Le Pds vit un problème de leadership car il s’est toujours identifié à son Secrétaire général, Abdoulaye Wade. Selon le Docteur en Sciences politiques Maurice S. Dione, cela peut expliquer l’attitude de certains militants qui ont du mal à accepter l’autorité de Karim Wade. L’enseignant précise toutefois que l’exclusion de Pape Samba Mboup et Farba Senghor n’a pas une conséquence significative sur le Pds, même s’il reconnaît que cela peut porter atteinte à l’image du parti. Entretien.
Le Pds a exclu Pape Samba Mboup et Farba Senghor, quelles peuvent en être les conséquences ?
L’exclusion de Pape Samba Mboup et Farba Senghor révèlent une rupture essentielle dans la transition que traverse le Parti démocratique sénégalais. En effet, c’est une formation politique qui est profondément liée à la personnalité de Me Abdoulaye Wade qui en est encore le secrétaire général. Or ces deux personnalités ont toujours été des électrons libres qui ne reconnaissent que l’autorité de Me Wade. Il est donc compréhensible qu’ils aient du mal à s’accommoder d’un leadership autre dans le parti.
Mais on remarquera également que les deux personnes exclues sont certes des figures emblématiques du Pds, mais n’ont pas une base et une assise électorales solides. Donc leur exclusion, au-delà de la dimension symbolique, n’a pas pour ainsi dire beaucoup de conséquences politiques. Tout au plus, cela peut porter atteinte à l’image du parti, car ce sont des personnalités qui ont consenti beaucoup de sacrifices au profit du Pds et de Me Wade, et cela peut donner l’impression qu’ils sont victimes d’une injustice, mais cette conséquence est tempérée encore une fois par le fait qu’ils ne contrôlent pas de larges surfaces de représentativité.
Comment expliquer une telle décision ?
Cette décision peut être interprétée comme un signal fort, pour montrer à tous les autres responsables que si on a pu exclure Farba Senghor et Pape Samba Mboup, deux fidèles parmi les fidèles, c’est que personne ne saurait déroger à cette règle. C’est une manière d’amener les dissidents à savoir raison garder, et montrer que c’est encore la volonté de Me Wade qui prime au Pds. C’est aussi une manière de redonner plus d’autorité à la direction actuelle du parti tenue par Omar Sarr, car ceux qui sont exclus pensaient peut-être à juste raison qu’ils étaient des intouchables et qu’ils pouvaient, vu les relations privilégiées qu’ils ont entretenues avec Abdoulaye Wade, critiquer et se démarquer des décisions du parti, en ne reconnaissant que l’autorité de Me Wade. C’est peut-être aussi un moyen pour ce dernier de prouver à la direction confiée à Omar Sarr qu’il n’est pas derrière ces menées subversives, car Pape samba Mboup et Farba Senghor sont ceux-là mêmes qui se sont attaqués constamment et parfois virulemment à tous ceux qui semblaient gagner du pouvoir par leur position au niveau de l’Etat ou du parti, au point d’être en mesure de concurrencer Abdoulaye Wade.
Mais Farba Senghor et Pape Samba Mboup continuent de se réclamer de Wade…
Il y a ici une contradiction intéressante à analyser. Les deux personnes exclues ont fait montre d’un dévouement exceptionnel pour le compte d’Abdoulaye Wade, et donc ont du mal à accepter une autre autorité que la sienne. On comprend donc qu’ils aient pu s’écarter des positions du parti, dès lors qu’ils ont l’impression que ce n’est plus Me Wade qui est aux commandes. Sauf que ce dernier semble prendre progressivement du recul et semble avoir déjà échafaudé le schéma de sa succession en la personne de Karim Wade, candidat du Pds en 2019, qu’il veut propulser à la tête de l’Etat.
Il y a d’autres leaders qui ont initié une dissidence, comme Aïda Mbodji, Habib Sy… pourquoi ont-ils été épargnés ?
C’est peut-être un avertissement qui leur est donné, en attendant l’évolution de la situation politique. Quoi qu’il en soit, Me Wade a une conception très personnalisée du Pds et estime que les militants ont une relation d’allégeance très forte à lui. Donc il ne serait pas étonnant, vu l’idée qu’il se fait de lui-même et le rapport qu’il a avec le parti et avec les militants, que ces responsables soient exclus ou s’excluent d’eux-mêmes, s’ils continuent dans leur lancée. Dans l’esprit de Me Wade, le Pds renaît toujours de ses crises. Mais cela, c’était au temps de sa splendeur. Avec son âge avancé, reste à savoir si la situation n’a pas changé.
