Entre 2012 et aujourd’hui, ils sont des dizaines d’opposants à avoir été emprisonnés. Appartenir à l’opposition semble être érigé en délit. Après le Parti démocratique sénégalais soumis au rouleau compresseur de la Justice pendant trois ans, c’est désormais au tour de la coalition Taxawu Dakar de passer à la guillotine.
Khalifa Sall a passé sa deuxième nuit hier en prison. Sans surprise, le maire de Dakar a été placé sous mandat de dépôt avant-hier par le doyen des juges, après la sortie du procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye. Il est accusé d’association de malfaiteurs, détournement de deniers publics, escroquerie portant sur des deniers publics et blanchiments. Tout cela dans le cadre de la gestion de la caisse d’avance de sa municipalité. L’édile de la capitale vient ainsi grossir la liste des opposants envoyés en prison depuis 2012. La liste est longue et ne saurait sans doute être exhaustive. Arrivé au pouvoir grâce à une large coalition dénommée Benno bokk yaakaar, le Président Macky Sall n’avait presque pas d’opposition. Seule le Parti démocratique sénégalais défait à la présidentielle de 2012 restait comme force en face. Au nom de la reddition des comptes, la machine judiciaire a été enclenchée.
S’en est suivi alors ce qui était considéré par certains comme une chasse aux sorcières, une justice des vainqueurs contre les vaincus. L’exemple le plus emblématique reste le cas Karim Wade. Son dossier a été présenté comme une réponse à une demande sociale. Celui qui était jadis surnommé le ministre du ciel et de la terre était impliqué dans plusieurs affaires. Il sera arrêté le 15 avril 2013 après une mise en demeure d’un mois pour lui permettre de justifier l’origine licite de sa fortune. Celle-ci a été évaluée à 117 milliards, d’après le Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Pape Alioune Ndao. Après plusieurs mois de procès, Karim Wade est condamné à 6 ans de prison et à 138 milliards F CFA d’amende.
La suite va ressembler à une tragicomédie. Macky Sall, sur une télévision française, annonce d’abord la possibilité de la libération de Karim Wade. Le vendredi 24 juin 2016, le fils d’Abdoulaye Wade est libéré, suite à une grâce présidentielle. En réalité, il a été exfiltré nuitamment de la prison de Rebeuss pour être expédié au Qatar, d’où les expressions ‘’protocole de Doha’’ et ‘’deal international’’ (Idrissa Seck). ‘’Réussir la sacrée prouesse de l’exfiltrer de la prison au nez et à la barbe des journalistes et autres souteneurs qui avaient fini d’encercler la prison, c’est assurément une grande performance”, s’enorgueillissait l’ancien régisseur de la prison de Rebeuss, Mohamed Lamine Diop. Ce dernier sera d’ailleurs muté par la suite. Depuis, le candidat du PDS à la présidentielle de 2019 est ‘’exilé’’.
Après Karim, un autre responsable libéral sera incarcéré. L’ex-sénatrice Aïda Ndiongue sera arrêtée en décembre 2013 dans le cadre de la traque des biens supposés mal acquis. Trois chefs d’inculpation ont été retenus contre elle : escroquerie, faux et usage de faux sur les produits phytosanitaires destinés au Plan Jaxaay. Comme toujours, avant son arrestation, c’est le procureur de la République qui a organisé une conférence de presse pour révéler la fortune de la dame : 47 milliards. Elle emportera dans sa chute Abdou Aziz Diop et d’autres coïnculpés. Les biens d’Aïda Ndiongue seront ensuite saisis. Là aussi, la suite sera bouleversante. En mai 2015, elle est tout bonnement relaxée par le juge. Mais le Parquet a fait appel.
Délit d’opinion
Autre victime, Ndèye Khady Guèye. Placée sous mandat de dépôt en février 2013, l’ex-directrice du Fonds de promotion économique (FPE) a été soupçonnée de malversations portant sur près de 3 milliards de francs CFA. Après 14 mois d’emprisonnement, elle a bénéficié d’une liberté provisoire en avril 2014, après avoir déposé une caution d’un milliard et demi.
