Dire que le régime actuel n’a pas investi dans les infrastructures relève sans doute du nihilisme. Mais au-delà, il y a peu de points positifs durant les 5 dernières années. Le recrutement et la formation du personnel, la réforme des contenus, le non-respect des accords et la diabolisation des enseignants sont autant de manquements sous l’ère Macky Sall.
5 ans ! Voilà le nombre d’années passées au pouvoir par l’actuel régime avec à sa tête le Président Macky Sall. De quoi jeter un coup d’œil sur le rétroviseur pour voir ce qui a été fait dans l’Education et ce qui ne l’a pas été. Ce serait sans doute prétentieux de vouloir faire le tour, mais juste un aperçu des grandes lignes. Pour cela, il faudra peut-être porter le regard sur les points majeurs que sont la gouvernance, les investissements et les contenus des enseignements. Il est à noter qu’il n’y a pas eu de grande instabilité institutionnelle.
Car le département de l’Education nationale et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’ont connu que deux ministres. D’abord respectivement Ibrahima Sall et Serigne Mbaye Thiam. Ensuite, ce dernier envoyé à l’Education nationale s’est fait remplacer au supérieur par Mary Teuw Niane. Il y a cependant le morcellement du secteur en trois ministères, avec une multitude de directions et d’agences. ‘’Nous pensons que cette question pourrait être réglée de sorte qu’il y ait une meilleure cohérence dans l’organigramme du système éducatif et une gestion holistique’’, préconise le coordonnateur de la Cosydep, Cheikh Mbow.
S’agissant de la gouvernance, elle connaît des fortunes diverses en fonction du temps et des ministères. Au département de l’Enseignement supérieur, la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur a indiqué la voie à suivre et les ruptures à opérer. Le Pr Mary Teuw Niane avait montré une ferme détermination à appliquer les recommandations. Mais il avait un problème de méthode. L’ancien recteur de l’UGB a voulu tout faire passer par le forcing. Il s’est frotté non seulement aux étudiants dont les Amicales ont été presque toutes suspendues, mais aussi aux enseignants, notamment le Saes. Un syndicat qui a eu à brûler publiquement la loi portant réforme des universités pour faire face à la tutelle.
Le ministre a voulu aussi prendre les orientations des mains des instances pédagogiques. Un bras de fer sans merci a été engagé. Sans compter le front ouvert du côté des étudiants avec l’augmentation des frais d’inscription, les critères d’attribution des bourses, ceux relatifs aux orientations… Bref, il a voulu ‘’extirper ce qui l’intéressait’’ des résultats de la concertation, selon les mots du coordonnateur du Saes du campus de Dakar, Ibrahima Daly Diouf. Le mathématicien a appris à ses dépens le proverbe selon lequel qui trop embrasse mal étreint. Il a fallu la mort de l’étudiant Bassirou Faye en septembre 2014, suite à une série de manifestations violemment réprimées, pour qu’il se résolve à mettre la pédale douce.
Depuis lors, Mary Teuw Niane semble avoir trouvé le bon chemin menant vers l’application des réformes. ‘’Il a su rebondir et avoir une oreille attentive. Depuis, le dialogue n’a jamais été rompu’’, admet M Diouf. C’est d’ailleurs aujourd’hui le bilan le plus évident de sa gestion. Plusieurs points de la plate-forme revendicative du syndicat ont été satisfaits. La réforme des titres en est un aspect majeur. Du côté des étudiants, que ce soit l’orientation des bacheliers, les inscriptions ou l’attribution des bourses, un grand ménage a été réussi. Ce qui fait qu’il y a moins de grèves des étudiants depuis deux ans maintenant pour réclamer une orientation ou le paiement des bourses. Pour autant, il y a des choses à redire sur ces points. En effet, demander à un nouveau bachelier de faire 18 choix obligatoires (campusen), c’est l’inviter pratiquement à faire du remplissage après avoir défini ses 3 ou 4 priorités. De même, il reste un grand effort à faire dans la bancarisation des bourses, puisque les bénéficiaires affrontent d’énormes difficultés avant de percevoir leur dû.
