La puissance de Farba Ngom dans le Fouta, le parti présidentiel et même au sein de la République est telle qu’il est considéré aujourd’hui comme un intouchable. Mais ce communicateur traditionnel attitré du président Macky Sall est un homme controversé.
Au sein de l’opinion publique, son nom est plus que jamais lié à l’extravagance, l’excès et la démesure. Il suffit de taper le nom de Farba Ngom sur internet pour se demander si le monsieur a quelque chose de positif. Presque tous les titres qui s’affichent rappellent les mauvais coups dans lesquels il est impliqué. Un jour, il est opposé aux politiques, le lendemain, c’est contre les religieux, le surlendemain, il se frotte avec le pouvoir déconcentré.
C’est à se demander si les bravades et autres méconduites ne sont pas les talismans de l’enfant du Fouta. La dernière en date s’est produite avant-hier, selon le journal Les Echos. Il a refusé d’immobiliser son véhicule sur le bas côté pour laisser la voie libre au cortège présidentiel. Il s’en prend ensuite au policier qui était venu parler à son chauffeur, avant d’insulter copieusement les témoins qui filmaient la scène. Inconnu des Sénégalais jusqu’en 2012, ce halpular au teint noir est devenu en quelques années un cheveu de trop dans la soupe de la République.
Dans la tradition orale africaine, le communicateur traditionnel est un fidèle compagnon aux conseils avisés. Rien qu’à lire l’Epopée mandingue de Djibril Tamsir Niane, on mesure toute l’importance de Balla Fasséké dans l’accomplissement du roi Soundjata. On ne volera pas à Farba Ngom, le communicateur traditionnel de Macky Sall, les qualités qu’il partage avec son semblable du royaume du Mali : fidélité, engagement, dévouement à un homme, un seul. On peut l’aimer ou pas, on lui reconnaîtra quand même le rôle qu’il a joué (au Fouta) dans la marche de son mentor vers le Palais présidentiel. L’homme s’est engagé très tôt à ses côtés ; il a pris position de façon très nette en faveur de l’ancien Premier ministre, lorsqu’il était dans le viseur d’Abdoulaye Wade et de ses inconditionnels.
Et il n’a pas manqué de le payer très cher. L’une des premières factures qu’il a réglées a été son renvoi de la RTS. A l’époque, il animait une émission hebdomadaire en pulaar dénommée ‘’Alamari’’. A la fin de celle-ci, il a remercié le président de l’Assemblée nationale qui n’était personne d’autre que l’actuel chef de l’Etat et de l’APR. La sentence fut prononcée sans appel. ‘’Quand l’émission a été diffusée, le lendemain, on m’a dit : Farba Ngom, plie tes bagages, tu n’as plus de place ici’’, raconte-t-il, tout en sourire, dans une interview.
Quand Macky Sall est définitivement tombé en disgrâce, il lui est resté fidèle. Et dans ce compagnonnage, Farba n’a pas accepté de dire à Macky : ‘’je suis la parole et toi l’action’’. Au contraire, il s’est investi sur le terrain, en créant même un mouvement de soutien pour lui. Il ne serait même pas exagéré de dire que c’est lui qui a implanté l’Alliance pour la République à Matam, avec Harona Dia. Il en recevra les contrecoups, puisqu’il a failli se faire arrêter par les gendarmes le jour de sa première conférence de presse, n’eût été l’intervention des populations.
Mackiste et pas militant de l’APR
Ce polygame (deux femmes dont l’une est la fille d’El Hadji Mansour Mbaye) sera ensuite surveillé, épié par les oreilles de la République. Partout où il a voulu organiser une manifestation politique, il a reçu une interdiction de l’autorité administrative. Il a été finalement contraint de se limiter à des consultations à domicile. C’est d’ailleurs ce statut de militant de première heure qu’il porte en bandoulière. Il ne rate jamais une occasion pour rappeler à ses détracteurs qu’il fait partie des premiers occupants du village. Un statut qui lui confère apparemment pas mal de privilèges. Élu député en 2013, il devient maire de Agnam en 2014.
