Au cœur de ce contentieux entre la direction de la Cinématographie et la mairie de Dakar-Plateau, il y a les anciens locaux du Service d’Hygiène, qui devrait abriter le Centre technique de production cinématographique et audiovisuelle. La direction de la Cinématographie et certains cinéastes se sont justement retrouvés hier, lundi 13 mars, dans l’ancien bâtiment du Service d’Hygiène.
Vous les auriez vus avec leurs petites pancartes levées vers le ciel, protestant, dénonçant, s’indignant, donnant de la voix… Deux-trois mots, qui passeraient quasiment pour un cri de guerre : «Nous voulons…nos locaux». Attention, dit Hugues Diaz, la démarche ou le rassemblement d’hier matin, lundi 13 mars, était plutôt «pacifique», mais ce n’est certainement pas comme si le directeur de la Cinématographie avait l’intention de se laisser marcher sur les pieds. Le ton était d’ailleurs, par moments, celui d’un homme excédé, qui sera tout de même resté courtois. Hier matin, comme convenu, c’est dans les anciens locaux du Service d’hygiène que nous nous sommes donc retrouvés. Pas par hasard, évidemment…Car selon les explications de Hugues Diaz, qui nous ramènera à 2008, c’est le président de la République d’alors, Me Abdoulaye Wade qui avait, à l’époque, «octroyé» le bâtiment, autrement dit les anciens locaux du Service d’hygiène, à la «communauté cinématographique du Sénégal», qui devait en faire son «Centre technique de production cinématographique et audiovisuelle». Si Hugues Diaz s’en souvient aussi bien, c’est sans doute parce que la «décision» présidentielle avait aussi quelque chose de «symbolique», quand on sait que le prédécesseur de Macky Sall à la tête de l’Etat avait alors choisi le tout premier anniversaire du décès de Sembene Ousmane, pour s’exprimer.
Les cinéastes et autres hommes de Culture applaudissent, on s’active ici et là, pour que le fameux Centre sorte enfin de terre, Hugues Diaz loue, en passant, les efforts de ses prédécesseurs, Amadou Tidiane Niangane et Fidèle Diémé, «mais il fallait des moyens».
Hugues Diaz arrive alors à la tête de la direction de la Cinématographie. Nous sommes en 2011, mais voilà que l’homme cherche déjà à avoir quelque chose de «concret». C’est en 2012, par exemple, que l’on fait «appel à l’expertise de l’Agetip», l’Agence d’exécution des Travaux d’intérêt public.
Première estimation : 300 millions de francs CFA
Précision de l’actuel directeur de la Cinématographie : c’est Abdoul Aziz Mbaye, alors ministre de la Culture, qui signera en 2012 la fameuse convention, avec l’Agetip, qui doit «conduire les travaux». «Je m’en souviens très bien, dit Hugues Diaz, c’était à la veille de Noël».
En novembre 2013, les plans sont disponibles, sur la base de ce que les professionnels du cinéma eux-mêmes, et l’administration qui tourne autour, attendent de ce futur «centre technique». «Première estimation» : 300 millions ; mais «le projet en tant que tel, plus les équipements», coûtera la somme d’un «milliard» de francs Cfa.
On saisit toutes les parties, «le maire, le Préfet, le Gouverneur», les travaux doivent commencer en juin 2015, mais comme dirait Hugues Diaz, c’est là que les choses se gâtent. «A notre grande surprise, le maire de Dakar Plateau, (Alioune Ndoye, Ndlr) alors qu’il ne nous restait plus qu’à démarrer les travaux, a adressé une correspondance à la tutelle, pour leur dire que non, ces locaux lui ont été affectés par l’Acte 3 de la décentralisation et donc lui appartiennent. Alors que notre projet est antérieur l’Acte 3 de la décentralisation.»
Un maire «trop pressé» ?
On essaie d’arrondir les angles : des «réunions de conciliation» pour commencer…Deuxième impasse : les «tentatives de forcing» de Monsieur le maire, «trop pressé», (ou alors s’agit-il d’une «erreur»), qui n’aurait pas hésité à «détruire des biens appartenant à l’Etat», un véhicule de la direction de la Cinématographie, un autre «appartenant à la direction du Livre et de la Lecture », stationnés dans les anciens locaux du service d’hygiène». Le maire s’était montré clair, laissant entendre que les véhicules qu’il y trouverait iraient à la «fourrière».
Entre-temps, les choses seraient allées plus loin, quand on entend Hugues Diaz dire que la semaine dernière, et même ce dimanche, «des engins sont venus pour démarrer les travaux de la mairie de Dakar-Plateau».
Face à ce qu’il appelle une «offense» ou une «forfaiture», le directeur de la Cinématographie, cite, preuve à l’appui, ce fameux document, qu’il va d’ailleurs sortir de son classeur : «Les papiers sont là et datent du 14 août 2012. Ces lieux, nous ne les avons pas squattés. C’est l’Etat, à travers son agence du patrimoine bâti, qui nous l’a affecté, en bonne et due forme.»
Voilà ce que dit le papier, adressé par la «direction de la gestion du patrimoine bâti» : «Monsieur le directeur, suite à votre demande de bureaux pour abriter le Centre Technique de Production Cinématographique et Audiovisuelle, je porte à votre connaissance que les locaux sis à l’Avenue Blaise Diagne x Rue Yser (ex locaux du Service d’Hygiène) Dakar, sont mis à votre disposition, à compter de ce jour».