Un mépris vis-à-vis des enseignants
Si Mary Teuw Niane se voit reconnaître aujourd’hui ‘’une oreille attentive’’ par ses vis-à-vis, c’est tout le contraire de son collègue de l’Education nationale. Avec Serigne Mbaye Thiam, on parle plutôt de sourde oreille. Comme le département de l’Enseignement supérieur, l’Education nationale a eu aussi ses assises du 28 au 30 août 2014. Un comité multi acteurs de suivi devait être mis en place dans les meilleurs délais. Depuis deux ans maintenant, cette structure n’existe pas, rappelle Cheikh Mbow et d’autres leaders syndicaux. La tutelle semble avoir opté pour ‘’une application sélective et exclusive des recommandations des assises’’.
Si son collègue de l’enseignement supérieur avait rectifié le tir, le ministre de l’Education nationale semble lui, foncer tête baissée. Presque l’ensemble des acteurs se retrouve sur le fait que sa gestion est solitaire, y compris du côté du comité du dialogue social. L’on se rappelle le coup de colère de Mamadou Diop Castro qui n’arrivait plus à le joindre. ‘’Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de comité de suivi qu’il n’y a pas application. Il y a des choses qui relèvent du gouvernement. Laissons-le faire son travail’’, rétorquait Marie Siby Faye, du MEN, à une critique dans ce sens. Le même problème se pose dans la gestion démocratique des enseignants, très décriée par les syndicalistes.
Ce serait pourtant faire un tort au ministre que de lui faire porter toute la responsabilité. La posture de Serigne Mbaye Thiam traduit l’appréciation de son patron Macky Sall à l’endroit des animateurs du système éducatif, les enseignants (ceux du supérieur exclus). À son arrivée à la tête de l’Etat, le président Sall a trouvé une situation chaotique avec plusieurs mois de grèves qui menait tout droit vers une année blanche. Après avoir ‘’colmaté’’ ce qui pouvait l’être, avec deux sessions au choix, il a demandé un temps de grâce pour pouvoir apprécier la situation. Après quoi, il a engagé les négociations qui vont durer un an. Entre-temps, son gouvernement, particulièrement le ministre de la Fonction publique de l’époque, Mansour Sy, ne cessait de répéter que la nouvelle équipe dirigeante ne prendrait que des engagements ‘’réalistes et réalisables’’. Autrement dit, ‘’dire ce qui est fait et faire ce qui est dit’’, selon leurs propres termes. Une fois les accords signés le 17 février 2014, ce même Mansour Sy a déclaré publiquement que ce qui a été convenu est réaliste et réalisable.
Seulement, une année après, les nouveaux tenants du pouvoir n’ont presque rien respecté de leurs engagements. Les grèves reprennent pour le respect des accords paraphés. À titre d’exemple, Amadou Diaouné, Abdoulaye Ndoye et Oumar Waly Zoumarou, tous des leaders syndicaux, soutiennent que les lenteurs administratives persistent à tous les niveaux. Il s’y ajoute que le nouveau système de rémunération des agents de la Fonction publique promis le 31 décembre 2016 n’est toujours pas disponible, insiste Ndoye, patron du Cusems. L’année dernière, le gouvernement a respecté les 10 000 mises en solde et les 24 milliards de rappel promis. Mais cette année, l’Etat refuse de prendre de nouveaux engagements.
Non-respect des accords
Outre le non-respect des promesses, il y a le discours en direction des enseignants, fait de critiques et de menaces. Particulièrement de la part du président de la République. Macky Sall ne rate presque aucune occasion pour égratigner ces derniers sur leur formation et la qualité des enseignements/apprentissages, non sans leur rappeler que la masse salariale est trop importante. Une façon de dire : ‘’Vous bouffez trop et vous servez peu.’’ Une perception qui fait que la confrontation a pris le dessus sur le dialogue au point de déboucher sur une situation extrême avec une volonté ferme de l’Etat de radier les enseignants (7 000, selon Zoumarou) qui refusaient de livrer les notes, l’année dernière. Un point de rupture atteint qui fait que les enseignants se disent aujourd’hui très déçus de Macky Sall.
