Après la manifestation réussie du mouvement Y en a marre, le pouvoir et ses alliés de Benno Bokk Yaakaar sont montés au créneau pour minimiser la portée d’un tel rassemblement. Mais selon l’ancien directeur de l’Anej, le plus important, c’est de rassurer les Sénégalais qui ont répondu à l’appel de Fadel Barro et Cie. Aussi, dans cet entretien, Abdou Khafor Touré qui a rejoint l’Alliance pour la République, aborde-t-il les enjeux des futures Législatives.
Lors de son rassemblement organisé vendredi dernier, Y en a marre dénonce un recul démocratique, une restriction des libertés individuelles et une mauvaise gestion du pays. Qu’en pensez-vous ?
Le projet politique qui est là est bon et la perspective qui est dessinée pour les Sénégalais est heureuse. Sur ça, il n’y a pas lieu de débattre. Aujourd’hui, on essaye de créer des crises politiques artificielles. Il n’y a pas de crise politique dans notre pays. Le discours tourne autour des questions électorales. C’est un discours politicien et on essaye d’enfermer le pouvoir dans cela parce que l’opposition n’est pas en mesure d’articuler un projet politique alternatif. C’est cela le problème fondamental. Il n’y a pas de problème de liberté au Sénégal. Les Sénégalais circulent et parlent librement. Le Sénégal est un pays de démocratie et de liberté. Maintenant, on ne peut pas demander une impunité ou une immunité pour les hommes politiques pour des faits de corruption et de détournement. Ce n’est pas cela la liberté.
Les emprisonnements d’hommes politiques deviennent récurrents sous Macky Sall. Les derniers cas en date sont ceux de Bamba Fall et Khalifa Sall tous les deux maires et opposants au régime…
(Il coupe) Vous savez, le Sénégal est un Etat de droit. Pour la plupart des cas que vous évoquez, il s’agit de questions encore pendantes devant la justice. Je n’irai pas loin dans les commentaires. Mais revenons-en aux faits pour lesquels ils sont poursuivis. Pour le maire de Dakar, il lui est reproché de faux et usage de faux, d’escroquerie et de détournement de deniers publics. Je me pose la question de savoir si les soutiens de Khalifa Sall et de ses co-accusés se rendent compte de la gravité de ces faits dans la nomenclature de la comptabilité publique. C’est du faux et usage de faux. Je pense que les faits sont constants et le maire de Dakar lui-même ne les nie pas. Maintenant, si on doit voter une loi pour l’impunité ou l’immunité des acteurs politiques par rapport aux faits de détournement de deniers publics, il faut le dire. Moi, de manière simple, je me limite aux faits. Personne ne nie dans ce dossier qu’il n’y a pas de faits de faux et usage de faux. Ce sont des faits extrêmement graves qui sont punis par la loi.
Mais nombreux sont les Sénégalais qui voient derrière cette affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar une tentative de liquidation politique. Qu’en est-il réellement ?
Il ne peut pas y avoir de relent politique dans cette affaire d’autant plus que, comme je l’ai dit tantôt, les faits sont constants sur l’escroquerie, sur le faux et usage de faux. Il faut dire les choses telles quelles. J’ai été surpris par la légèreté avec laquelle le maire de Dakar a géré les ressources de la ville de Dakar pour une personne qui a des ambitions comme les siennes. Quand on a des ambitions politiques, on doit être extrêmement rigoureux. En matière de gestion publique, quand vous êtes léger, ça vous rattrape tôt ou tard.
Y en a marre a réussi une grande mobilisation à la place de l’Obélisque. Est-ce que cela n’est pas un signal fort pour le régime ?
