Tout ce qui brille n’est pas or. Cet adage se vérifie dans les zones aurifères de Kédougou difficiles d’accès avec des routes poussiéreuses. L’utilisation de produits chimiques et une vie dépourvue de tout confort sont le quotidien des habitants de ces lieux. Le destin est beaucoup plus tragique pour ceux là qui, par malchance sont tombés sur une personne malintentionnée qui les conduit à Kédougou. Elles sont nombreuses, ces jeunes filles “vendues” par un trafiquant et qui sont obligées de se prostituer pour recouvrer la liberté perdue. Une visite dans le site d’orpaillage de Khossanto, à 80 Km de Kédougou, organisée par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc),son ambassadrice de bonne volonté Coumba Gawlo Seck, l’Ong World Vision et la cellule nationale de lutte contre la traite des personnes, a permis de se rendre compte de cette face monstrueuse des sites d’orpaillage traditionnels. Certaines filles se prostituent de force dans une insalubrité, un inconfort et une chaleur intenable.
Loin du village, les habitations de certains orpailleurs de khossanto sont d’une grande précarité. Logées dans plusieurs mètres carrés, elles se distinguent par leur décor. Seules quelques palissades enveloppées de sachets en plastique constituent les dortoirs pour ces « filles de joie ». On les appelle les Naffia dans la zone. Le visiteur qui en est pour sa première fois dans un logement d’orpailleurs n’est guère tranquille. Il est dévisagé de la tête au pied par des regards venant de visages hideux. La multiplicité des dialectes renseigne sur la forte présence des étrangers. Tantôt s’exprimant dans un anglais laconique ou dans une autre langue, non comprise au Sénégal, de jeunes hommes aux montagnes de muscles, sans nul doute perturbés par la présence de visiteurs, font d’incessantes va-et-vient. Le lieu n’est pas électrifié. L’eau est achetée à 200 f Cfa la bouteille, les toilettes ne sont faites que de simples palissades pour plus ou moins protéger ce sexe déjà exposé par son commerce.
La défécation se fait à l’air libre. Toute cette situation prés des gargotes et autres bars qui pullulent comme des champignons. C’est en fait un no man’s land où tout est permis. L’or appartient au Diable donc il faut se souiller pour en récolter le maximum. Sexe, drogue, fétichisme et alcool riment donc avec la quête du métal précieux. Le sexe est accessible à toutes les bourses d’où le nom Kémanani (2000 F Cfa en malinké) en référence aux travailleurs du sexe dont la passe minimale est à ce prix. Les filles sont des esclaves sexuelles à la merci des hommes. Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas. Cependant, les filles ont presque toutes le même destin, trompées par des passeurs qui ont fini par faire d’elles, des objets sexuels.
Le seuil d’un long espace servant de bar franchi, le visiteur est ahuri, stupéfait. L’on se croirait en Jamaïque dans les Caraïbes ou dans un pays d’Amérique Latine. Des débits de boissons alcoolisées, énergisantes et gazeuses jonchent le sol. Le bar est d’une chaleur intenable. Pis, comme ci cela ne suffisait pas, de gros gaillards sont presque partout, à chaque recoin, cigarette à la main, rendant la respiration plus difficile qu’elle ne l’est déjà. Le site d’orpaillage traditionnel est un no man’s land où sévit la loi du plus fort. « Les filles de joie » se distinguent facilement. Elles sont là, nombreuses, très nombreuses mêmes. Prés d’une quarantaine sont dénombrée. Le regard perçant, le corps dénaturé par la dépigmentation, des mâchoires qui se déchargent sur un chewing-gum torturé par les dents, elles sont assises serrées les unes contre les autres. Un maquillage débordant, des cils mal rajoutés, une coupe de cheveux singulière et des tresses faites de mèches multicolores, chacune d’elle, « se vend » suivant son style. En dépit de la présence d’invités, certains hommes les toisent, sans nul doute, une invite à une partie de jambes en l’air.
Certaines filles, poussées dans la prostitution, y vivent malgré elles. Elles exercent leur métier pour le compte d’un réseau dont le principal commanditaire est dans les pays voisins du Sénégal. Elles sont craintives, habitées par la peur d’être démasquées, bastonnées ou brulées vives comme ce fut le cas avec l’une d’elles qui a eu l’audace de dénoncer un trafiquant. Elles se morfondent dans silence assourdissant avant de se libérer après plusieurs invites des hôtes du jour. Ce sort peu enviable (brulée vive après avoir dénoncé un trafiquant) est l’histoire de la sœur d’une travailleuse du sexe rencontrée à Khossanto. Hella, puisque c’est d’elle qu’il s’agit cherche à avoir un destin autre que celle de sœur. « J’ai déjà payé 1.500.000 f Cfa à mon patron », raconte-telle.