Si en Afrique, un souverain peut compter sur les conseils sages du dépositaire de la tradition, Macky Sall lui, commettrait une grave erreur en se fiant aux avis du sien. Car celui-ci n’a rien de la sagesse des anciens maîtres de la parole. Même s’il fait un acte de bienfaisance, son geste risque d’être édulcoré par sa manière de dire les choses. Accusé d’avoir acheté une maison à Dakar à 700 millions cash, il dément et se défend en ces termes : ‘’Je n’ai jamais pris dix centimes de l’Etat. Je n’ai jamais touché à mon salaire de député qui va directement aux populations d’Agnam Civol. Il en est de même de mon salaire de maire ; ce sont les imams et chefs religieux qui se le partagent’’. Excellente leçon de discrétion !
A l’instar de l’autre Farba (Senghor) qui se disait plus wadiste que militant du Parti démocratique sénégalais (dont il est désormais exclu), lui aussi se réclame mackyste. Il ne se considère même pas comme un acteur politique. Son parti à lui s’appelle Macky Sall et le jour où ce dernier quittera la politique, il a promis qu’à son tour, il s’en lavera les mains. ‘’Je ne suis pas membre de l’APR. Je n’ai pas de carte de membre. Je suis mackyste’’, revendique-t-il.
‘’Un pasteur qui veille sur un troupeau de bœufs’’
Il faut dire que ce statut lui convient bien, pour le moment. En effet, Farba est à la fois influent dans le parti comme dans sa localité, le Fouta. Ce n’est pas pour rien que dans une interview avec Le Quotidien, il se définit ‘’comme un pasteur qui veille sur un troupeau de bœufs (sic)’’, lequel appartenant à son mentor.
On comprend alors la difficulté qu’il a pour s’entendre avec les responsables du parti. Farba Ngom est considéré comme la source de tous les maux de l’APR dans la partie nord du pays. Sa main est supposée ou réelle dans tous les conflits. L’homme est contesté de toute part, mais il reste solide dans sa position.
Cependant, avec Farba Ngom, le problème n’est pas que politique. Si ses faits d’armes s’arrêtaient dans la formation présidentielle, on aurait conclu que c’est l’effet de l’adversité. Mais ses frasques vont au-delà. En mars 2016, il a provoqué le courroux des religieux de Thilogne, lors de la distribution du riz octroyé à la localité par le Président Sall. Ces derniers lui avaient rendu son ‘’cadeau’’ pour, disent-ils, protester contre la manière, pendant que d’autres sources parlaient de décision motivée par la quantité jugée modique.
Forte corpulence, le front dégarni, ce vieux-jeune né le 5 mars 1971 à Nguidjilogne est tellement sûr de sa force qu’il a refusé, pendant longtemps, de répondre au procureur Diakhoumpa qui avait ouvert une enquête, suite à des violences politiques à Matam. Son attitude avait poussé le maître des poursuites à sortir de sa réserve. ‘’Je n’arrête pas l’enquête et je compte aller jusqu’au bout’’, disait-il à l’Agence de presse sénégalaise, tout en promettant de démissionner, si jamais les pressions le gênaient davantage dans son travail. Même le ministre de la Justice s’était senti obligé de recadrer Farba, rappelant que nul n’est au-dessus de la loi. Mais l’homme n’a répondu que quand il l’a jugé opportun.
Tout dernièrement, il a été prêté à Farba Ngom des propos désobligeants à l’encontre du préfet de Kanel. Les administrateurs civils réclament une sanction et un soutien officiel du ministre de l’Intérieur à son agent. Ils ne les ont pas eus. À la place, c’est Farba Ngom qui étale toute sa puissance. Il a réussi à faire signer à 11 responsables du parti (maires, conseillers du Président, DG, etc.) un communiqué destiné à rétablir la vérité.