Dans la suite de la lettre, on demande aussi au directeur de ce futur Centre technique de se «rapprocher de la Direction de la gestion du patrimoine bâti» pour les «formalités d’usage».
Mais il y a cet autre document, celui du 27 janvier 2017, adressé par le Dg de l’agence de gestion du patrimoine bâti de l’Etat à Serigne Babacar Kane, le Préfet de Dakar, et qui rappelle que l’ancien bâtiment du Service d’Hygiène a effectivement été affecté à la direction de la Cinématographie…Mais que…la «Mairie de Dakar-Plateau s’était opposée à l’exécution du projet», laissant entendre que ce patrimoine lui avait été «dévolu», pour le «projet de construction d’un centre de santé sur ce site».
Le défi de la postproduction
Toujours à ce sujet, le texte souligne que «plusieurs réunions ont été tenues avec les différentes parties», sans succès, mais que, malgré tout, le Dg avait été «informé que la Mairie de Dakar-Plateau» avait commencé à clôturer le site. «Je vous saurais gré, lit-on à la fin du document, de bien faire prendre les dispositions nécessaires pour l’arrêt de ces travaux en attendant qu’un dénouement soit trouvé à ce problème».
Aujourd’hui, pour reprendre les mots du directeur de la Cinématographie, «force reste à la loi. C’est un papier qui nous a affecté ce site (…) Nous avons décidé d’aller jusqu’au bout : nous ne cèderons pas le site, à moins que l’autorité, le président de la République ou le patrimoine bâti, ne nous dise que le bâtiment nous a été» retiré. Et encore, ajoutera-t-il, invoquant, entre deux arguments, la «continuité de l’Etat», il faudrait, pour cela, que ce soit sur la base de documents très clairs.
Aujourd’hui, toujours, le dossier est entre les mains du patrimoine bâti, et Hugues Diaz, qui se dit convaincu que «l’Etat est fort», n’a pas l’intention de renoncer à ce projet qui lui «tient à cœur». Concrètement, explique-t-il, le «Centre technique de production cinématographique et audiovisuelle va se focaliser sur la postproduction, un aspect encore absent de notre cinématographie. Pour faire nos films, ou pour les achever, nous dépensons beaucoup d’argent, les cinéastes aujourd’hui sont témoins : ils sont obligés d’aller à l’étranger, au Maroc, en France etc. Au prix d’énormes sacrifices, alors que la priorité c’était de résoudre ce problème de postproduction », avec ce Centre technique, «où on aura des studios de mixage, d’étalonnage, de doublage, et même deux auditoriums, qui feraient office de studios-écoles, pour les jeunes qui voudront se perfectionner».
Sans oublier selon lui que le Sénégal, avec son statut de «pionnier en matière de cinéma», et ses récents succès au Festival panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco), ne mériterait pas de ne pas disposer de son propre Centre de production.
MARIAMA SYLLA FAYE, REALISATRICE ET PRODUCTRICE : «Ce fonds est là, il est minime, mais il nous sert»
Je suis venue soutenir la direction de la Cinématographie, parce que depuis quand même quelques années, ils sont en train de faire un énorme travail pour qu’on puisse retrouver nos droits, au pays de Senghor, qui nous avait promis que la Culture serait au centre de tout…Mais voilà que 20-30 ans plus tard, on se retrouve avec des maires incultes, qui ne comprennent pas que la Culture est le point focal de l’Acte 3, parce que si on veut que nos populations aient un imaginaire qui leur permette de rester chez eux, de travailler, et de ne pas penser à prendre des barques pour aller en Europe, il faut qu’un travail soit fait, en matière d’image. Vous avez vu que, avec ou sans l’aide de l’Etat, les cinéastes sont en train de faire des films. Nous sommes dans la résistance. En 2013, quand Alain Gomis a remporté l’Etalon de Yennenga, il n’y avait pas ce fameux fonds du Fopica. Pareil pour Ousmane William Mbaye, et Moussa Touré, qui ont aussi été primés.
Après, on salue et on remercie le chef de l’Etat qui a alimenté ce fonds, après 2013. Ce fonds est là, il est minime, mais il nous sert. Mais quand on nous octroie depuis plusieurs années un centre, qui devait être rénové, et qui est bloqué par le bon vouloir d’un maire, je suis choquée. C’est une honte que l’on ne trouve aujourd’hui que des souks à la Médina, et ce Centre de production ferait le plus grand bien à ce quartier. On ne va pas lâcher, ce centre nous a été octroyé, nous ne laisserons personne nous le reprendre.
J’aimerais qu’il (Alioune Ndoye, le maire de Dakar-Plateau, Ndlr) ouvre ses portes pour qu’on discute avec lui, les cinéastes, les techniciens, toutes les personnes qui travaillent dans le cinéma…Peut-être qu’il ne comprend pas, ça arrive, peut-être qu’il ne comprend pas l’enjeu de ce centre.
Ce centre va me servir, en tant que cinéaste, à ne plus être obligée d’aller au Maroc ou en France quand je fais mes films, rester là-bas trois mois, dépenser la quasi-totalité des maigres sous que j’ai, pour faire de la postproduction. Donc ce centre est fondamental, pour la création et la finalisation de nos projets.