Tous les deux ont accusé le fils de Me Wade d’être à l’origine de leurs déboires. Y a-t-il un cas Karim ?
Je ne sais pas s’il y a un cas Karim Wade. Mais il faut se demander si ces personnalités qui étaient très proches de Me Abdoulaye Wade ont cette même relation avec Karim Wade. Ont-elles été suffisamment intégrées dans le nouveau dispositif du PDS ? Si tel n’est pas le cas, il est possible d’expliquer leurs attitudes par de telles frustrations.
Pensez-vous que l’ancien président de la République soit manipulé comme le soutient Farba Senghor ?
Abdoulaye Wade est très politique. Il a su et pu par le passé se défaire de ses plus proches collaborateurs. En tant qu’opposant, il a eu à se séparer de beaucoup de responsables de son parti, en raison de divergences politiques, parmi lesquels on peut citer Fara Ndiaye, Serigne Diop, Ousmane Ngom, Jean-Paul Dias, etc. Quand il est arrivé au pouvoir également, Abdoulaye Wade a connu des conflits ouverts avec ses Premiers ministres et numéros 2 du parti, notamment Idrissa Seck et Macky Sall. Donc lorsque la situation politique l’exige, Me Wade est capable de prendre des décisions politiques surprenantes, fracassantes, très courageuses !
Est-ce que les libéraux sont obligés de se conformer à l’agenda de Wade fils, établi à l’étranger depuis sa libération ?
Tout porte à croire que pour le moment, il faut se conformer à la décision du Pds de faire de Karim Wade son candidat à la présidentielle de 2019 et d’en accepter les incongruités. L’option de Me Wade de voir prospérer l’hypothèse d’une élection de Karim Wade à la tête de l’Etat, porté par le Pds et ses alliés, est constante et semble irréversible. On avait beaucoup parlé de tentatives ou de volonté de dévolution monarchique du pouvoir par Abdoulaye Wade avec toutes les péripéties que l’on sait, mais cette idée ne semble pas avoir quitté le redoutable homme politique.
Aïda Mbodji a effectué récemment sa rentrée politique ; au même moment, d’autres ont choisi de quitter le navire bleu. N’est-ce pas là le début d’une rébellion ?
Je pense qu’il est plus exact de parler du positionnement des ambitieux, dans la mesure où il y a une certaine incertitude qui plane sur la validité juridique et donc la recevabilité de la candidature de Karim Wade pour la présidentielle de 2019. En effet, il a été condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite à 6 ans de prison ferme et à 138 milliards de F CFA d’amende, et malgré toutes les irrégularités, toutes les entorses faites au droit par rapport à un procès juste et équitable, la condamnation revêt l’autorité de la chose jugée ! On est donc en présence d’une véritable contradiction juridique et politique pour le Pds. C’est pourquoi il y a des manœuvres qui sont faites au sein du parti par certaines personnalités d’une certaine envergure pour éventuellement constituer une alternative, en mettant en avant leur représentativité et leurs capacités de mobilisation.
Que gagne le pouvoir dans cette crise ?
Le pouvoir en place peut beaucoup profiter de la division du Parti démocratique sénégalais. En effet, pour les Législatives de 2017, si des responsables de tout premier plan du Pds se présentent sous leur propre bannière, cela va amoindrir les scores du parti de Me Wade. Et atténuer sa présence à l’Assemblée nationale, d’autant plus que le mode de scrutin, majoritaire au niveau départemental, est brutal. Pour la présidentielle de 2019, si le Pds n’arrive pas à dégager un consensus autour de son candidat déclaré, Karim Wade, dont la situation juridique pour briguer les suffrages des Sénégalais est incertaine, il reste encore hypothétique pour ce parti de trouver une personnalité au leadership fort, ayant la légitimité historique, le magnétisme et le charisme nécessaires pour regrouper l’essentiel des composantes, sensibilités, factions et fractions du parti en un seul bloc. Cet objectif est d’autant plus difficile que la personnalité de Me Wade et sa gestion du parti n’ont jamais permis l’émergence et l’existence d’un tel leadership.