Elles sont mères, épouses, sœurs ou même amies de détenus. Des femmes qui vivent le calvaire de voir l’être aimé et chéri enfermé entre 4 murs. Une douleur sourde qu’elles tentent de surmonter tant bien que mal. Car, conscientes que la vie est faite d’épreuves. Mais la solitude, l’incompréhension de la société, le dénuement sont là pour leur rappeler leur statut de femmes, mères, amies de détenus.
L’air désemparé, emmitouflée dans un grand boubou de couleur rouge assorti à un foulard jaune, tenant un sachet bleu contenant de la nourriture, la femme, assise à même le sol, a la pensée orientée vers son homme. Un homme pensif qui croupit au fond de sa cellule. L’image est frappante. C’est la caricature qui orne l’une des façades du mur de l’enceinte de la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Rebeuss. Elle illustre bien le statut de femme de détenu. Qu’elle soit mère, épouse, sœur ou amie. Ne dit-on pas qu’une image vaut mieux que mille mots ? Elle a été réalisée par des prisonniers. Qui, depuis quelque temps, sont en train de tagger les murs dudit établissement de détention ainsi que ceux de la Maison d’arrêt des femmes sise à Liberté 6.
En cette matinée de vendredi, jour de visite des familles aux détenus, un vent frais et poussiéreux souffle sur Dakar. La devanture de la prison de Rebeuss ne grouille pas de monde. L’endroit est paisible. 3 à 4 pensionnaires sont perchés sur des échelles pour donner les derniers coups de peinture sur fond d’art au mur de l’enceinte. Ceci, sous la surveillance des gardes pénitentiaires. Une jeune femme, accompagnée de son petit frère, s’approche du portail principal de la prison. La mine défaite, les lèvres desséchées, un sac d’école rose en bandoulière, Aïssata Ba s’entretient avec le garde qui filtre les entrées et les sorties. Après quelques minutes de discussion, la dame prend congé. Elle fait quelques pas avant de changer de destination. Interpellée sur l’objet de sa présence sur les lieux, elle s’empresse de répondre : ‘’ Je suis originaire du Fouta. Je ne connais rien ici. Je suis arrivée, hier nuit à Dakar, car on m’a appelé pour m’annoncer l’arrestation de mon mari. Là, le garde pénitentiaire vient tout juste de me dire qu’il doit toujours être à la police. J’y vais de ce pas. Je n’ai pas de temps à perdre, parce que j’ai laissé mon enfant au village. Il n’y a personne pour s’occuper de lui.’’ Aïssata Ba presse le pas.
‘’En tant que mère, il est de mon devoir de soutenir mon fils’’
De l’autre côté, deux portes s’ouvrent sur une ruelle du populeux quartier de Rebeuss. L’une fait office de dépôt des permis de visite, tandis que l’autre est réservée au dépôt des repas des détenus. Gargotes, boutiques, marchands ambulants et vendeurs de café Touba ont pris possession de l’allée. On se croirait dans un petit marché. C’est l’ambiance des journées de visites seulement permises les mardis et vendredis. Les yeux larmoyants, vêtue d’un ensemble, le foulard de tête bien noué, la vieille Ndèye Khady Sonko a fini d’envelopper le bol qui contient le déjeuner de son fils avec un morceau de tissu dont la propreté laisse à désirer. Elle n’oublie pas d’y attacher un papier en carton sur lequel est inscrit le nom du destinataire. ‘’Les conditions de vie sont difficiles dans cette prison et, en tant que mère, il est de mon devoir d’être à ses côtés pour lui apporter mon soutien et lui dire qu’il n’est pas seul dans cette dure épreuve. Tous les jours, je suis là pour mon fils. J’habite à Thiaroye, mais je fais de mon mieux pour lui apporter son repas.’’, confie la sexagénaire.
