, sociale et économique en cours depuis ces cinq dernières années. Se focaliser violemment sur Y’en a marre est certes plus commode que de tirer le bilan des ruptures promises aux Sénégalais et de se pencher sur les querelles byzantines qui minent l’Apr.
En 2012, le Sénégal a pris un tournant démocratique irréversible. Le tournant économique prend forme, mais le contexte politique et démocratique est en retrait par rapport aux espoirs d’émergence. Des mesures restrictives des libertés démocratiques, alors qu’on les attendait plus incitatives de notre écosystème politique, risquent d’obérer cette envolée vers l’émergence. Il est impérieux que les responsables de l’Apr comprennent enfin ce profond ressentiment des Sénégalais contre ces dysfonctionnements démocratiques récurrents. L’adversité en politique fait partie du décor démocratique. Mais, l’acharnement politique est corrosif et facteur d’instabilité sociale et d’enlisement économique. En contrariant l’expression libre et démocratique, on crée «l’art» ruineux de la violence politique et sociale.