En détention préventive depuis 2013, les six sapeurs-pompiers poursuivis pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort de Chérif Ndaw sans l’intention de la donner risquent entre six mois et cinq ans de prison. Ce, à la suite du réquisitoire du Parquet lors de ce procès tenu hier, en audience spéciale, devant le tribunal militaire. Ils seront édifiés sur leur sort le 31 mars prochain.
Djibril Ndaw a encore du mal à accepter le décès brutal de son petit frère, alors qu’il se trouvait en formation au camp Michel Le Grand de Thiès. Quatre jours auparavant, il l’a vu ‘’en bonne santé’’. Qu’est-ce qui est à l’origine de la mort de Chérif Adouané Ndaw ? Pourquoi n’a-t-on pas avisé sa famille ? A ces questions, le Commandant Mamadou Mansour Fall de l’hôpital Principal de Dakar, devenu Colonel, lui a répondu : ‘’Chérif Ndaw est arrivé sur les lieux dans un piteux état à 7h 50mn et il a rendu l’âme à 20h 03mn, le 6 décembre 2013. C’est une mort violente. Toutefois, je ne pourrais pas répondre à la seconde interrogation’’. Sur ce, un certificat médical remis à Djibril Ndaw a attesté que l’élève sapeur-pompier est mort des suites de ‘’contusions musculaires diffuses par coups et blessures compliquées, d’insuffisance rénale associée à un paludisme grave avec défaillance neurologique rénale et hématologique’’.
Il est ressorti des éléments de l’enquête que les faits se sont déroulés, dans la nuit du 31 au 1er décembre 2013, lors du stage pour le Certificat d’aptitude technique (Cat) numéro 1. Les enquêteurs ont appris que des sévices corporels avaient été infligés à Chérif Ndaw par les encadreurs Lat Ndoye, Baye Thiaw, Onacis Bakouch Ndji Bassang et Jean Baptiste Médard Sagna sur instructions des adjudants Cheikh Sadbou Abib Weuneulou Ndir et Samba Adji. D’une seule voix, les 43 témoins sont revenus sur ‘’l’évènement dramatique’’. ‘’Ils ont reçu l’ordre de massacrer le défunt. Les encadreurs mettaient des morceaux dans la bouche des stagiaires et leur verser de l’eau chaude’’, ont-ils informé. L’élève Matar Diagne a renseigné qu’ils ont été rassemblés par l’encadrement pour des séances de brimades. ‘’Chérif Ndaw était en entraînement spécial pour mauvaise conduite. Lat Ndoye et Baye Thiaw frappaient à mort Chérif Ndaw qui criait de toutes ses forces’’. Il ajoute : ‘’Avec l’aide de 4 stagiaires, ils l’ont tendu par 4 pour le bastonner. Le défunt est entré dans les toilettes pour se soulager, ils l’ont retrouvé là-bas et chacun a pris une jambe et l’ont traîné sur les escaliers pour le tendre encore par 4. Ils l’ont lynché avec des gourdins’’. Un témoignage conforté par Babacar Sow.
‘’Des plaies au niveau des fesses enflées, des cuisses et sur l’épaule gauche’’
Entendu, Mamadou Baldé qui était de garde, ce jour-là, à l’infirmerie a soutenu que le lendemain, Chérif Ndaw, 34 ans, est venu à la pharmacie pour se plaindre de douleurs aux fesses. Qu’il n’arrivait plus à entendre d’une de ses oreilles et à se soulager. Sur ces entrefaites, il a été acheminé à la base militaire de Thiès avant son transfèrement à l’hôpital Principal de Dakar. Chérif Ndaw sera mis sous respiration artificielle avant de faire l’objet de dialyse. Le colonel Mamadou Mansour Fall a rappelé que c’est lui qui a pris les photographies du défunt, car le jeune était porteur de blessures, avant de conclure en constatant son décès. Compte tenu de ces circonstances, une autopsie a été ordonnée par le procureur. Laquelle a abouti à un certificat de genre de mort faisant état d’une mort naturelle.
Un résultat contraire aux premières constatations. Pis, sur la fiche de transfert, il a été mentionné ‘’patient victime de traumatisme’’. ‘’Comment ces blessures peuvent être à l’origine de sa mort ?’’ lui demande le juge Ndary Diop. Le sieur Fall a rétorqué : ‘’En plus de ces lésions, il a perdu des tissus. Ce qui peut être une porte ouverte aux infections associées à des contusions, car rien ne me laissait penser à un état pathologique chez le patient. Qui a même dit à son arrivée au service d’accueil d’urgence qu’il a été victime de violences’’. Pour le Docteur Bakary Diatta qui a déclaré une mort violente et qui n’a pas comparu à la barre, Chérif Ndaw a été victime d’agressions. ‘’Il était inconscient et en état de choc’’. Des plaies étaient visibles au niveau des fesses enflées, des cuisses et sur l’épaule gauche. C’est un traumatisme musculaire qui a entraîné un écrasement’’, a-t-il souligné.
A la barre du tribunal militaire siégeant en audience spéciale, hier, les six prévenus n’ont pas reconnu les faits. Caporal-chef à l’époque, Lat Ndoye a déclaré : ‘’La formation était en 2 phases. Il y avait une partie militaire, une autre dite professionnelle. Mais les brimades et les lynchages n’en font pas partie’’. Le caporal Baye Thiam a livré la même version. Ayant formé 2 promotions, Onacis Bakouch Ndji Bassang a été catégorique. ‘’On a fait juste une semaine. Je n’ai pas eu le temps de connaître Chérif Ndaw. Ils étaient 331 élèves pour le stage. J’étais présent la nuit des manœuvres, mais je n’étais pas au courant des blessures. Je défie quiconque de me prouver le contraire. Je n’ai jamais vu un encadreur lever la main sur un élève sapeur-pompier’’.
