Il y en aura pour dire que les lauréats sénégalais du Fespaco 2013, Alain Gomis, Ousmane William Mbaye et Moussa Touré, n’ont pas vraiment laissé le choix à Macky Sall, qui a bien voulu ressusciter le Fopica, institué par la loi du 15 avril 2002. Mais disons qu’il a eu le mérite de doter ce fonds d’un montant d’un milliard de francs CFA. Une somme qui devrait tout de même être revue à la hausse, quand on pense que le budget du seul « Félicité » d’Alain Gomis tourne autour de 800 millions de francs CFA. Le secrétaire permanent du Fopica, Abdoul Aziz Cissé, dit à ce sujet que «certains films sénégalais se tournent avec un budget de plus d’un milliard de francs CFA».
On en a beaucoup parlé comme d’une nouvelle affaire, mais le Fonds de Promotion à l’Industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica), qui n’est pas si jeune que cela, remonte en fait à une quinzaine d’années, quand on sait qu’il a été «institué par la loi n°2002-18 du 15 avril 2002 ». Mais disons que l’actuel président de la République, Macky Sall, a eu le mérite de le ressusciter, lorsqu’il a pris la décision de «doter ce fonds d’un montant d’un milliard» de francs CFA, et donc de le rendre opérationnel. Il y en aura pour dire qu’on lui a plus ou moins forcé la main, ou qu’il n’a pas vraiment eu le choix : en 2013, le réalisateur Alain Gomis revenait de la 23ème édition du Festival panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco), avec le très convoité Etalon d’Or pour son film «Tey», et il n’était pas le seul. Ousmane William Mbaye revenait quant à lui avec le 3ème prix du Documentaire, sans parler des deux prix spéciaux attribués à Moussa Touré pour son long métrage «La Pirogue».
Et à l’époque, rappelle à ce sujet la réalisatrice Mariama Sylla Faye, «le Fopica n’existait pas», pas sous cette forme en tout cas. Si le Fopica a donné l’impression que c’était du tout neuf, c’est sans doute parce que les médias eux-mêmes en ont énormément parlé. Mais avaient-ils vraiment le choix, quand on sait que depuis quelques années, le Fonds est cité à plusieurs reprises, dans le discours plein de gratitude des réalisateurs, ou dans celui de la direction de la Cinématographie.
Il y a quelques semaines, alors qu’il recevait pour la deuxième fois l’Etalon d’Or, pour son film «Félicité» cette fois-là, Alain Gomis lui-même avait tenu à remercier le Fopica, idem pour Ousmane William Mbaye, quelques jours avant, qui laissera entendre que l’on était loin de l’époque où «les Anciens» devaient «cheminer seuls ».
Parmi les plus jeunes, vous en trouverez difficilement pour lui cracher dessus, mais ce n’est pas comme si tout était parfait : «Ce fonds est minime, mais il nous sert», disait à ce sujet Mariama Sylla Faye. Et un film, ça coûte cher…
«Un milliard…pour un film»
«Le 11 février 2015, le Comité de gestion (du Fopica), composé de trois collèges de 22 lecteurs, a attribué 26 aides à la production et à la finition et 5 aides au développement parmi les 81 projets reçus et les 76 éligibles». Lorsque nous l’avons reçu en fin de semaine dernière, le réalisateur Abdou Khadir Ndiaye confiait que son court métrage «Xale bu rerr» avait reçu 15 millions de francs CFA de l’Etat du Sénégal, pour un budget qui tournerait autour de 30 à 45 millions de francs CFA. Autrement dit que cette somme-là ne pouvait (évidemment) pas tout gérer, mais qu’elle servait de « base ».
Et voilà que le 26 mai de la même année, autrement dit trois mois plus tard, le ministre de la Culture et de la Communication recevait Alain Gomis, accompagné de son producteur Oumar Sall. Venu présenter ce qui n’était encore qu’un projet de film, « Félicité », futur Etalon d’Or à l’époque, Alain Gomis n’était pas venu les mains vides, puisqu’il avait déjà «bouclé», à « 80% », le budget de son film, évalué à «785 millions de F CFA». Ce qui fera d’ailleurs dire à Cheikh Ngaïdo Bâ, le président des cinéastes associés (Cinéseas), en pleine Journée sénégalaise du Fespaco, et avec insistance d’ailleurs, que le Sénégal avait «en partie» financé le film d’Alain Gomis.
Ce n’est pas faux, mais disons que cela ne change pas grand-chose. Car si Alain Gomis a insisté pour que l’Etat du Sénégal participe au financement de son film, même en termes de «financement complémentaire», c’était surtout «pour que le film reste dans le domaine du patrimoine national», avec à la clé « plusieurs milliers d’emplois ».