Une navette qu’elle fait avec ses maigres ressources. ‘’Vu mon âge, il m’est très difficile de travailler pour subvenir à mes besoins. Pis, les temps sont durs. Mon enfant est emprisonné depuis plusieurs mois. Donc, imaginez ce que j’ai enduré jusqu’ici. Je ne peux pas aller quémander, car peu de gens sont au courant de sa détention pour offre et cession de chanvre indien. C’est la raison pour laquelle, parfois, j’attends d’arriver ici pour lui acheter à manger dans les restaurants’’, poursuit-elle. Avant de confesser : ‘‘Je souffre de cette situation. Souvent, je reste des nuits entières sans fermer l’œil. Ce n’est pas facile de savoir qu’un proche est derrière les barreaux. Je pense beaucoup à mon fils. Son père vient rarement le voir.’’
‘‘Gora est un enfant terrible’’
S’étant agenouillée sur une pierre, de teint clair, les cheveux bien coiffés, Ramatoulaye Cissokho, âgée de 26 ans, a le regard fixé sur la porte de la prison. Elle attend son tour pour entrer au parloir, pour la première fois, afin de s’entretenir avec son conjoint avec qui elle a juré de vivre, depuis deux ans, pour le meilleur et pour le pire. La tête baissée, elle joue avec ses mains pour évacuer son stress. ‘’Ma belle-mère est dedans pour voir son fils. J’ignore le motif pour lequel il a été placé sous mandat de dépôt. On nous a seulement signifié qu’il a eu un problème avec un agent de la circulation. Pas plus. Je suis surprise. Du coup, je perds mes mots. Son arrestation me fait mal. Depuis lors, je pleure dans le noir’’, fait-elle savoir. ‘’Je suis sûre qu’il n’a rien fait’’, martèle Ramatoulaye. Se tenant à côté d’elle pour la réconforter, sa tante renseigne : ‘‘Son mari n’a que 30 ans. Nous avons tout laissé pour cette visite, pour qu’il ne se sente pas abandonné. C’est un innocent et il vit avec des criminels. On ne peut pas voir un membre de sa famille incarcéré et dormir tranquillement. C’est difficile de s’y faire. Cependant, on ne peut pas s’arrêter de vivre’’.
Pour toutes ces dames, la vie bascule dans l’horreur, du jour au lendemain. Elles vivent dans l’angoisse. L’idée de savoir son enfant ou son époux en prison les remplit d’effroi. Domiciliée à Jaxaay, Dieynaba Seck, les pieds poussiéreux, vit cette galère. La peau dépigmentée à outrance, elle se confie : ‘‘mon garçon, alors qu’il n’avait que 15 ans, a été emprisonné à la prison des enfants sise à Hann (Fort B). Il n’avait pas d’avocats pour l’assister. J’ai beaucoup pleuré de cette situation. Je ne pouvais rien avaler, alors que je faisais tout pour lui amener à manger.
Parfois, après avoir fini de préparer le repas, je n’avais pas de quoi payer le transport’’, souligne-t-elle. Comble de malheur, elle a été abandonnée par son mari. ‘’Pendant sa détention, son père est rentré à Touba. Par la suite, j’ai entendu qu’il a pris une 5ème épouse. Il se vante d’être un marabout. Il m’a laissé au moment où j’avais le plus besoin de lui. Aujourd’hui, les problèmes m’assaillent. J’ai été délogée de ma chambre. C’est ma grande sœur qui m’héberge. On se débrouille pour venir rendre visite à mon fils Gora’’.
Après Fort B, son enfant a encore maille à partir avec la justice. ‘’Gora est un enfant terrible. Tout le monde le connaît dans le quartier où nous vivons, parce que c’est un charretier. Il est tout le temps mêlé à des histoires qui le conduisent directement en prison. Il arrive même qu’il purge une peine sans que le voisinage soit au courant. J’ai honte et j’opte pour le silence. C’est dur d’être une maman de détenus. Les gens ne nous comprennent pas. Ils ignorent ce que nous ressentons dans de pareilles circonstances. La douleur est profonde’’, lâche-t-elle, le visage triste.