Mais les opposants ne sont pas incarcérés uniquement pour des questions liés à la gestion des derniers publics. Certains sont aussi victimes de délit d’opinion. En fin décembre 2015, le coordonnateur du PDS a été envoyé au gnouf, suite à un communiqué de sa formation politique sur l’affaire Lamine Diack. Dans le texte signé par Oumar Sarr, il est dit que ‘’l’argent sale, l’argent de la triche, l’argent du dopage dans l’athlétisme, l’argent de la drogue du sport, l’argent de la corruption est au cœur des différentes campagnes de Macky Sall’’. Assez aux yeux du pouvoir pour que le numéro 2 du parti de Me Wade soit envoyé en prison pour ‘’faux, usage de faux et diffusion de fausses nouvelles’’. Lui aussi va passer plusieurs mois en prison, avant de bénéficier d’une liberté provisoire, le 26 janvier 2016.
Quelques semaines avant lui, c’était au tour d’un autre responsable du PDS, en l’occurrence El Hadji Amadou Sall, non moins avocat de Karim Wade, d’atterrir à Rebeuss. La robe noire a été coupable d’avoir tenu des propos jugés irrévérencieux sur le chef de l’Etat. ‘’Macky Sall est un peureux. Il est incompétent, incapable et impuissant. Il n’a pas de projet de société’’, avait-il déclaré lors d’un rassemblement politique à Guédiawaye en mars 2015. ‘’Pour lui, la seule chose qu’il doit faire, c’est d’emprisonner Karim Wade. Nous ferons face à lui. Que tout un chacun sort son bâton, gourdin, cuillère, pilon, pour la résistance’’, avait-il renchéri. Une sortie qui lui coûtera quelques mois de séjour à la citadelle du silence, avant qu’il ne lui soit accordé une liberté conditionnelle, le jeudi 18 juin 2015.
La série noire va alors se poursuivre au PDS. Car l’incarcération d’El Amadou Sall et celle de Toussaint Manga ne sont séparés que de quelques jours. Ce dernier, avec d’autres jeunes, a manifesté contre le verdict du procès de Karim Wade. Ils seront tous poursuivis pour trouble à l’ordre public, destruction de biens appartenant à autrui et à l’Etat, violences et voies de fait sur des tiers avant d’être placés sous mandat de dépôt. Pendant dix mois, il a vécu entre les quatre murs de Rebeuss. Bien avant toutes ces têtes d’affiche, le jeune Bara Gaye avait fini de faire la mauvaise expérience de la prison. Il fait partie des premières victimes de l’article 80 sous l’air Macky, s’il n’est pas tout simplement le premier.
Taxawu Dakar, la nouvelle cible
À l’occasion d’une marche du PDS à Mbacké, le patron de l’UJTL avait qualifié le chef de l’Etat de ‘’candidat des homosexuels’’. Il a accusé Macky Sall d’avoir ‘’refusé des passeports (diplomatiques) à des marabouts pour l’accorder à des homosexuels’’. Devant répondre des chefs d’inculpation d’offense au chef de l’Etat, d’actes et de manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique, il est resté 6 mois derrière les barreaux avant de retourner auprès des siens en décembre 2013. Ainsi, de 2013 à 2016, les partisans d’Abdoulaye Wade ont rarement compté zéro militant en prison. La karimiste Amina Guirane, le lutteur Bathie Séras, d’anciens ministres et DG ainsi que d’autres responsables du parti ont goûté aux ‘’délices’’ de la prison.
Mais depuis la libération de Karim Wade, le PDS n’est plus inquiété. Le vent semble avoir tourné vers une nouvelle direction. Désormais, c’est la coalition Taxawu Dakar qui est devenue la nouvelle cible. Beaucoup voient en la personne du maire de Dakar un candidat sérieux pour la présidentielle de 2019. Khalifa Sall a aussi annoncé une liste de son mouvement pour les Législatives de juillet prochain. C’est dans ce contexte que l’affaire Barthélémy Dias, longtemps oubliée par la Justice, a été réactivée. Même si le fils de Jean Paul Dias n’a pas été renvoyé en prison, il a été condamné à deux ans de prison dont six mois ferme pour le meurtre de Ndiaga Diouf.
Presque au même moment, Bamba Fall, l’autre lieutenant de Khalifa Sall, est sous les verrous, en compagnie d’autres socialistes. Il leur est reproché d’avoir agressé des leaders du Parti socialiste lors d’une rencontre du bureau politique le 5 mars 2016. Aminata Diallo est également menacée de prison. Et pour fermer la boucle, Khalifa Sall, la tête de l’organisation, vient de rejoindre la citadelle du silence. Comme quoi, sous l’ère Macky Sall, il n’est pas bon d’être de l’opposition au risque de se voir payer un mandat renouvelable à la prison de Rebeuss.