Le béton oui, l’humain non !
S’agissant des investissements, force est de reconnaître que beaucoup d’efforts ont été fait à la fois dans l’Education nationale et l’Enseignement supérieur. Pour le moment, la formation professionnelle reste le parent pauvre du système. Il semble qu’il n’y a pas encore une vision ou une volonté affichée de donner à cette branche la partie qui lui revient dans la formation des ressources humaines. Dans le supérieur, le ministre Mary Teuw Niane a déclaré tout récemment que plus de 400 milliards de F CFA ont été investis dans les infrastructures et les équipements. Le Saes ne dit pas le contraire. ‘’Il y a eu énormément d’investissements qui ont été faits dans les universités’’, concède Ibrahima Daly Diouf. Même propos de la part de Cheikhou Issa Sylla, le secrétaire général du Sudes, section Enseignement supérieur. ‘’Il y a des investissements massifs qu’il faut avoir l’honnêteté de reconnaître.
À Ziguinchor par exemple, on va passer du simple à 10 fois la capacité d’accueil’’, dit-il. Cependant, les syndicats émettent des objections. Oumar Dia, le chargé des questions de recherche du Sudes, estime que les retards de ces chantiers traduisent le peu de volonté de l’Etat, comparé au centre de conférence de Diamniadio, réalisé en 11 mois. Quant à M. Diouf, il doute de l’opportunité de certains choix opérés. ‘’On aurait dû prendre cet argent pour renforcer l’existant à Thiès, Bambey et Ziguinchor’’, souligne-t-il.
Dans l’Education nationale également, des infrastructures ont été réalisées. D’après le ministre Serigne Mbaye Thiam, 132 647 000 000 F CFA ont été dépensés pendant les cinq ans. Dans l’élémentaire, c’est 49 560 000 000 F CFA qui sont allés à la construction d’ouvrages annexes, de 2012 à 2016. Et pour les écoles complètes qui sont au nombre de 333, un montant de 12 milliards F CFA a été investi. Des sommes qui n’ont pas convaincu les enseignants. Selon Abdoulaye Ndoye et Oumar Wally Zoumarou, ce sont plus ‘’des reconstructions, réfections ou extensions de certains établissements existants’’ dont il s’est agi, plutôt que l’élargissement de la carte scolaire. Les abris provisoires persistent, même si le taux est passé de 18% en 2011 à 10,49% en 2016.
3 500 par élève, un leurre
À propos de la politique relative au personnel, presque personne n’est satisfait. Certes, Abdoulaye Fané le président de l’Unapees se félicite du relèvement du niveau de recrutement des enseignants, du BFEM au Bac. Cependant, Cheikh Mbow note que le recrutement ne cesse de baisser depuis l’avènement du président Macky Sall. Un point de vue qu’il partage avec Cheikhou Issa Sylla qui estime qu’il n’existe pas de politique de promotion de la ressource humaine. Juste 200 professeurs recrutés, alors qu’il faut, selon lui, un plan Marshall de 500 enseignants par an pendant 5 années. Ce qui, à son avis, va rejaillir sur les résultats, puisque ‘’le béton’’ à lui seul ne suffit pas. D’ailleurs, les résultats des examens varient toujours entre 34% et 40%, en attendant l’effectivité des 3 500 F par élève promis par Serigne Mbaye Thiam et qui actuellement tourne autour de 500 F, à en croire Cheikh Mbow.
Même cas de figure pour ce qui est de la recherche. L’année dernière, lors du Next Einstein forum organisé à Dakar, l’Etat s’était engagé à mettre un milliard de F CFA par an à travers un Fonds national de la recherche et de l’innovation. Mais rien ! Oumar Dia du Sudes y voit un manque de volonté et invite à faire la comparaison entre les budgets déficitaires des universités et qui, réunis, font moins que celui de la présidence de la République (74 milliards), alors qu’en France, une université a un budget 4 fois supérieur à celui de l’Elysée. Quant à l’offre de formation et les méthodes d’enseignement et d’évaluation, elles n’ont pas connu beaucoup d’évolution. C’est presque le statu quo !