Je fais partie de ceux qui pensent qu’il ne faut négliger aucun phénomène politique. Je ne suis pas dans les querelles de chiffres parce que c’est inutile. Il y a un fait politique qui est là : sur les motivations du mouvement, il est évident que celles-ci sont politiciennes. Mais moi, je ne vais pas perdre mon temps sur ce mouvement parce que ses leaders n’ont pas le courage d’affirmer et d’assumer qu’ils font de la politique alors que tout le monde sait qu’ils ont des postures politiciennes. Je ne réponds pas à Y en a marre. J’essaie de répondre au discours politique qui a été tenu par des acteurs politiques. Je pense que nous devons tous nous interroger sur les motivations des Sénégalais qui se sont déplacés pour aller écouter le message qui était porté là-bas. C’est cela qui est important. Le pouvoir doit fondamentalement écouter le peuple et écouter ce message. Parce que les Sénégalais qui se sont déplacés là-bas sont des citoyens inquiets, qui ne sont pas peut être rassurés, qui ne comprennent pas la justesse et la portée de l’action politique qui est aujourd’hui mise en œuvre. Donc il faut prêter attention à ces Sénégalais.
Est-ce à dire que le camp présidentiel doit revoir sa communication et rediriger son action par rapport à la gestion du pays ?
Je considère qu’avec le projet que nous développons, nous sommes dans le timing, dans le bon tempo et le cap est bon. Maintenant, est-ce que le portage de ce qui est en train d’être fait se fait comme il se doit ? Je ne le pense pas. Je pense qu’il y a des problèmes à ce niveau et il y a des correctifs à apporter dans l’explicitation de ce qui est en train d’être fait. Ce n’est pas tellement bien compris de ces Sénégalais. Le président avec qui je discute est un homme lucide qui comprend les enjeux et qui est à l’écoute de son peuple. C’est pourquoi, lors de son discours du 3 avril dernier, il a encore tendu sa main à l’ensemble des segments de notre pays.
C’est dans ce sens d’ailleurs que je soutiens son action parce que je considère que c’est un patriote, c’est quelqu’un qui veut faire avancer son pays. Maintenant comme dans toute œuvre humaine, il peut y avoir des limites dans son action. Nous devons tous l’aider à corriger ces limites dans son action. Nous devons rassurer davantage les Sénégalais qui se sont déplacés à la place de l’Obélisque. Nous devons montrer à ces personnes qu’il y a une espérance avec Macky Sall, qu’ils peuvent avoir un lendemain meilleur par rapport au projet politique et ne pas suivre ces marchands d’illusion. Ce qui est le plus important, ce n’est pas la mobilisation des foules. En démocratie, le meilleur baromètre, ce sont les élections. Il ne faut pas se laisser divertir par Y en a marre. Il faut continuer le travail politique qui était en train d’être fait notamment dans les inscriptions sur les listes électorales. Il faut arriver à convaincre le maximum de Sénégalais pour qu’à l’issue des élections législatives du 30 juillet, nous ayons une écrasante majorité à l’Assemblée nationale.
Comment préparez-vous ces joutes électorales ?
Les élections à venir sont extrêmement importantes. Ce sont des joutes qu’il faut prendre très au sérieux. Les enjeux sont importants parce que c’est un enjeu de régime. Il s’agit de renouveler la majorité et l’objectif n’est pas simplement de gagner. Mais de le faire avec la majorité absolue des suffrages exprimés. L’enjeu, c’est d’arriver à avoir au minimum 55%. Parce que c’est ce qui permettra d’aborder l’élection présidentielle de 2019 avec sérénité, de mettre le pays au travail pendant au moins 5 ans. Il faut qu’on arrive à sortir du cycle des élections et à mettre le pays au travail. Je fais confiance à la rationalité des électeurs sénégalais et je pense que le Président Sall aura la majorité.
Pensez-vous que l’opposition soit en mesure d’imposer à Macky Sall une cohabitation à l’Assemblée nationale ?