‘’Si j’avais le pouvoir de nommer, je commencerais par ma famille’’
Lorsque le Président Macky Sall a émis l’idée de réduire son mandat de 7 à 5 ans, Farba l’a défié publiquement, en promettant de battre campagne pour le ‘’NON’’. En fait, au-delà d’être membre fondateur, il a profité du temps où Macky Sall et Harona Dia ont été en brouille pour asseoir son autorité, au point d’être comparé à un vice-président. Il a promu beaucoup de cadres de la localité durant cette période. Abdoulaye Hanne, le président du Conseil départemental de Kanel, qui lui trouve toutes les qualités des anges, ne dit pas autre chose. ‘’A Matam, il est l’homme de la situation. C’est lui qui règle tous les problèmes. On ne sait pas combien de jeunes il a enrôlé dans l’administration et les entreprises’’, dixit ce monsieur au bout du fil. Selon lui, aucun village du Bosséa ne manque d’eau et d’électricité, et cela grâce au fils d’Agnam qui pèse de tout son poids dans les décisions. Une version que corrobore l’interpellation qu’il a faite tout dernièrement au directeur de l’ANPJ pour lui demander pourquoi les jeunes de Matam n’ont pas de financement.
Tout cela sans compter les propos qu’on lui prête et selon lesquels c’est lui qui a fait nommer Yaya Abdoul Kane au poste de ministre. Farba tentera de démentir. Et dans son argument de défense, il commet une autre maladresse qui en dit long sur sa personnalité. ‘’Si j’avais le pouvoir de nommer, je commencerais par ma famille, dit-il. J’ai des frères diplômés, des ingénieurs’’.
Visage rond au milieu duquel trône un nez épaté, le géant aux joues rebondies est considéré aujourd’hui comme un intouchable. Et pourtant, entre Macky et son communicateur traditionnel, ce n’est pas aussi ancien qu’on le pense. Farba Ngom lui-même a révélé avoir connu son maître ‘’par hasard’’, sur le champ politique, lorsque tous les deux étaient au PDS.
Globe-trotter
Un engagement politique né d’une conviction selon laquelle ‘’il ne fallait pas dépendre des gens toute la vie’’. Ce n’est pas pour autant qu’il a renié l’héritage de ses aïeuls. Au contraire, pendant plusieurs années, il a gagné son pain à la sueur de son travail. Il s’est même donné le temps de se perfectionner pour mieux vivre de son art. ‘’J’ai mis beaucoup de temps pour apprendre mon métier de communicateur traditionnel. Je me rendais dans les villages les plus reculés pour des recherches sur l’histoire des familles foutankés’’, se souvient-il dans ses interviews. Une fois la formation achevée, comme beaucoup de jeunes de sa génération, Farba a cédé à la tentation de l’immigration. Il était même fermement convaincu que sa fortune était cachée quelque part, hors des frontières. A la place des grands livres, il opte pour le grand livre du monde à partir de 1990. Gabon, Côte d’Ivoire, Cameroun, Guinée Equatoriale, etc. son principal activité : communicateur traditionnel.
‘’J’ai payé ma maison à liberté 6 grâce à l’argent gagné dans la communication traditionnelle. (…) J’ai emmené presque toute ma famille à la Mecque. J’ai aidé d’autres à faire la ziarra à Fès (Maroc, fief de la Tidianya). On m’a offert des maisons à Dakar, des voitures très chères comme une Prado toute neuve’’, confie-t-il.
A côté des revenus que lui assuraient ses cordes vocales, il avait quelques occupations comme la vente de tissus cousus. Il va d’ailleurs progressivement se lancer dans les affaires pour quitter le monde de la flatterie des ego. Car, bien que rémunérateur, le métier n’en était pas aussi facile. ‘’Certains sont très accueillants, mais d’autres, rien qu’en te serrant la main, ils ont un visage sombre’’, regrette-t-il.
En 1994, après la dévaluation du franc Cfa, il retourne au bercail le temps de construire sa première maison, celle d’Agnam, avant de reprendre la route. Cette fois-ci, ce sera au Togo, au Burkina Faso et même en dehors de l’Afrique, aux Etats-Unis où il dit avoir gagné beaucoup d’argent. De retour à nouveau au Sénégal, il fait du courtage et devient petit à petit businessman dans l’immobilier, un domaine dans lequel il évolue depuis près de 20 ans, et dont il se considère d’ailleurs comme un ‘’expert’’.