Le payement de cette somme acquise par la vente de son sexe est synonyme de sa libération. La fille amenée par un passeur dans les sites d’orpaillage ne peut être libre qu’après avoir payé le montant fixé par son « maitre ». Jennifer, 23 ans a arrêté d’avoir le rêve d’une meilleure vie quand capturée, elle atterrit à Kédougou, une destination autre que l’Angleterre promise par son passeur. « Je suis venue ici, il y’a deux ans. J’ai été amenée par un homme qui m’a forcée à coucher avec lui d’abord. Je suis tombée enceinte. Depuis lors, je ne l’ai pas revu. Il m’a abandonné mon enfant et moi. Je me prostitue pour ma survie et celle de mon fils et aussi pour racheter ma liberté », dit-elle.
Destiny quant à elle n’a rien de plus que ses autres collègues à part sa jeunesse. Ses faits et gestes témoignent de son jeune âge. Prise sur le chemin de son école, elle a été amenée dans un hôtel avant d’être vendue par un certain Fever qu’elle n’a jamais revu depuis qu’elle a traversé la frontière sénégalaise. Son souhait le plus cher est de retrouver les siens. « Je veux rentrer. Je n’ai jamais exercé le métier de prostituée auparavant ». Aicha, une fille de confession musulmane en veut à sa personne après chaque relation avec un homme. Par peur de l’enfer promis par son passeur, elle est stoïque et subit les brutalités de son maitre et de ses clients. « J’ai pleuré pendant trois semaines parce que je ne voulais pas faire la prostitution. J’ai dit à celui qui m’a amené ici si je savais que c’est ce genre de travail que je ferais je ne viendrais pas. Je pleure à chaque fois que je couche avec des hommes. Je ne souhaite qu’abandonner ce travail. Ma religion ne l’accepte pas », dit-elle. Par ailleurs certaines filles, plus ou moins réticentes à faire part de leur vie, justifient leur présence dans le site d’orpaillage par l’exercice d’activités commerciales. Des affirmations quasiment incompréhensibles du fait de l’éloignement de leur zone decommerce, des difficiles conditions de vie et de la pauvreté qui y sévit. Cependant, certainesont choisi d’être des objets sexuels pour disent-elles satisfaire leurs besoins familiaux. C’est le cas de Hapiness, une fille handicapée qui exerce son « business » pour dit-elle subvenir à ses besoins. Diplômée en administration publique dans son Nigéria natal, elle a tout abandonné pour vendre son chair à Kédougou. « Je suis venue de mon plein gré pour trouver du travail à Kédougou. Je voulais être coiffeuse, mais n’ayant pas trouvé de travail, je me suis investie dans la prostitution », a-t-elle indiqué.
LE SEXE, TRES PRISE DANS LES SITES D’ORPAILLAGE : Près d’un millier de travailleuses du sexe recensé
«Malheureusement on ne peut pas avoir le nombre de filles de joie dans les sites d’orpaillage. Mais, c’est sûr qu’au moins dans chacun des sites, il ya au moins 10 filles », a déclaré Issa Saka. Il y a 87 sites d’orpaillage dans la région. Le cumul avoisine donc le millier de travailleuse de sexe. Après une journée de quête du métal précieux, nombreux sont les orpailleurs qui se ruent vers ces filles.
Pis, certains orpailleurs après la découverte d’un filon riche en or, loue une fille qui devient du coup sa compagne en tout temps et en tout lieu. La somme de location est colossale. Certains n’hésitent même pas à débloquer 500.000 f Cfa ou plus. Du fait de la rentabilité de cet exercice, les trafiquants n’hésitent pas à chercher des filles et à les contraindre à la prostitution. Selon toujours Issa Saka, coordonnateur de projets, traite des personnes et trafic illicite de migrants au Bureau régional Afrique de l'Ouest et du Centre, certaines filles des sites d’orpaillage sont recrutées. Elles viennent très souvent du Nigéria. Et le point de chute qui leur est promis est l’Europe. Le trajet est un circuit organisé. « Elles transitent par le Benin. Une fois à Cotonou, les personnes qui les ont recrutées rencontrent des femmes venues de Kédougou qui vont négocier leur achat ».Et précise t-il, « la fille vendue ne sait pas encore ce qu’il se passe. Ce n’est qu’une fois dans le site qu’elle découvre la réalité ». Son document de voyage est par la suite confisqué. Et là, le trafiquant lui demande de payer pour racheter sa liberté. Ainsi donc, elles commencent un travail qui n’est rien d’autre que la prostitution et font des versements quotidiens qui sont enregistrés dans des carnets par les gestionnaires. Pis ajoute Issa Saka, il se peut que le trafiquant demande à la fille de payer des intérêts supplémentaires.
DIMENSION MYSTIQUE DE LA TRAITE
Pour le contrôle des filles et les contraindre à la prostitution, les trafiquants ont recours à des pratiques mystiques. Elles sont amenées chez le féticheur et on leur demande de verser du sang ou de couper une partie de leurs cheveux en jurant de ne jamais rien dire. Et en cas de dénonciation, elles seront accablées par le sort. Un autre moyen de pression sur ces filles est, révèle Issa Saka, les trafiquants feront de sorte à les impliquer dans des infractions comme le trafic de drogue ou le défaut de papiers. Ainsi, elles auront peur d’aller à la police.