Pour moi, la cohabitation est une illusion, une vue de l’esprit. Nous sommes dans un régime que certains disent présidentiel et d’autres semi-présidentiel. La politique de la nation est définie par le chef de l’Etat. Une cohabitation n’est pas possible aujourd’hui au Sénégal. Les Sénégalais tiennent à la stabilité de leur pays. Les gens qui agitent cela ne sont pas à prendre au sérieux.
Selon vous, est-ce que l’opposition est capable de trouver des consensus pour arriver à présenter des listes communes ?
Si l’opposition parle aujourd’hui de liste unique, c’est parce qu’ils ont un point de consensus sur leur faiblesse structurelle et leur incapacité à articuler un projet politique. Je ne vois pas des gens, qui n’ont aucun lien doctrinal, historique ou idéologique, se mettre ensemble pour constituer une coalition. Je ne vois pas l’intérêt du Sénégal dans cela.
Que pensez-vous du choix de l’ancien président de la République comme tête de liste nationale de l’opposition ?
Très sincèrement, le Président Abdoulaye Wade est un homme politique d’envergure qui a fait énormément de choses pour le Sénégal et qui aujourd’hui mérite la retraite. Il faut que les gens qui invoquent Wade, qui veulent encore l’utiliser, lui permettent de se reposer. Il a fait ce qu’il devait faire. Il a secrété pas mal d’hommes politiques valeureux qui peuvent aujourd’hui perpétuer son œuvre et mener le combat politique. Maintenant, on ne peut rien si des adultes de 60-65 ans qui s’approchent de la retraite ne veulent pas sortir du jardin d’enfant. Macky Sall a 55 ans, partant de ce fait, les gens de sa génération doivent avoir le courage, s’ils ont les moyens de leurs prétentions, de constituer des listes et de lui faire face. Mais ils ne doivent pas se réfugier derrière le Président Wade qui n’a plus sa place dans l’espace politique sénégalais.
Avec toutes ces tractations en cours, ne pensez-vous pas que l’on s’achemine vers une recomposition politique à l’issue de ces prochaines Législatives ?
La recomposition politique est en cours. Elle est même irréversible. Car il faut des changements radicaux et une lisibilité du jeu politique. On ne peut plus être dans des alliances que rien ne justifie, ni le parcours historique ni l’idéologie. Aujourd’hui, on ne comprend plus rien dans les coalitions qui se nouent. Ce sont des frustrés, des gens qui ont une revanche ou qui ne supportent pas d’avoir été dépassés dans leur parcours par le Président Macky Sall qui pensent qu’aujourd’hui, tous les moyens sont bons pour le faire tomber. Ce n’est pas comme cela qu’on fait de la politique. Un projet politique se construit au quotidien. Il faut que le Président resserre sa majorité et que sa coalition s’ouvre aux Sénégalais qui veulent l’accompagner en faisant cap exclusivement sur les intérêts des populations. Il faut aujourd’hui une sérénité dans l’abordage des questions du côté du pouvoir. La préoccupation, ce n’est pas l’opposition, ce n’est pas la neutralisation. Nous avons aujourd’hui une opposition faible, qui ne porte pas une alternative.
Il faut parler aux Sénégalais. Il faut qu’ils se rendent compte que ce qu’on leur propose est meilleur. Il faut que les Sénégalais qui ne comprennent pas soient mieux sensibilisés. Il faut centrer notre action au quotidien sur la mobilisation des Sénégalais. Mais pour réussir un tel challenge, les responsables de l’Alliance pour la République (APR) doivent comprendre et rester à la hauteur des enjeux en aidant davantage le Président dans ses options politiques d'ouverture et d'élargissement de la base sociologique avec laquelle il est arrivé au pouvoir. A ce titre, les énergies doivent être concentrées sur la massification et l'inscription massive des militants sur les listes électorales en lieu et place des multiples querelles de place et de préséance parfois infantiles et souvent teintées de violences. La compétition est normale en politique mais elle doit être saine, basée sur l’argumentaire et non sur les biceps.