‘’Chérif Ndaw avait un cœur de 450g au lieu de 250g’’
Seule personne à connaître le défunt, Samba Athie a affirmé avoir su la mort de son ami par voie de presse. ‘’Je n’ai jamais demandé aux encadreurs de le massacrer.’’ Pourtant un témoin a soutenu que l’adjudant Athie a révélé que le défunt ‘’prenait de la drogue et c’est lui qui a dit aux membres de l’encadrement de le prendre en charge, parce que c’est un homme dangereux, un drogué. Que c’est suite à son comportement qu’il a perdu ses documents médicaux, puisqu’il était ivre’’. Des déclarations qu’il a niées. Toutefois, il a fait savoir qu’en revenant de Kaolack, son ami Chérif Ndaw est passé à Diourbel où il s’est enivré. Il a été arrêté par la gendarmerie qui a informé la hiérarchie, avant de le libérer’’. ‘’C’est la raison pour laquelle on s’acharnait sur Chérif Ndaw’’, poursuit l’accusateur. Samba Athie renchérit : ‘’J’ai vu Chérif le 4 décembre. Je lui ai même remis la somme de 10 000 F CFA pour l’achat de nos tenues de football. Je n’ai pas remarqué qu’il était dans cet état qu’on montre sur les photos’’. Des photos montées ? L’adjudant s’est contenté de dire : ‘’ Je ne peux pas le dire.’’
Là, Djibril Ndaw a hurlé : ‘’C’est bien mon frère. Depuis son enfance, il n’a jamais été battu même par mon père, parce qu’il portait le nom d’un de ses amis Chérifs. Il était adulé par toute la famille.’’ Après lui, Jean Baptiste Médar Sagna aussi s’est défendu : ‘’Je n’ai jamais levé la main sur un seul stagiaire. Les manœuvres consistaient à faire des exercices physiques. Laver les stagiaires avec de l’eau du robinet fait également partie de la formation. Mais pas avec de l’eau chaude. Cependant, il n’est pas de notre ressort de savoir si tel ou tel élève est partie à l’infirmerie. De plus, j’ignore les causes des traces de brûlures sur la victime.’’
Poursuivis pour faux dans cette affaire et renvoyés devant le tribunal correctionnel, le chef de service d’anatomie à l’hôpital Le Dantec, Gisèle Wato Guèye et son assistant Ibou Thiam, ont témoigné. ‘’L’autopsie a été faite le 7 décembre 2017. C’était la 403ème pour cette année. Ils nous ont amené le corps avec un certificat de genre de mort qui faisait état d’une mort violente. A chaque fois qu’on mettait mort violente, c’est parce que c’est un suicide ou un accident. On a conclu a une mort naturelle par défaillance cardiaque avec embolie pulmonaire, même s’il y a eu des traces de violences, puisque l’épiderme décollé était dû aux coups et blessures par un objet contondant’’, indique la dame.
Gisèle Wato Guèye ajoute : ‘’Il avait une insuffisance rénale et on lui faisait un traitement de paludisme. Son cœur pesait 450 grammes au lieu de 250 grammes à cause d’un excédent de travail. Pis, le malade prenait 500mg de quinine, 3 fois par jour. Il n’avait pas d’hémorragie. On a constaté aussi qu’il avait un très gros foie. Mais, on ne peut pas attribuer directement la mort de ce jeune aux coups et blessures. Lesquels ont entraîné seulement des blessures superficielles pas profondes’’. Son collègue a constaté que Chérif Ndaw avait perdu 3 dents dont une a été trouvée dans son estomac. ‘’Cela peut être dû à une consommation abusive d’alcool’’, conclut-il.
Les héritiers du défunt réclament 50 millions à l’Etat
Avocat de la famille éplorée, Me Assane Dioma Ndiaye a réclamé 50 millions, en guise de dommages et intérêts et demandé au tribunal de déclarer l’Etat du Sénégal civilement responsable. Le Parquet a, pour sa part, demandé la disqualification des délits retenus contre Sagna et Bassang en complicité et a requis 2 ans dont 6 mois ferme. Cette même peine a été sollicitée à l’encontre de Samba Athie et de Cheikh Ndir. Là où Lat Diop et Baye Thiaw encourent 5 ans de prison. ‘’La devise des sapeurs-pompiers est «sauver ou périr » et non tuer. Le bizutage et les brimades sont interdits’’, a lancé le Substitut du procureur.
La défense a déploré le fait qu’il n’y ait pas un autre rapport d’expertise sur l’autopsie. Ainsi, elle a demandé la requalification des faits en coups et blessures simples et de leur faire une application extrêmement bienveillante de la loi. ‘’Il y a deux certificats médicaux contradictoires. C’est un dossier complexe, quelquefois noyé de sentiments. Nous sollicitons la relaxe au bénéfice du doute, à défaut d’une relaxe pure et simple’’, a plaidé Me Bruce Sylva. L’agent judiciaire de l’Etat a demandé au juge de débouter la partie civile de sa demande. A l’en croire, l’Etat n’a rien à voir dans cette affaire. Le juge Ndary Diop va rendre son délibéré le 31 mars prochain.