La venue de ces filles à Kédougou est un crime organisé. Et Selon toujours Issa Saka, il n’est pas toujours facile de détecter les commanditaires. Cependant le réseau le plus visible est nigérian. Il se peut même qu’il y ait de Sénégalais dans le circuit. La présence d’autres étrangers dans le trafic n’est pas aussi exclue. 17 nationalités sont présentes dans les sites d’orpaillage de Kédougou.
ALIOU BAKHOUM CHEF D’ANTENNE DE L’ONG, LA LUMIERE : « 7 victimes ont été rapatriées en 2016 »
Grace à un financement de l’Onudc pour porter le combat de la lutte contre la traite des personnes, l’Ong la lumière, a permis le rapatriement de 7 victimes, annonce son chef d’antenne, Alioune Bakhoum Auparavant, en 2013, 11 filles ont pu retrouver les siens. Et, une victime de la traite est morte d’arrêt cardiaque à cause d’une grossesse rapprochée. Elle est en effet tombée enceinte de nouveau 8 mois seulement après son accouchement. Dans le cadre de la lutte contre la pratique, des trafiquants ont été arrêtés et détenus à la maison d’arrêt de Tambacounda.
WILLIAMS MANEL, GOUVERNEUR DE LA REGION DE KEDOUGOU : « Les filles victimes de la traite ont du mal à se plaindre »
La prostitution est une réalité dans notre région. Qui dit exploitation aurifère dit prolifération de certaines pratiques comme la prostitution et le proxénétisme. L’Etat du Sénégal à travers ses structures au niveau régional fait des efforts dans le cadre de la sensibilisation, mais également de la répression. Le commerce de personnes est inacceptable dans notre pays. Le Sénégal est un Etat de droit dans lequel, les droits des uns et des autres sont respectés. Nous avons beaucoup de structures étatiques comme l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO) qui se chargent des adolescents. Il y a également des structures comme le développement communautaire qui ont eu à encadrer des femmes. La région médicale aussi s’active dans le problème de la carte sanitaire pour les travailleuses de sexe. Mais, l’Etat du Sénégal mise beaucoup sur la sensibilisation. La difficulté demeure dans le caractère diffus de cette pratique, les filles qui sont victimes de cela ont du mal à se plaindre, d’aller vers l’administration, les autorités. La présence étrangère est facilitée par les accords de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao). Avec ces accords un ressortissant membre de la dite communauté peut voyager sans difficultés si la personne présente une pièce d’identité.
COUMBA GAWLO SECK, ARTISTE ET AMBASSADRICE DE BONNE VOLONTE DE L’ONUDC : « J’en veux à nos dirigeants d’avoir fermé les yeux sur des choses aussi atroces »
Je peux me rendre compte combien en Afrique les droits humains sont bafoués particuliemrent ceux des femmes. C’est aberrant qu’il se passe certaines choses tout prés de chez nous sans que rien ne soit fait. J’en appelle vraiment nos autorités à plus de vigilance, à être plus regardant, à être plus proches des populations, à veiller à ce que les droits humains soient respectés. Je me sens mal dans mon âme. J’en veux à nos dirigeants d’avoir fermé les yeux sur des choses aussi atroces. J’en veux à tous ces chefs d’Etat africains qui ne bougent pas le petit doigt alors qu’ils peuvent le faire pour sortir ces filles de la situation dont elles sont. En ce qui me concerne, je m’engage pour le retour de toutes celles qui le souhaitent.
AWA NDOUR, CHARGE DE PROGRAMME A LA CELLULE NATIONALE DE LUTTE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES : « Les filles peuvent bénéficier d’un retour »
Les filles peuvent bénéficier d’un retour si elles suivent le processus normal. On’a eu à le faire dans le passée, je me rappelle en 2014, Il y’a deux jeunes filles de l’Ong la Lumière, qui nous a fait confiance et nous a fait part du vœu de deux jeunes filles victimes de traite et qui souhaitaient retourner au Nigéria. C’est deux filles grâce à l’appui de l’Organisation internationale des migrants (Oim) et de la cellule nationale de lutte contre la traite des personnes ont pu être retournées. Ces filles également peuvent suivre le même processus. Il s’agit simplement d’avoir la liste des participants qu’on implique aussi la cellule qui est la structure de coordination au niveau étatique. Nous allons les mettre en contact avec les organismes compétents pour faciliter le voyage au pays d’origine. Nous avons mis une place un système de collecte de données qui va permettre d’évaluer les tendances de la traite. C’est un système déployé sur internet qui va permettre d’avoir les tendances, l’évolution des victimes tout cela pour permettre aux agents du système judiciaire d’avoir des données fiables.
MOUSSA SISSOKO ADJOINT AU MAIRE DE KHOSSANTO : « Les gens n’ont pas souvent le courage de dénoncer les trafiquants »
La prostitution nous le constatons est une réalité. Il y’a des filles qui font cette activité malgré elles.Elles ont été trompées par des passeurs. La dénonciation pose problème. Nous y réfléchissons au niveau du conseil municipal pour amener les gens à dénoncer la pratique sinon le phénomène va continuer. Mais, les gens n’ont pas souvent le courage de dénonciation.