‘’J’ai connu mon mari alors qu’il était déjà un délinquant’’
Ailleurs au Camp pénal, c’est la même réalité. Diogop Mbaye est venue prendre des nouvelles de sa copine arrêtée pour infanticide. Elle aussi a une histoire singulière. Diogop a divorcé de son mari détenu à Rebeuss, il y a de cela 3 ans. Habillée d’une taille basse en tissu ‘’Khartoum’’, la jeune femme a galéré dans son ménage avant de prendre son destin en main. ‘’J’ai souffert de l’incarcération de mon ex-conjoint. Ma belle-mère me disait que je portais la poisse à son fils. Elle m’accusait de tout. Un jour, elle a dit à tout le monde que j’étais une prostituée. J’en ai souffert. La solitude me rongeait. J’avais perdu du poids’’, se remémore-t-elle. Ne pouvant plus supporter l’humiliation, la dame craque et répond aux provocations de sa belle-mère.
‘’C’est en pleurs que je lui ai sorti tout ce que j’avais sur le cœur’’, s’est-elle souvenue. ‘’J’ai connu mon mari alors qu’il était déjà un délinquant. Depuis près de 3 ans, il est en prison pour meurtre. Il est toujours en attente de jugement. Comme si cela ne lui suffisait pas, il a été appréhendé dans l’enceinte de la Mac pour détention de chanvre indien en milieu carcéral. Il a été traduit devant le tribunal des flagrants délits de Dakar. Avec tous ces problèmes, j’ai finalement demandé le divorce’’, dit-elle. Sa seule voie de salut. Ou presque. ‘’Quelque temps après, j’ai trouvé un autre homme. Ce dernier a eu la malchance de tomber pour viol. Mais il l’a échappé belle. Le juge a prononcé la relaxe au bénéfice du doute. Le hic est qu’il se saoule tout le temps. Ce qui nous empêche de vivre pleinement notre amour. Mais c’est mieux que d’avoir à ses côtés un meurtrier’’, argue Diogop Mbaye.
‘A la chaque veille de visite à mon mari, je fais des cauchemars’’
Comme elle, des épouses viennent pour redonner du courage à leurs maris. Toutefois, elles préfèrent vivre avec leurs secrets. Elles ne veulent pas être jugées. Le regard de l’autre les indispose. ‘’A chaque fois que je viens ici, je passe une nuit cauchemardesque. C’est éprouvant. Je suis fatiguée de voir mon conjoint toutes les semaines au parloir. Et cela ne dure que quelques minutes. Mais on n’a pas le choix. On fait avec.
C’est mon chemin de croix’’, s’insurge une femme, la mine déconfite. Abondant dans le même sens, Yacine Diop déclare qu’elle et ses semblables sont seules et malheureuses. Cette femme de détenu affirme qu’elle a du mal à trouver le sommeil, la veille des jours de visite. En outre, elle déplore les crises de jalousie de son homme. ‘’Il me pose tellement de questions sur ma fidélité qu’à la fin, je fonds en larmes. Je me demande même s’il n’est pas devenu fou à cause de sa nouvelle vie. Je n’ai jamais pensé au sexe, depuis son emprisonnement pour lequel je n’en reviens toujours pas. Je ne connaissais rien de la prison’’.
Portant son bébé au dos, un sachet à la main, Ndèye Fatou Ndiaye est également là pour son mari. Elle s’impatiente devant la porte de ‘’100 mètres’’ pour la visite, après avoir procédé à l’enregistrement du repas de son ‘’Aladji’’. ‘’Je suis maintenant une habituée des lieux. El hadji y croupit, avant même la naissance de notre fille. Je suis sans soutien. Ce faisant, j’essaie de vivre au jour le jour avec une famille qui ne comprend pas ce que je vis. Il faut que je tienne le coup, même si ce n’est pas facile du tout. Je ne veux pas qu’il perde espoir et j’espère qu’il sortira bientôt de prison et nous allons tourner cette page sombre de notre vie de couple et vivre en paix’’.
Les prisonniers l’ont bien écrit en noir sur fond blanc sur le mur à côté de la porte principale de la prison de Rebeuss : ‘‘la paix est avec celui qui suit le droit chemin’’. L’espoir fait vivre.