Il ne s’agit pas de faire la fine bouche, mais un film, rappelons-le, ça coûte cher, surtout quand on pense que le budget de «Félicité», autrement dit les 800 millions de F CFA, n’est pas très loin du milliard du Fopica. Ce que confirmeront ces propos du secrétaire permanent du Comité de gestion du Fopica, Abdoul Aziz Cissé : «Certains films sénégalais se tournent avec un budget de plus d’un milliard de francs CFA ». Lorsqu’il ne dit tout simplement pas qu’ « il y a un réel déphasage entre le montant des sollicitations des porteurs de projets et la capacité de financement du Fopica. Rien que pour la gestion 2016, le budget total des 137 projets présentés est de 25 361 290 804 CFA, le montant total sollicité est de 5 474 520 003 CFA ».
Ouaga et son Fespaco
Au total, depuis 2015, c’est une cinquantaine de films qui a été financée par le Comité de gestion. En ce qui concerne l’année 2016, 16 projets de films ont pour le moment été retenus pour un financement de 462 millions de francs CFA. Même s’il faut noter que tous ces films ne bénéficient pas d’un même appui, entre le soutien à la production, l’aide au développement, etc.
Toujours est-il que ce montant devrait être revu à la hausse, entre autres parce que la Culture crée de la richesse, et parce que Macky Sall a décidé que 2017 serait l’année de la Culture.
Si l’on se bouscule tous les deux ans pour participer au Fespaco, ce n’est pas pour les belles plages de Ouagadougou, et au mois de février, les températures ne sont pas très loin de 40°. On y va pour le 7ème art, pour les courts et longs métrages, pour la chaleur d’une salle de cinéma, comme on y va pour les applaudissements en fin de projection, pour entendre tel ou tel réalisateur, réalisatrice, acteur, actrice, raconter son aventure, ou pour être tout simplement dépaysé, y compris culinairement.
Quant à ce que cela rapporterait à l’économie burkinabé, entre les billets d’avion, qui coûtent plus cher pendant cette période, les frais d’hôtel, qui affichent complet, les bonnes tables des restaurants, pour le plaisir d’un poulet-bicyclette, ou d’une pintade grillée, les bonnes affaires des chauffeurs de taxi, qui vous diront qu’ils « ciblent les touristes », celles des vendeurs de fruits, de tissu, de beurre de karité, etc.
Mais ne nous égarons pas... Nous avons notre cuisine interne, ces salles de cinéma à «réinventer», pour parler comme Amath Niane, second assistant caméra sur «Félicité». Voilà qui va rassurer les cinéphiles : Abdoul Aziz Cissé annonce que « quatre salles de cinéma vont être financées pour être rénovées et surtout numérisées ». A cela s’ajoutent un projet de distribution de films, et huit projets de formation dans les métiers du cinéma et de l’audiovisuel.
Ce Centre technique bloqué par un contentieux
Mais comment ne pas évoquer le problème du futur Centre technique de production cinématographique et audiovisuelle, suspendu à un contentieux entre la direction de la Cinématographie, soutenue par les cinéastes, et la mairie de Dakar-Plateau. La semaine dernière, c’est dans les anciens locaux du Service d’Hygiène, « octroyés à la communauté cinématographique », en 2008, et destinés à abriter le Centre en question, que le directeur de la Cinématographie, avait alors appelé l’Etat à «trancher ».
Hugues Diaz rappellera d’ailleurs que s’il y a un aspect qui manque à notre cinématographie, c’est bien la postproduction. «Les cinéastes (…), dira-t-il, sont obligés d’aller à l’étranger, au Maroc, en France etc. Au prix d’énormes sacrifices, alors que la priorité (c’est) de résoudre ce problème de postproduction, où on aura des studios de mixage, d’étalonnage, de doublage, et même deux auditoriums, qui feraient office de studios-écoles, pour les jeunes qui veulent se perfectionner». Avec l’air de dire qu’une Cinématographie sans un «outil technique» n’en serait pas (vraiment) une.
Idem pour la réalisatrice Mariama Sylla Faye dont le cri du cœur résonne encore : «Ce centre va me servir, en tant que cinéaste, à ne plus être obligée d’aller au Maroc ou en France quand je fais mes films, rester là-bas trois mois, dépenser la quasi-totalité des maigres sous que j’ai, pour faire de la postproduction. Donc ce centre est fondamental, pour la création et la finalisation de nos projets.»
Des projets, il y en a, et la liste des tout prochains films qui bénéficieront du soutien du Fopica devrait bientôt disponible. Car, les « comités de lecture, selon les explications d’Abdoul Aziz Cissé, ont fini d’évaluer les aspects artistiques et esthétiques des projets en compétition», sans parler des questions de budget et de «montage financier».